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Sri Lanka

Carnet de route sur le littoral dévasté

Arrivés au Sri Lanka 48 heures après le tsunami qui a dévasté notamment les côtes du sud et de l’est de l’île, nos envoyés spéciaux ont sillonné les routes d’un pays ravagé. Au fil de leurs rencontres, Sophie Malibeaux et Manu Pochez nous ouvrent leur carnet de route sur les traces des rescapés du raz-de-marée.

Mardi 28 décembre

Arrivée à Colombo, capitale d’un pays sinistré

Dans la capitale sri-lankaise, Colombo, pas de catastrophe majeure, mais certains points stratégiques témoignent du désastre qui frappe le pays, sur son littoral. L’aéroport est l’un de ces points sensibles, au lieu du va-et-vient des touristes, ceux qui arrivent sont des équipes de grandes organisations humanitaires, Croix Rouge, UNHCR, et responsable d’ONG allemandes, suisses, françaises, canadiennes, nipponnes, etc.

Ceux qui repartent ne sont pas les habituels touristes, ou du moins, ils ne sont pas dans leur état habituel. Ils sont allongés dans les couloirs, dans tous les recoins de l’aéroport de Colombo, avec des pansements, des bandages, des mines défaites.

Colombo, côté plage. Les amas de gravats aux abords de la guest house du bord de mer sont sans commune mesure avec ce qui nous attend au sud et à l’est du pays.

Udeni Dias.
Demain nous prendrons la route pour Galle, ville touristique du sud ouest où les destructions sont spectaculaires, nous indique notre contact, Udeni Dias , coordinateur d’une ONG (organisation non gouvernementale) sri-lankaise présente sur tout le territoire, Sewalanka.

Mais il faudra très vite envisager de rejoindre l’Est, où les secours ont beaucoup plus de mal à accéder. C’est là que le coût humain sera le plus élevé, assure Udeni. Son organisation habituellement mobilisée sur les projets de développement à long terme apporte une aide d’urgence non négligeable. Ses véhicules sont réquisitionnés pour des missions de première urgence, transport demédecins, de médicaments et autre.

L’approvisionnement, avant le départ

En ville, les rayons de certains magasins sont vides. Manifestement, l’eau en bouteille a fait l’objet d’une véritable razzia. Mais les boutiques en général sont normalement achalandées. Les gens ont le sourire, comme ce marchand de bananes ravi de rencontrer des étrangers. Faute de touristes…les journalistes feront l’affaire. A Colombo, les rues, les restaurants, les stations d’essence ont un aspect normal. Dès les premiers kilomètres en direction du sud, il faut s’attendre à de longues files d’attentes aux stations services.

Mercredi 29 décembre

Colombo-Galle, par le littoral

Avant de prendre la route, nous obtenons des nouvelles de notre consœur Camille. Evacuée de Galle où elle était en vacances, par l’ambassade du Canada, elle nous décrit l’indescriptible chaos qui s’est emparé de la ville. Depuis deux jours, nous ne parvenons pas à joindre l’ambassade de France pour en savoir plus sur les éventuelles victimes françaises. A une dizaine de kilomètres à peine de la capitale, les débris commencent à s’accumuler des deux côtés de la route. Les constructions en dur ont résisté, mais la vague à traversé la route et transformé en un amas de planche, les boutiques, les petits entrepôts, et tout un habitat précaire.

Plus on avance vers le Sud, plus les dégâts prennent de l’ampleur. A mi-chemin de Galle en venant de Colombo, les constructions en dur aussi ont cédé. Des murs épais sont abattus, des porches renversés, des grilles tordues par la violence de la vague, et des objets qu’elle a

emporté avec elle. Des véhicules, des bateaux de pêche, des pirogues ont été projetées en l’air, avant de retomber sur les toits des maisons. Parfois, il ne reste plus que la trace des fondations de certains édifices sur le sol.

