Proche-Orient
Abbas fustige «l’ennemi sioniste»
(Photo : AFP)
Le très pondéré Mahmoud Abbas est pour la première fois sorti de ses gonds mardi à l’occasion d’un meeting organisé dans le camp de réfugiés de Khan Younès, un bastion des activistes de la bande de Gaza où une intervention de l’armée israélienne avait fait neuf morts la semaine dernière. Le candidat du Fatah, la principale formation politique palestinienne, venait en effet d’apprendre que sept jeunes paysans avaient été fauchés le matin même par des tirs de chars israéliens alors qu’ils cueillaient des fraises dans une ferme. Treize autres Palestiniens, dont de nombreux enfants, ont également été blessés. «Nous prions pour les âmes de nos martyrs qui sont tombés aujourd’hui sous les obus de l’ennemi sioniste à Beyt Lahya», a ainsi lancé, visiblement furieux, Mahmoud Abbas. Renouant avec une rhétorique que Yasser Arafat avait lui-même abandonné depuis des années, le favori de l’élection de dimanche a réaffirmé qu’il resterait fidèle aux principes défendus par le vieux raïs appelant à «chasser l’occupant de notre terre». «L’occupant a beau détruire et tuer, il ne brisera pas notre volonté», a-t-il ajouté dans des termes d’une rare violence pour un homme considéré par les Israéliens comme un modéré.
Depuis le début de la campagne pour la présidentielle, lancée le 27 décembre dernier, Mahmoud Abbas –de son nom de guerre Abou Mazen– a multiplié les appels à l’unité des Palestiniens, n’hésitant pas au grand dam des autorités israéliennes à revendiquer l’héritage de leur ennemi numéro un, décédé le 11 novembre dernier à Paris. «Le président Yasser Arafat est parti mais son âme reste parmi nous. Et comme il le répétait, le jour viendra où un enfant palestinien hissera le drapeau palestinien sur les murailles, les mosquées et les églises de Jérusalem», a-t-il encore récemment déclaré. Outre la revendication de la ville sainte comme capitale d’un Etat palestinien dans les Territoires occupés par l’Etat hébreu en 1967, le favori de la présidentielle a également repris à son compte la défense du droit au retour des réfugiés et la libération des prisonniers détenus en Israël. «Nous ne serons pas tranquilles tant que les prisonniers seront derrière les barreaux et les activistes recherchés seront traqués», a encore réaffirmé Mahmoud Abbas ce matin à Khan Younès.
Le candidat du Fatah n’a cependant pas renié ses déclarations de la veille appelant les activistes palestiniens à renoncer aux tirs de roquettes contre des positions israéliennes à l’origine des récentes incursions de Tsahal. «Ces actes, a-t-il répété, sont erronés. Je les condamne et je continuerai à les condamner car l'expérience a démontré que ces roquettes tombent la plupart du temps dans le désert ou sur nos maisons, tuant nos fils». Mahmoud Abbas avait souligné également lundi que les tirs de roquettes entraînaient la plupart du temps des «agressions israéliennes» dont la première victime est le peuple palestinien.
Réaction plutôt mesurée des IsraéliensSimple rhétorique de campagne ou changement de cap réel du «modéré» Mahmoud Abbas ? Les autorités israéliennes se sont en tous cas refusées pour le moment à mettre de l’huile sur le feu. Interrogé sur les propos durs tenus mardi matin par le favori de la présidentielle palestinienne, le chef de la diplomatie israélienne, Sylvan Shalom, a affirmé que les déclarations d’Abou Mazen étaient certes «préoccupantes». Mais il s’est cependant contenté d’exprimer sa déception, soulignant que «ce genre de propos n’avait pas été tenu depuis longtemps». Or le ministre israélien avait réagi beaucoup plus ferment la semaine dernière après le premier discours de campagne de Mahmoud Abbas dans lequel ce dernier revendiquait l’héritage de Yasser Arafat. «Ce discours n'annonce rien de bon, car il est impossible de le considérer uniquement comme un discours électoral. Il n'est pas possible de semer ainsi des illusions sur Jérusalem et le droit au retour des réfugiés», s’était indigné Sylvan Shalom. Il avait également déploré que le grand favori pour la présidence de l'Autorité palestinienne «se réclame de Yasser Arafat alors que pour nous cet héritage se résume au terrorisme».
Les déclarations de Mahmoud Abbas, qui a qualifié les activistes palestiniens de «combattants de la liberté», n’ont sans doute pas non plus été appréciées par les Israéliens qui exigent la mise au pas des groupes radicaux. «Ils devraient pouvoir vivre de manière digne et en sécurité», avait en effet affirmé le candidat du Fatah s’engagent à ce que «les Palestiniens ne prennent pas les armes les uns contre les autres». Mais si le cabinet Sharon s’est bien gardé de faire le moindre commentaire sur l’accueil triomphal réservé la semaine dernière à Abou Mazen par plusieurs centaines d’activistes à Jénine –dont certains sont sur la liste noire d’Israël–, le secrétaire d’Etat américain a lui qualifié la scène de «dérangeante». «C’est préoccupant», a-t-il affirmé, déclarant toutefois comprendre que l’ancien Premier ministre, qui est à la recherche d’une légitimité populaire, «cherche à toucher toutes les composantes de la communauté palestinienne».
Cette retenue, comme celle affichée pour le moment par les autorités israéliennes, semble avant tout refléter le souci de permettre un bon déroulement de la présidentielle palestinienne. Une fois cette étape franchie, rien n’indique que les propos seront aussi mesurés.par Mounia Daoudi
Article publié le 04/01/2005 Dernière mise à jour le 04/01/2005 à 18:51 TU