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Soudan

Regards croisés sur l’accord de paix

Commentaires et réactions des acteurs politiques, militaires et de la société civile soudanaise après la conclusion de l'accord de paix.
La classe politique nord-soudanaise

Le protocole sur le partage du pouvoir signé en mai dernier prévoit que, avant la tenue des élections, les partis politiques du Nord-Soudan se répartissent les sièges à l’assemblée et dans le gouvernement suivant une formule négociée uniquement par le SPLM (Mouvement populaire de libération du Soudan) et le gouvernement de Khartoum : 52% pour le National Congress Party (le National Congress est le parti qui a succédé au NIF), 28% pour le SPLM, 14% pour les autres forces politiques du Nord, 6% pour les autres forces politiques du Sud.

Abdil Hadel Hadi – Porte-parole du DUP, Democratic Unionist Party

« Distribuer 14% des sièges entre une vingtaine de partis, c'est de la folie, cela ne peut pas marcher. Personne ne peut l'accepter. Vous avez à faire à des partis qui ont dirigé le Soudan depuis l'indépendance ! Nous pensons que la distribution, dans le partage du pouvoir, n'a pas été juste. Le DUP représente le plus grand parti au Soudan. Le parti Umma est le deuxième plus grand parti. Le NIF, qui dirige le Soudan actuellement, ne représente pas plus de 10% des électeurs !

Si vous regardez les résultats des dernières élections au Soudan, celles qui ont été faite après l'intifada en 1986. Le DUP a obtenu 5 millions de votes. Le parti Umma, environ 4 millions. Le NIF, 174 000 votes.

Quand on forme un gouvernement national les sièges devraient être distribués en fonction du poids des partis. Et c'est ce que nous mettons en avant avec le gouvernement du Soudan, dans les négociations que nous avons au Caire.

Il n'y aura pas de participation du DUP dans le gouvernement ou à l'assemblée sur la base des 14%. Cela n'est pas juste si on prend en compte la taille du parti, et dans le même temps, n'ayant pas pu participer à l'accord, nous serions fous de l'accepter ! »

Ali Al Hadj - Congrès Populaire (parti islamiste d’Hassan Al-Turabi)

« Nous sommes très heureux de la conclusion de l'accord, même si cet accord a été bilatéral entre le gouvernement du Soudan et le SPLM/SPLA. Malgré cela, c'est un pas positif. Maintenant, ce qui nous intéresse, c'est de voir si cela va être appliqué. Et c'est le cœur du problème.

Les protocoles parlent de démocratie, de droits de l'Homme, de liberté de la presse, de liberté des partis, nous appelons à la libération de tous les prisonniers d'opinion, au premier rang duquel le Dr Turabi et d'autres membres de notre parti. Nous demandons également qu'on laisse notre parti travailler librement et ne soit pas interdit comme il l'est actuellement.

L'accord est "bilatéral". Ils est uniquement entre le gouvernement et le SPLM. Je pense que c'est le plus grand problème de ce texte. L'inclusivité est le véritable problème, sans elle cet accord ne pourra pas résoudre les problèmes du Soudan. Il y a des gens qui se battent au Darfour, il y a des gens qui se battent dans l'Est, et il y a d'autres personnes qui combattent également. L'accord ne réglera ces problèmes que si on y associe tout le monde. Nous pensons que cela pourrait prendre la forme d'une conférence, une conférence soudanaise pour tous le monde, personne ne devrait être exclu. Et cette conférence devrait être encadrée, observée par la communauté internationale qui a déjà encadré et observé les accords. »

Sadeq el-Mahdi - ancien premier ministre, chef du parti Umma

« Nous soutenons cet accord de paix, nous avons tout fait pour qu'il arrive. Pour autant, cet accord qui est nécessaire n'est pas suffisant. Pour qu'il soit suffisant, nous avons besoin d'une conférence de tous les partis, comme le CODESA d'Afrique du Sud ou les accords de Taef au Liban, de façon à ce que cet accord soit porté par tous les Soudanais, et de façon à ce qu'il se sentent tous engagés envers lui.

Il y a plusieurs points dans l'accord actuel qui représentent des zones grises. Il faut qu'ils soient réglés à un niveau national. Il y a aussi des points importants qui demandent un traitement particulier... Le besoin par exemple d'un protocole culturel pour trouver un consensus sur la question des cultures au Soudan.