Comme la route, la ligne de chemin de fer suit le littoral. Les rails ont décollé du sol. Ils ont été soulevés, tordus, retournés. Sur la plus grande partie du trajet, ils ne reposent plus sur rien, le sable s’est dérobé sous la voie.

A Ambalangoda, une vingtaine de kilomètres nous séparent de Galle. Une déviation nous oblige à rentrer dans les terres. Sur la route, le trafic s’est intensifié, c’est un convoi sans fin qui progresse à une allure d’escargot, pendant que les services de la voierie s’activent à déblayer l’accès à Galles par le littoral.



En s’éloignant des côtes, on retrouve de jolies habitations, avec des toits entiers, et des murs droits. On croit sortir du chaos. Mais on le retrouve aussitôt, dans les temples, les écoles, où s’organisent avec les moyens du bord, l’hébergement des rescapés.

«Les enfants ont entendu un bruit, comme si un train arrivait, un train lent pas comme le train habituel.»
Sophie Malibeaux
Journaliste à RFI  [30/12/2004] 4 min 05 sec
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Jeudi 30 décembre

Sur la route d’Ampara, en passant par Kandy

Nous allons traverser le Sri Lanka d’ouest en est. Warakapola, Kegalie, Kandy sont nos prochaines étapes.

Saisissant contraste avec la journée précédente : tout fonctionne normalement. Les singes nous saluent au passage. Les petites aglomérations sont animées par la fièvre commerciale. Kegalie est gaie, mais au carrefour, des drapeaux blancs indiquent que le pays tout entier est solidaire des victimes.

Kandy respire le calme. Les moines bouddhistes dans leurs robes safran ponctuent le paysage, aux abords du lac, sous un soleil de plomb. La nature est sublime, mais le temps finit par se gâter lorsque nous traversons les montagnes. En descendant vers la côte est, nous nous retrouvons à nouveau dans le convoi sans fin des associations locales mobilisées pour venir en aide aux sinistrés.

Vendredi 31 décembre

Ampara, au cœur du désastre

Arrivée de nuit à Ampara. Nous visitons les abris ouverts aux rescapés à l’heure du coucher. Nous rencontrons le moine Kirindiwala Somarathna, vice-directeur de l’éducation dans la province du nord-est, une sommité à en croire les gestes de déférence qu’il déclenche

autour de lui. Même notre chauffeur s’incline jusqu’à lui baiser les pieds. Samarathna, l’éminence bouddhiste, nous présente les rescapés tamouls, de religion hindoue, qu’il héberge, et aussi les moines qui l’aident à gérer cette situation d’urgence.

Il se dit prêt à tenir trois mois s’il le faut, le temps que ces gens complètement démunis retrouvent des moyens de subsistance. Il nous présente aussi l’un de ses aides, un jeune moine qui a échappé en 1998 à une attaque meurtrière des Tigres tamouls. Les victimes qu’ils nous présente sont au garde à vous, intimidées par sa présence, pleines de reconnaissance. En guise d’interview, c’est plutôt un discours qu’il nous livre : dans l’adversité, Tamouls et Cinghalais vont se tenir la main, reconstruire la paix après des décennies d’un conflit sanglant. Discours en forme de méthode Coué.

L’église Saint-Ignace de Loyola, elle aussi, accueille des sans-abri. Le prêtre nous reçoit au presbytère transformé en lieu de stockage de colis alimentaires et vêtements pour le millier de réfugiés qu’il abrite. Dans une des salles où se couchent les victimes épuisées, nous rencontrons des femmes, prostrées dans la douleur d’avoir tout perdu. Une très jeune fille se précipite sur le micro pour crier sa détresse. L’amertume déforme son visage : « nous n’avons plus de futur, tout est par terre, je n’ai plus rien, plus rien pour étudier. Cahiers, livres et certificats d’étude, tout est à l’eau ».

