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Tsunami et séisme en Asie

Identification des corps: mission impossible

Fosse commune à Takua Pa, en Thaïlande. Le code ADN des victimes est appliqué sur chaque <i>body bag</i> par les spécialistes thaïlandais pour une identification ultérieure.  

		(Photo: AFP)
Fosse commune à Takua Pa, en Thaïlande. Le code ADN des victimes est appliqué sur chaque body bag par les spécialistes thaïlandais pour une identification ultérieure.
(Photo: AFP)
Des bûchers à feu continu en Inde où une administration méthodique tient le registre des morts. Des fosses communes creusées au bulldozer en Thaïlande où le recensement de la population n’était pas à jour à la veille du tsunami. Une touffeur tropicale qui efface visages et empreintes digitales sans égards de nationalité. Des murs de photos scrutés par des survivants hagards et même par des parents en détresse venus d’au-delà les mers. Des listes consulaires, des listings d’hôtel, des sites internets, des SMS, des photos encore, des noms toujours et aussi une équipe de gendarmes français spécialistes de l’identification à peine arrivés en Thaïlande et déjà écrasés par l’immensité du désastre et le chaos des corps. Dans cette course contre le temps naturel de la décomposition, identifier les victimes va devenir mission impossible. D’autant que la vie s’accommode mal de la proximité des cadavres.

Même les morts confirmés le sont plus ou moins approximativement en fonction de la qualité des administrations concernées. Les 11 736 décès enregistrés en Inde par exemple sont le fruit d’un décompte méticuleux. Il s’accompagne d’un dossier aussi complet que possible comportant au moins une photo du corps et deux critères d’identification voire l’état-civil détaillé de la victime décrite aux survivants en attente de certificats de décès. De son côté, le pauvre Sri lanka, mal remis de sa rébellion tamoul, s’efforce lui aussi de respecter peu ou prou une méthode similaire. Mais derrière les 28 475 morts officiellement recensés une bataille des chiffres oppose son gouvernement à son Centre national de gestion des catastrophes. Et là comme en d’autres terres musulmanes de la région, de nombreux villageois ont enterré les morts dans les premières vingt-quatre heures, conformément aux règles de l’islam.

Absence de chambres froides pour conserver les corps

Outre la guerre civile qui n’a pas connu de cesse avec le cataclysme, l’Indonésie est complètement débordée par l’ampleur de la catastrophe et l’éparpillement de ses 13 000 îles. Les autorités de l’archipel en sont réduites à fournir des extrapolations pour confirmer 79 940 morts. Aujourd’hui, elles opèrent par multiplication en se fondant sur une estimation de 400 corps par fosse commune. Elles avaient commencé par chiffrer les pertes humaines en termes de villages rayés de la carte, soustrayant ensuite les rescapés des populations considérées comme éteintes. Plus tard, elles ont «compté les corps lors de l'évacuation, mais ensuite, quand on a découvert qu'il y en avait tellement d'autres, c'est devenu confus», explique un volontaire de la Croix-Rouge indonésienne. Au final, l’absence «de chambres froides pour conserver ces corps», l’odeur insoutenable et «un risque sanitaire majeur» ont conduit mercredi le gouverneur de la province d'Aceh à faire venir les bulldozers pour enfouir des centaines de cadavres dans des fosses communes sans la moindre investigation ou photo préalable.

Outre cette avalanche de corps martyrisés par les tsunamis dont il sera difficile de savoir combien ils étaient et qui ils étaient, l’Asie du Sud-Est compte d’innombrables disparus. Des dizaines de milliers peut-être en Indonésie, des milliers dans les îles indiennes, ils sont évalués à 5 000 au Sri Lanka et à 6 479 en Thaïlande où 4 541 morts ont été recensés. Dans ce dernier pays qui abrite la station balnéaire de Khao Lack, 2 000 touristes au moins ont trouvé la mort. Et même lorsque leurs corps ont été dûment comptés, leur identification reste hypothéquée, même si les capacités financières et techniques de leurs Etats d’origine permettent d’exploiter leurs éventuelles traces consulaires et hôtelières. Confrontées à des urgences herculéennes, les administrations asiatiques, elles, ont d’autres priorités.

Avec la décomposition, seuls l'ADN et les empreintes dentaires peuvent servir 

Asiatiques ou Occidentales, toutes les familles frappées souhaitent bien évidemment retrouver les corps de leurs proches, pour en faire le deuil, leur donner une sépulture décente mais aussi pour obtenir les certificats de décès indispensables aux formalités de la vie qui finira par reprendre. Certains continuent de fouiller dans les décombres. Ailleurs, dans de nombreuses bourgades côtières, il n’y a plus assez de vivants pour reconnaître tous les morts. Dans les temples bouddhistes de la province thaïlandaise de Phang Nga, par exemple, des corps de Thaïlandais et de touristes occidentaux gisent côte à côte. Un médecin légiste thaïlandais prélèvent des mèches de cheveux pour recueillir des échantillons d’ADN. «Un groupe de sept experts légistes autrichiens a commencé à aider», explique-t-il, en soulignant qu’avec la décomposition, seuls l'ADN et les empreintes dentaires peuvent servir à identifier les corps.