Nous soutenons l'accord actuel, mais en tant qu'accord conclu entre deux parties, et qui doit encore être ratifié par une conférence nationale qui regroupe toutes les forces politiques et civiles importantes du pays. »

Les deux parties signataires

A ceux qui leur reprochent d’être restés dans un tête à tête exclusif, gouvernement soudanais et SPLM/A répondent que l’accord de paix est en fait une matrice pour le reste du Soudan. En permettant une plus grande démocratisation, il satisfera (disent-ils) certaines des attentes des « exclus de Naivasha ».

Lam Akol – Ancien chef de faction opposé à Garang, maintenant membre dirigeant du SPLM/A

« Malheureusement, les seuls accords que nous ayons pu avoir au Soudan ont toujours été des accords bilatéraux. Le système démocratique qui a été en place depuis l'indépendance a été très instable. Les partis étaient engagés dans une telle compétition qu'ils ont ignoré le problème de la guerre dans le Sud.

La paix est toujours venue, malheureusement, sous un régime militaire ou semi-militaire comme celui que nous avons. Le premier accord, celui de 1972, était bilatéral, il était entre les Anya-nya/SSLM et le gouvernement du Nord-Soudan, à l'époque le gouvernement de Nimeyri qui était venu au pouvoir à travers un coup militaire.

Mais ce qui est important, c'est que l'accord qui vient d'être signé ouvre la voie à la démocratie. Cet accord contient un élément très important, les élections : il y aura des élections pas plus tard que la 4e année. auxquelles tous les partis politiques participeront. Ils pourront prouver leur popularité au sein de la population. »

Les trois zones contestées

Agang Kiir - conseiller politique du SPLM (Mouvement populaire de libération du Soudan) à Abyei

L’accord de paix conclu par le gouvernement soudanais et le SPLM/A tente de trouver un statut pour trois régions situées à la charnière entre le Nord et le Sud : Abyei, les monts Nuba et le Nil bleu méridional. Dans cet accord, Abyei a obtenu la possibilité de voter à l’issue de la période intérimaire pour dire s’il veut être rattaché au Nord ou au Sud (quel que soit d’ailleurs le résultat du vote sur l’autodétermination au Sud). Les monts Nuba, en revanche, resteront quoi qu’il arrive ancrés au Nord.

« Nous sommes situés à la frontière entre le Nord et le Sud. Et s'il y a une guerre, nous sommes les premiers à être touchés. Notre bétail est volé. Nos boeufs sont détruits. Nous avons passé plus de 100 ans dans l'insécurité. C'est pour cela que nous sommes heureux de l'arrivée de cet accord.

Nous allons organiser une cérémonie qui correspondra à nos traditions. Nous allons abattre de nombreux bœufs, et les gens vont prier. Des prières traditionnelles et des prières chrétiennes, pour que Dieu nous pardonne de nous être tués pendant cette longue période.

Mon message aux population arabes, aujourd'hui. je voudrais leur dire. mettons fin à la guerre. Et ouvrons une nouvelle page. Nous autorisons ces populations, oui nous autorisons ces populations à venir sur nos pâturages. utiliser notre eau. dans le respect des règles et dans le respect de l'accord de paix. Nous ne voulons pas créer un autre problème. Nous sommes pacifiques. »

Suleyman Rahal – Nuba Survival Organisation

« Nous saluons cet accord de paix qui peut permettre de terminer un long conflit au Soudan, mais dans le même temps, nous pensons que la paix ne peut pas être construite sur l'injustice. Nous pensons que cet accord ne règle pas les demandes des habitants des monts Nuba.

Nous avons rejoint la SPLA, nous nous sommes battus côte à côte, nous avons perdu des milliers de Nubas dans ces combats, et maintenant que l'accord de paix arrive, nos droits, nos demandes ont complètement été laissés sur le côté.

L'accord dit clairement que les Nubas font partie du Nord du Soudan. Et le Nord a toujours essayé de nous supprimer. J'aurais espéré que l'accord nous laisserait la possibilité de choisir notre futur. Si le Soudan est divisé en deux nations, nous devrions avoir le droit de choisir où nous souhaitons être.

Pourquoi Abyei a-t-elle reçu le droit à l'autodétermination, et qu'on ne laisse pas ce droit aux Nubas ? Ce que nous attendons de la communauté internationale, maintenant, c'est qu'elle reconnaisse le droit des Nubas à l'autodétermination. Il y a chez nous beaucoup de ressentiment, particulièrement chez ceux qui se sont battus et se sentent maintenant trahis. »

Les milices du Sud

Le gouvernement s’est appuyé sur elles pour affronter la SPLA. En 1997, il les a même rassemblées au sein de la SSDF, la South Sudan Defence Force. Ces milices, selon les termes de l’accord doivent choisir de se rallier à l’armée soudanaise, ou à la SPLA, ou encore d’intégrer les services pénitentiaires, de police, ou de protection de la faune. Le processus d’intégration devra être fini un an après la signature de la paix. Mais les milices du Sud n’ont pas été consultées sur ces mesures, et certaines appellent maintenant à l’ouverture d’un dialogue Sud-Sud pour négocier la suite.