Dans la province d'Ampara dans l'est du Sri Lanka, on estime que les organisations non gouvernementales du pays fournissent 90% de l'aide actuellement distribuée aux rescapés. Mais les inondations qui sévissent notamment dans l'est du pays, entravent les déplacements et viennent ajouter à la dévastation provoquée par le tsunami.
«Ceux qui sont restés ici ont faim...»
Au Sri Lanka les ONG locales tentent de venir en aide
[01/01/2005] 2 min 00 sec
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A Ampara, les magasins ne sont plus très bien approvisionnés, car les musulmans qui tiennent les petits commerces ont été très touchés dans leurs localités respectives, ils sont trop occupés à inhumer leurs morts. Il faudra attendre quelques jours avant que l’activité ne reprenne. A l’est, les communications posent un problème crucial. Communications terrestres mais aussi par téléphone. Seul le satellite permet de rester en contact avec l’extérieur de la zone sinistrée.

Vendredi 31 décembre

Une catastrophe suit l’autre, sur la route de Pottuvil.

Une religieuse espagnole arpente les routes dévastées de l'est du Sri Lanka à la recherche de ses "protégés", les lépreux et les orphelins dont elle s'occupe depuis 50 ans.
«Il me dit que la mère et la fille ont eu de l'eau jusqu'au cou. Lui et son fils étaient allés rendre visite à son père malade. C'est comme ça qu'ils ont survécu.»
Sri Lanka: soeur Maria à la recherche des disparus du Tsunami
[05/01/2005]
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Reveil sous les averses en cette fin de saison des pluies. Le raz-de-marée a préparé le terrain à une nouvelle catastrophe. La bande de terre où vivent de nombreux pêcheurs et des populations tamouls très pauvres, a été fragilisée par la violence de la vague. De Batticaloa à Pottuvil, le Sri Lanka s’avance dans la mer, et par endroit, la mer rentre dans les terres. Avec les inondations, c’est comme si la lagune et la mer se rejoignaient.

Dans l'est du Sri Lanka, les rescapés du tsunami doivent maintenant faire face aux conséquences des pluies dilluviennes qui s'abattent sur l'île et provoquent des inondations.
«Pris en tenaille entre la lagune et les inondations»
Au Sri Lanka, après le tsunami les inondations
[01/01/2005] 1 min 06 sec
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Les rescapés du tsunami s’installent où ils peuvent, parfois sur le sommet d’un rocher. Dans les cimetières de la côte, les tombes semblent avoir navigué. Elles ont été renversées et se retrouvent posées en équilibre sur le sol, comme des boites en désordre. Les habitants sont privés de nourriture, d’eau potable, de médicaments et d’électricité. Les ponts détruits, les routes éboulées  rendent la progression des véhicules censés porter de l’aide parfois impossible.

Nous croisons d’innombrables véhicules défoncés, retournés par les flots. Dans cette zone de l’est, les rebelles tamouls sont très présents. Leurs responsables locaux tiennent un double discours. Au micro, ils entonnent la même ritournelle que le moine Somarathna. « Dans la détresse, il faut s’entraider. Cinghalais et Tamoul travailleront ensemble pour le bien être des habitants ». Hors micro, c’est une autre histoire, pas question d’abandonner les revendications séparatistes.

Le tsunami est la cause récente des malheurs du peuple, mais les autorités ont toujours négligé ces populations. La vague ne balayera pas d’un coup des années de « résistance » au gouvernement de Colombo. Les forces de l’ordre et les tamouls, dans cette région, tentent de vivre en bonne intelligence mais s’observent mutuellement, avec la plus grande défiance.

La population tamoul de l’ouest de Sri Lanka, déjà très pauvre, compte sur l’aide de toute la nation dans une situation où les inondations compliquent de plus en plus l’acheminement des secours.
Reportage : Cinghalais et Tamouls
Par Sophie Malibeaux et Manu Pochez  [03/01/2005] 3 min 34 sec
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A l’école de Akaraipatu, les déplacés s’endorment dans un local sombre et détrempé, avec la crainte de se réveiller encore plus isolés que les jours précédents, car les inondations prennent de l’ampleur. Le réservoir d’eau qui alimente la région a cédé. La lagune déborde et le courant menace d’empêcher le passage des véhicules. Nous devons renoncer à atteindre Pottuvil. Le retour sur Ampara est hasardeux, dans la nuit, l’eau monte et il faut deviner le tracé de la route sous des torrents d’eau boueuse.

