Tsunami et séisme en Asie
Sumatra : la mort, la douleur, le chaos
(Photo:AFP)
De notre envoyé spécial à Banda Aceh (nord de l’Indonésie).
Une infirmière, la blouse maculée de sang, déambule dans les couloirs de l’hôpital militaire de Banda Aceh. Elle enjambe les blessés couchés sur des couvertures qui, seules, les séparent d’un sol humide et crasseux. « Nous manquons de tout », explique la jeune femme, « de lits, de médicaments, de nourriture, d’eau potable et de personnels ». Les quatre docteurs et la vingtaine d’infirmières sont sur la brèche depuis dimanche pour soigner plaies et fractures osseuses. « Nous n’avons dormi, poursuit Ibou Srina, non seulement nous n’étions pas préparés à affronter une telle catastrophe mais il a fallu en plus accueillir les blessés des quartiers où les hôpitaux ont été dévastés».
Chaque soir, les réserves de médicaments sont épuisés et chacun vit dans l’angoisse de la suspension du pont aérien humanitaire qui a débuté mardi soir sur le tarmac de l’aéroport militaire de Banda Aceh. L’armée indonésienne, très présente dans la région, en raison d’un conflit qui l’oppose aux indépendantistes locaux, a été la première mobilisée. Deux avions Hercules ont fait la rotation avec Medan, la principale ville de Sumatra, située à deux cent kilomètres plus au sud. Mais les premiers médicaments ne sont arrivés que lundi dans la soirée. « La fille du gouverneur est morte et les autres officiels comptent aussi de nombreuses victimes dans leur famille, ils leur a fallu un peu de temps pour digérer ce choc », explique Noni, une journaliste locale, pour justifier la lenteur des premiers secours.
L’unité dans l’épreuve
Les militaires indonésiens, souvent critiqués pour les multiples violations des droits de l’homme commises dans la région, ont été cette fois-ci à la hauteur de leur devoir. Ils ont pallié la lenteur de l’aide internationale, dont les premiers éléments ne sont arrivés que mercredi matin, évitant à la population une nouvelle catastrophe. Surtout, ils ont pris en charge l’épouvantable tâche de ramasser les six mille cadavres de la ville et de les enfouir dans les fosses communes. « Nous trouverons peut être dans cette épreuve la source d’une nouvelle unité nationale », espère le colonel Sjfrie qui coordonne la distribution de l’aide alimentaire et médicale.
Les hangars qui bordent l’unique piste d’atterrissage de l’aéroport militaire stockent les colis et les cartons qui arrivent en provenance de toutes les îles de l’archipel, mais aussi de Malaisie, de Singapour, d’Australie et de Nouvelle-Zélande, les pays les plus proches. Les organisations non-gouvernementales, telle Médecins du Monde et Médecins sans Frontières - Belgique, font partie des équipages. « Je n’ai jamais rien vu de comparable », affirme Sabine Rens, la responsable de l’équipe MSF. « Je crains même que nous n’ayons vu que la face visible de l’iceberg », poursuit la jeune fille qui estime « que des centaines ou des milliers de corps vont peut être remonter à la surface des rivières dans les semaines à venir ».
« Certains villages rayés de la carte »
Les risques d’épidémies, de choléra et de malaria, notamment, sont encore loin d’être écartés. Dans certaines régions de l’ouest d’Aceh, la zone la plus proche de l’épicentre du séisme, où les villes et les villages sont parfois séparés de plusieurs centaines de kilomètres de jungle, la situation est d’autant plus préoccupante que les autorités n’en ont toujours aucune nouvelle. « Nous avons survolé certains villages qui ont été rayés de la carte », explique le colonel Sjfrie.
La région est accessible uniquement par les routes et les rivières. Mais les ponts sont effondrés et la navigation entravée par les milliers troncs d’arbres arrachés par les tsunamis. Reste la mer par laquelle un convoi humanitaire peut transiter. « C’est encore difficilement concevable en raison du risque de nouveaux séisme», explique le colonel Sjfrie. Depuis dimanche, la terre a tremblé une dizaine de fois à Aceh.
par Jocelyn Grange
Article publié le 30/12/2004 Dernière mise à jour le 30/12/2004 à 18:22 TU