Gabriel Dok – vice-président du SSLM, une petite milice qui opère autour d’Akobo

« Nous n'allons pas désarmer. Pourquoi désarmer ? Qui va désarmer le SSLM ? Qui donc ? Cet accord est un accord entre deux parties. Nous n'avons pas été associés. Nous demandons une inclusion plus large de tous les groupes. que les gens s'assoient et dialoguent. Nous n'avons pas de problème avec la paix. Mais si cette paix là doit être la paix, alors transformons là en accord national.

Ce n'est pas la première fois que la paix sera signée au Soudan. On a signé un texte en 1972. Comme certains parties n'étaient pas intégrés à l'accord, ils sont venus et l'ont saboté. particulièrement les partis du Nord.

Le deuxième accord, c'est celui du docteur Riek en 1997, ce qu'on a appelé les accords de Khartoum. La SPLA n'a pas soutenu cette signature, et le texte n'a pas pu être appliqué. Il n'est pas allé plus loin.

Et si ces groupes, maintenant, veulent faire la même chose, que ce qui a été expérimenté précédemment, qu'est-ce que cela veut dire ? Il était question d'un accord qui soit la mère de toute les paix. Et pas un accord entre deux parties. »

Les rebelles du Darfour

Depuis février 2003, l’Ouest du Soudan est à son tour déchiré par une guerre qui oppose les forces gouvernementales et leurs milices à deux mouvements rebelles : le MLS et le MJE… Le conflit a fait au jour de la signature de cet accord plusieurs dizaines de milliers de morts, et le processus (les négociations d’Abuja, sous la direction de l’Union africaine) qui est destiné à trouver un règlement politique est dans l’impasse.

Abdel Wahid Mohammed Nur – Président du MLS (Mouvement de Libération du Soudan)

« C'est un accord très limité. La situation du Soudan requiert un véritable accord global, et un tel accord ne pourra pas être obtenu tant qu'une solution n'aura pas été trouvée dans le Darfour, dans l'Est du Soudan, dans le Kordofan, et dans toutes lés régions marginalisées du Soudan.

Cela n'est pas prévu par l'accord de Naivasha, qui n'inclut que le Sud-Soudan, le Nil bleu et les monts Nuba.

Nous avons besoin d'un processus très clair, des mêmes accords que ceux signés à Naivasha, mais pour le Darfour, l'Est du Soudan, le Kordofan. Nous avons besoin qu'ensuite on organise une très grande conférence de tous les partis soudanais.

Le processus d'Abuja avec l'Union africaine peut faire avancer les choses, mais le processus d'Abuja lui-même n'est pas global. Il n'essaie pas de régler les problèmes des Beja, dans l'Est du Soudan. La pression monte, et un jour ou l'autre, cela pourrait exploser. »

Minni Arkou Minnawi – Secrétaire général du MLS (Mouvement de Libération du Soudan)

« Nous saluons cet accord, et nous espérons qu'il sera appliqué. Mais selon moi, c'est un accord entre deux parties. Ce n'est qu'une moitié de la solution. C'est la moitié de la victoire. Il faut que le gouvernement fasse l'effort de mettre en place une solution globale pour le Soudan. Le gouvernement utiliser sa part de l'argent du pétrole pour amener la paix dans d'autres régions du Soudan. Mais le gouvernement, maintenant qu'il a signé la paix dans le Sud, voudra augmenter son activité militaire au Darfour. »

Khalil Ibrahim – président du MJE (Mouvement pour la Justice et l’Egalité)

« Nous, au sein du Mouvement pour la Justice et l'Egalité, nous félicitons la SPLA pour le succès qu'elle a obtenu, et pour cet accord de paix. Cet accord est l'une des étapes importantes vers un accord global et une paix durable au Soudan.

Mais nous ne considérons pas ce texte comme une solution définitive à la marginalisation des autres régions du Soudan. Nous en appelons à la communauté internationale, pour qu'elle travaille à une solution pacifique. qui englobe plus de monde. pour l'instant, ce texte n'est pas un "accord de paix pour le Soudan". C'est plutôt un "accord de paix pour une région du pays".