Samedi 1er  janvier 2005

En route pour Batticaloa

Les attroupements sur les ponts nous renseignent sur l’angoisse des populations, en train de guetter la montée des eaux. En fait, le soleil finira par percer, permettant au bout de vingt quatre heures, une légère amélioration de la situation. Mais le pays est affecté d’une autre plaie. Quand nous voulons prendre le chemin le plus court pour rejoindre Batticaloa depuis Ampara, notre chauffeur hésite, il préfèrerait deux-trois heures de conduite supplémentaire, à la traversée d’une zone aux mains de la rebellion des LTTE, les Tigres de la libération de l’Eelam Tamoul.

Franchissement d’un dernier passage entre les camps de l’armée gouvernementale, puis les barrages tamouls se succèdent. Les mines sont signalées. Dans certains endroits, on craint que les inondations ne les aient déplacées. Depuis plus de deux ans que le cessez-le-feu est entré en vigueur- plus ou moins appliqué- des campagnes de prévention ont commencé à fleurir, pour éviter de nouvelles morts d’innocents. L’état de pauvreté de cette population vivant dans des huttes de torchis contraste avec le reste du pays. Les hommes vivent du transport des fagots de bois, lourdement taxés par les Tigres. Ils n’ont rien pour vivre.

Arrivée à Batticaloa

Ce n’est pas la peine de chercher un hôtel pour la nuit à Batticaloa. Les moindres espaces se transforment en lieu d’hébergement. Les écoles et les temples ont été réquisitionnés depuis près d’une semaine pour abriter les réfugiés, et petit à petit, les hôtels se sont remplis avec l’arrivée des convois humanitaires. Notre lieu de travail, le camion-studio fera l’affaire.

Nous nous rendons sur les plages de Batticaloa pour observer une fois de plus l’étendu du désastre. Il semble que la vie se soit arrêtée peu avant dix heures un quart du matin, un 26 décembre. Le cimetière est plein de tombes fraîchement creusées…et fouillées par les chiens. Autours de la fosse commune, traînent de grands sacs blancs venus de la morgue, et des gants de plastique jetés là en quantité.

La plage est un lieu beau et triste, où des individus solitaires viennent  se receuillir, récupérer des objets-souvenirs. Les maisons sont éventrées, parmi les cocotiers, l’intimité des foyers ou ce qu’il en reste
s’expose au grand jour. Des vies délabrées. Le soleil se couche sur Batticaloa avec l’espoir de voir refluer les eaux, après une journée de beau temps.

Dimanche 2 janvier

Retour de Batticaloa sur Colombo

Nous retrouvons la verdure du centre du pays que nous traversons une nouvelle fois. Une journée de route est nécessaire. En sortant de la ville, nous repassons par des quartiers traversés la veille avec de l’eau jusqu’au châssis de la voiture. L’eau a finit par s’écouler, le bitume est presque sec, il n’y a plus que quelques passages à problème.

En quittant ce littoral dévasté, nous croisons enfin de gros camions du PAM et de l’UNICEF. Ils vont avoir du travail. En attendant, les plus actifs sont bien les groupes locaux qui se sont formés dans tout le pays pour aider les victimes à survivre, au delà de la catastrophe.

En progressant vers le centre du pays, nous retrouvons des étales de légumes, les alignements de touc-touc (le taxi triporteur local) ; des visages souriants, et aussi les petits drapeaux blancs sur le bord de la route, qui indiquent que même si l’eau n’a pas envahi les montagnes, leur population compatit aux souffrances des habitants du littoral et resteront les premiers à s’êtres mobilisés pour venir en assistance aux sinistrés.



par Sophie Malibeaux

Article publié le 07/01/2005 Dernière mise à jour le 07/01/2005 à 18:29 TU

Photos : Manu Pochez/RFI