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Turquie-Union européenne

« Nous avons réussi ! »

<EM>« La Turquie est fière de toi », </EM>ont lancé les supporters au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à son retrour de Bruxelles. 

		(Photo : AFP)
« La Turquie est fière de toi », ont lancé les supporters au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à son retrour de Bruxelles.
(Photo : AFP)
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a obtenu à l’arraché au sommet européen de Bruxelles le meilleur résultat que son pays pouvait escompter : une date pour l’ouverture des négociations d’adhésion, fixée au 3 octobre 2005, et un moratoire jusqu’à cette date pour la reconnaissance de Chypre, point sensible qui a failli faire capoter l’accord final. Une décision historique pour la Turquie, un succès pour le chef du gouvernement.

De notre correspondant à Istanbul

Comme une équipe de football rentrant d’une campagne victorieuse : à l’aéroport d’Istanbul en pleine nuit, la délégation gouvernementale turque a été accueillie à son retour de Bruxelles par les vivas d’une noria de supporters, les membres du parti au pouvoir AKP : « La Turquie est fière de toi », ont-ils lancé au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, agitant des petits drapeaux turcs et européens. La métaphore sportive sied à cet ancien joueur de ballon rond (en ligue amateur), que la presse saluait samedi pour son forcing dans « tous les compartiments du jeu », selon Hürriyet. La victoire n'est en effet « pas à 100% mais presque », comme il le disait lui-même lors de sa conférence de presse de fin de sommet. « Notre but était le droit à l’accession pleine et entière, nous l’avons obtenu », a-t-il ajouté. Et le Conquérant de l’Europe – titre décerné à l’entraîneur de Galatasaray quand l’équipe avait remporté la première coupe européenne de football de la Turquie – devait être célébré comme tel samedi à la mi-journée dans les rues d’Ankara, à son retour dans la capitale.

« Un petit pas pour la Turquie, un grand pas pour l’Europe », résume non sans humour Murat Yetkin dans le quotidien Radikal de samedi, car si ce résultat est l’aboutissement d’un long parcours pour la Turquie, il est surtout pour les Européens un geste à l’importance bien plus grande, estime-t-il. Sans doute, comme le souligne le journal conservateur Zaman, parce que la chrétienne Europe « ouvre pour la première fois sa porte à un pays musulman », et cette nouvelle est positivement appréciée par les nations du monde islamique qui prévoient des répercussions sur cette partie du monde justement. Une « nouvelle Turquie », une « nouvelle Europe », un « nouveau monde » même : les mots manquent manifestement pour décrire la satisfaction de tout un peuple qui a tant espéré et attendu, mais aussi le désir de lendemains qui chantent, dans une grande famille qui doit « rapprocher les civilisations ».

Paradoxalement, l’opinion publique est beaucoup plus réservée et beaucoup moins euphorique sur l’avenir. Personne ne doute que la chemin sera encore long, et la Une de Radikal souhaite d’ailleurs « bonne chance » au pays pour la suite du processus, les négociations qui débuteront dans plus de neuf mois, et qui devraient durer une dizaine d’années. « A court terme, je n’ai pas trop d’espoir », explique Murat, un étudiant de 26 ans, car « la Turquie profonde n’est pas comme la ville d’Istanbul, elle est loin d’être européenne ». « Ce n’est qu’un début, ça va encore durer longtemps pour arriver à notre but », explique ce chauffeur de taxi. Mais la date est « importante » et « historique » car, se persuade-t-il, les Turcs ont maintenant l’occasion de mieux se faire connaître des Européens. Et cela sera forcément à leur avantage. Surmonter le handicap d’être musulman, montrer l’Islam modéré et moderne, pour ne pas dire laïque, de leur pays, est bien souvent le défi que se fixent les Tucs pour combattre les préjugés européens.

« Chypre bradé pour une date »

Des années de rebuffades, aux portes de l’Union, ont aussi créé un profond sentiment de méfiance, alimenté par une rhétorique aux relents nationalistes heureusement fortement dilués aujourd’hui. Que le sommet de Bruxelles ait failli capoter pour la Turquie à cause de la question chypriote n’est pas une surprise pour le gouvernement, et pas non plus pour Lale, mère de famille qui se réjouit que l’avenir de ses enfants s’inscrive dans le cadre européen : « Je m’attendais à ce qu’au dernier moment la question de Chypre vienne brouiller les cartes », affirme-t-elle, car « les Chypriotes (grecs) avaient pour eux d’être déjà dans l’Union », et donc toute latitude d’imposer leurs conditions. Maintenant, « à armes égales », il faut régler ce problème, et ce ne sera pas facile dans un délai aussi court.

Le chef de la diplomatie de la République turque de Chypre Nord (RTCN, reconnue seulement par Ankara depuis 21 ans), Serdar Denktash, n’y croit pas car il ne pense pas que ses homologues soient « prêts à s’asseoir à la table pour trouver une solution dans les 10 mois », a-t-il indiqué samedi. C’est également cet épineux dossier, « cause nationale » en Turquie depuis l’intervention militaire de 1973 contre les ultranationalistes qui voulaient rattacher l’île à la Grèce, qui révèle le scepticisme d’un petit noyau de détracteurs de l’accord obtenu par Ankara à Bruxelles. « Chypre bradé pour une date » de début des négociations, dénonce samedi le quotidien kémaliste Cumhuriyet, et l’ancien ministre des Affaires européennes en charge de Chypre, Sükrü Sina Gürel accuse le gouvernement d’avoir fait des « concessions », même si manifestement la délégation chypriote grecque attendait beaucoup plus qu’une promesse verbale de reconnaissance.



par Jérôme  Bastion

Article publié le 18/12/2004 Dernière mise à jour le 18/12/2004 à 15:40 TU