Avant de songer à rapatrier les éventuels restes humains, il faudra tout informatiser et croiser les données – photos parfois illisibles, rares documents, radios dentaires, empreintes génétiques – avec celles que fourniront les parents de victimes originaires de dizaines de pays. Un travail de Bénédictin. Pour faciliter l’identification de leurs ressortissants, les gouvernements occidentaux demandent que les corps des ressortissants étrangers – en majorité des vacanciers – soient rassemblés sur des sites séparés. Les autorités thaïlandaises ont promis de ne pas incinérer les cadavres d'étrangers. Mais pour ceux qui ramassent les corps, la tâche est de plus en plus éprouvante. Difficile de ne pas fermer les yeux.

L'iceberg des diparus

Concernant les touristes, les morts confirmés sont ceux dont on a retrouvé les corps sans pour autant les avoir tous complètement identifiés. Quant aux «disparus», ils se subdivisent en morts probables, lorsqu’un témoin les a vu sur les lieux du cataclysme, et en «sans nouvelles» lorsque nul n’est sûr de l’endroit exact où ils se trouvaient au moment de la catastrophe. Les listings des compagnies de tourisme permettent de valider une hypothèse plutôt qu’une autre. Mais certains vacanciers étaient partis seuls, sur des «vols secs». Dans ces conditions, l’iceberg des disparus et des sans nouvelles ne fondra pas de sitôt.

L’un des pays les plus touchés la Suède compte 44 morts en Thaïlande mais 3 500 touristes suédois manquent à l'appel. Selon son Premier ministre, le bilan définitif des morts menace de s’élever «à des centaines de victimes et dans le pire des cas il dépassera le millier». L’Allemagne aussi recherche un millier de ses ressortissants en Asie après avoir identifié 26 corps en Thaïlande et sept au Sri Lanka. Le ministère autrichien des Affaires étrangères se déclare pour sa part «sans nouvelles de 1 250 Autrichiens», la Norvège (21 morts) déclare 462 disparus, le Danemark (7 morts) 419 disparus, la Finlande (4 morts) 263 disparus, la Grande-Bretagne (29 morts) des centaines de disparus. La Belgique recherche plusieurs dizaines de ressortissants. Moscou est sans nouvelles de 80 Russes en Thaïlande, Berne recherche 850 Suisses dont 380 en Thaïlande. Outre 10 morts en Thaïlande et au Sri Lanka, l’Australie compte 41 disparus et reste sans nouvelles de 1 250 ressortissants, près de 400 manquent à l’appel de Hong Kong et 720 en Nouvelle-Zélande.

A Paris, le ministère des Affaires étrangères établit le décompte des victimes françaises à «21 morts dont 20 en Thaïlande et 1 au Sri Lanka, 92 disparus (c'est-à-dire des personnes que leurs proches ont vu disparaître, mais dont les corps n'ont pas été retrouvés), 242 blessés et plusieurs centaines de personnes dont nous sommes sans nouvelles». Toutefois, selon le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, Renaud Muselier, si la France reste sans nouvelles de 530 personnes, le bilan des morts pourrait «se situer entre 150 et 250 morts». Au total, la litanie des disparus fait le tour du monde pour un deuil planétaire difficile à faire en l’absence des corps.

Le Premier ministre thaïlandais explique aujourd’hui que 80% des 6 130 disparus recensés dans son pays doivent être tenus pour morts. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Joschka Fischer préfère lui aussi préparer l’opinion. Tous les corps ne pourront sans doute pas être rapatriés, faute d’être identifiés ou rendus par la mer, explique-t-il. Mais l’Europe se raccroche à l’espoir que des touristes rentrés par leurs propres moyens ne se sont pas manifestés. L’Allemagne ou la France multiplient donc les appels à témoins pour les recenser. Dans l’Asie pressée d’effacer les meurtrissures infligées par les tsunamis, une dizaine d’équipes européennes spécialisées dans l’identification se battent contre l’horloge de la mort pour rapporter une trace à ceux qui pleurent les gisants du rivage. De leur côté, consulats et ambassades tentent de rendre des noms à la multitude engloutie par l’océan Indien. Les secrets des abysses seront long à percer. L’attente ne fait que commencer.



par Monique  Mas

Article publié le 31/12/2004 Dernière mise à jour le 31/12/2004 à 14:49 TU

Audio

Jean-Yves Troy

Chargé du programme Asie à la Croix Rouge

«On pourra dès samedi matin traiter à peu près 600 000 litres d’eau par jour, c’est a peu près 40 000 personnes qui pourront être approvisionner.»

[31/12/2004]