Nous demandons l'organisation d'une table-ronde autour de laquelle toutes les régions pourront venir s'asseoir. Nous pourrons alors négocier de manière ouverte. pour trouver un consensus qui mette tout le monde d'accord.

Pour le moment, je n'attends aucun accord d'aucune sorte sur le Darfour dans le cadre du processus d'Abuja. Le gouvernement n'est pas sérieux. Il ne souhaite pas conclure la paix à Abuja. Comme ils ont signé un accord avec la SPLA, ils vont essayer d'exterminer les deux mouvements du Darfour par la force des armes. Pas par des négociations pacifiques. »

 
 
Les rebelles de l’Est

Les populations Beja de l’Est du Soudan ont également pris les armes, s’estimant elles aussi marginalisées par le pouvoir central. Le Beja Congress prône un système fédéral et a pour l’instant suspendu ses opérations militaires.

Salah Barqueen – secrétaire à la communication internationale du Beja Congress

« Nous soutenons cet accord. C'est une conquête des sociétés marginalisées contre le pouvoir central au Soudan. Nous pensons que c'est le premier pas vers une paix globale au Soudan. Cet accord a été conclu par le gouvernement du Soudan et la SPLA. Il ne concerne que ces deux parties. Dans le Beja Congress, nous voulons un accord de paix global. Cela inclut toutes les communautés marginalisées au Soudan : l'Est, l'Ouest, le Sud, et même les populations les plus au nord.

Nous avons commencé à combattre le régime il y a plus de dix ans. Nous n'avons toujours pas signé d'accord avec le gouvernement. Nous avons arrêté les combats, juste pour donner sa chance à la paix. Et nous sommes prêt à rompre cette trêve. A n'importe quel moment.

Nous demandons un véritable système fédéral pour ce pays. Un système qui donnera aux peuples du Darfour et de l'Est du Soudan le droit d'élire leurs gouverneurs, d'instituer leurs ministères. Le "partage du pouvoir" signifie qu'ils doivent distribuer les sièges dans le parlement et le conseil des ministres en fonction des zones et de la population.

Le gouvernement actuel du Soudan ne représente pas le Nord.

Et même nos collègues, nos camarades dans le SPLM/SPLA, ils ne peuvent pas représenter tous les sudistes.

Et qu'en est-il des autres ? Qu'en est-il des 70% de la population soudanaise ? »

La société civile soudanaise

Ghazi Suleiman – Président de Sudan Human Rights Group

« De mon point de vue, cet accord de paix vient marquer une date importante dans l'histoire du Soudan. Depuis notre indépendance, en 1956, nous ne sommes pas parvenus à identifier notre pays. Est-ce un pays arabe ? Un pays africain ? Est-ce un pays chrétien ou musulman ? Au bout du compte, nous voici capable de dire quelle est l'identité du Soudan : c'est une nation diversifiée. C'est la première fois dans l'histoire du Soudan que les soudanais se mettent d'accord sur leur identité.

On va plus loin que l'accord d'Addis Abbeba de 1972, qui était un cessez-le-feu et qui accordait une autonomie locale au Sud.

L'accord qui vient d'être signé laisse un modèle pour que les Soudanais puissent régler leurs problèmes dans le futur. La question du Darfour, ou celle de l'Est du Soudan pourraient être résolues (espérons le) très vite sur la base de cet accord. Ce modèle, c'est une certaine autonomie copmme celle accordée à Abyei, aux Monts Nuba. Toutes les régions du Soudan devraient avoir une autonomie locale. »

 Anicia Kalo Atchang – Présidente de Sudanese Women Voice for Peace

« Les femmes doivent mettre au point une stratégie post-conflit. Pendant les négociations de paix, les femmes et les enfants (qui de mon point de vue forment la majorité de la population) ont été exclus. Mais maintenant, nous sommes enthousisamés par la signature de cet accord. Et pour l'application de ce texte de paix au Soudan, il faut maintenant intégrer des femmes et leur permettre de s'approprier l'accord.

Nous saluons le quota de 25% de femmes que le SPLM a décidé d'appliquer pour inclure les femmes dans le processus de décision politique. C'est la première chose.

Deuxièmement, il faut intégrer de façon très urgente des représentantes des femmes dans le processus de révision constitutionnelle, qui doit démarrer tout de suite après la signature de l'accord de paix. Il faut qu'il y ait des leaders féminins dans ce processus, pour qu'on inclue la protection des droits des femmes, les droits de la famille, et des bénéfices pour les femmes qui ont combattu avec "eux". »


par Laurent  Correau

Article publié le 07/01/2005 Dernière mise à jour le 10/01/2005 à 17:40 TU