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Elections palestiniennes

La Palestine choisit Mahmoud Abbas

Mahmoud Abbas se retrouve dépositaire d’un immense espoir.(Photo : AFP)
Mahmoud Abbas se retrouve dépositaire d’un immense espoir.
(Photo : AFP)
L’architecte des accords d’Oslo succède à Yasser Arafat au poste de président de l’Autorité palestinienne avec plus de 62% des voix. L’héritier naturel est devenu successeur officiel.

Il est 22h à Ramallah. Les bureaux de vote ont fermé depuis une heure et les résultats des sondages sortis des urnes tombent les uns après les autres. Les chiffres convergent. Entre 66 et 70 % pour Mahmoud Abbas, le chef de l’OLP, et de 19 à 24% pour Moustapha Barghouti, le directeur d’une ONG médicale qui se présente comme le candidat de la «majorité silencieuse». Au quartier général du Fatah, le vainqueur disparaît sous la foule de ses supporters. La liesse est d’autant plus forte que le taux de participation est finalement honnête. Entre 66 et 70% selon la Commission électorale. Abbas, l’apparatchik en complet cravate, a obtenu le sacre populaire qu’il était venu chercher. Debout face aux caméras dans le centre de presse, Mustafa Barghouti reconnaît sa défaite tout en savourant son nouveau statut d’opposant : «Je suis très fier et très heureux. Abbas est le président mais nous sommes la seconde force politique du pays, devant le Hamas. Dans certaines villes comme Qalqiliya, nous avons obtenu plus d’un tiers des suffrages. Nous avons perdu cette élection mais nous gagnerons la prochaine». Retour sur une journée «historique».

11 h 00 : quartier général de Mustafa Barghouti

En début de matinée, Khaled Seifé, le directeur de campagne de Barghouti, se veut optimiste. Certes, des appels en provenance des bureaux de vote signalent ici et là quelques incidents. Il y a notamment cette fameuse encre qui une fois badigeonnée sur le pouce des électeurs, doit empêcher la triche. «Elle n’est pas indélébile, dit Khaled Seifé. Plusieurs personnes nous ont averti qu’il suffit de frotter un peu fort pour la faire disparaître». Mais en dépit des sondages qui donnent une très confortable avance à Abbas, il pense que le travail va payer. «Nous planchons sur cette campagne depuis 1996 et la défaite de Barghouti aux élections législatives, raconte Seifé qui est directeur de clinique à Jérusalem. Nous avons rencontré des dizaines de spécialistes des élections en France, en Italie et en Afrique du sud. Dès l’annonce du scrutin, nous avons dressé des cartes de tous les districts, avec nos chances dans chacune des localités. Mener campagne ne s’improvise pas. C’est une science». Comme la compétence ne suffit pas, Barghouti a aussi collecté beaucoup d’argent auprès des milieux d’affaires de la diaspora. De quoi faire quasiment jeu égal avec Abbas en terme de visibilité. «Je prévois 35% pour Mustafa et 45% pour Abbas», dit Khaled Seifé.

12 h 00 : un bureau de vote à Ramallah

A l’école de filles de Ramallah, les opérations de vote se déroulent dans le calme le plus parfait. Policiers, assesseurs, observateurs : chacun s’acquitte de sa tâche avec assurance. Disposées dans les classes, les urnes offertes par le Danemark sont transparentes de façon à éviter tout bourrage préalable. Les bulletins ont été imprimés sur du papier acheté en Espagne, impossible à se procurer en Israël ou dans les Territoires occupés. Ali et Mayssa, un jeune couple d’ingénieurs, ont voté pour Barghouti. «Pas parce que je le soutiens, mais parce que je ne veux pas que le Fatah rafle toutes les voix, dit Ali. Nous avons besoin d’une véritable opposition». Mahmoud, un comptable de 43 ans, a lui aussi choisi le candidat indépendant. «En 1996, j’avais voté pour Arafat mais cette année, même s’il s’était présenté, je ne l’aurais pas soutenu. Tout ce que j’ai vu de lui et de sa bande m’a dégoûté. Ils m’ont volé mon pays». Raja, un entrepreneur en bâtiment à la retraite, apprécie en revanche le candidat du Fatah. «Je n’appartiens à aucun parti. Mais je pense qu’Abbas est le seul qui peut nous sortir du chaos dans lequel nous sommes  plongés».

14 h 00 : un bureau de vote à Hizmah, en Cisjordanie

Le village de Hizmah, situé en lisière de Jérusalem, est un bastion du Fatah. Il est entouré par trois colonies qui, depuis vingt ans, grignotent ses terres. Une jeep militaire est garée à l’entrée. Des soldats observent avec nonchalance le ballet des minibus. «Abbas va récolter ici 90% des voix, dit Ahmed, un militant local. J’ai voté pour lui parce qu’il est le candidat du parti, point à la ligne». Salah, âgé de 20 ans, démontre un peu plus d’enthousiasme. «Abou Mazen –le nom de guerre du chef de l’OLP– est l’héritier d’Arafat. Il a combattu avec lui. Il suivra son chemin. Taysir (Khaled, le candidat du FDLP) et Moustapha ne sont pas mauvais mais ils n’ont pas les moyens de leur politique. Abou Mazen a de l’expérience et le soutien de la communauté internationale. C’est pour cela qu’il va gagner». Peu à peu, des jeunes du Fatah, le foulard à damier ceint autour du front, s’attroupent devant l’entrée de l’école. Ils promettent d’y rester jusqu’à la fin du dépouillement.

17 h 00 : un bureau de vote à Jérusalem-Est

A l’entrée de la poste centrale de Jérusalem-Est, rue Salaheddin, les rares Palestiniens qui viennent voter peinent à se frayer un chemin dans la cohue des observateurs étrangers. L’ancien président Jimmy Carter est parti, mais des dizaines d’Américains, d’Espagnols et de Japonais arpentent encore le parquet de la poste. L’appareil photo en bandoulière, une casquette vissée sur la tête, ils comparent leurs informations sur le déroulement du scrutin. Il est vrai que les modalités de vote à Jérusalem sont complexes. Presque autant que la culture politique qui englobe dans un même dédain la municipalité israélienne et l’Autorité palestinienne. Rétifs à toute manifestation de souveraineté arabe dans ce qu’ils considèrent leur capitale, les autorités israéliennes n’ont accepté l’ouverture que de 6 bureaux de vote. Ceux-ci sont implantés dans des agences postales, où les boîtes aux lettres tiennent lieu d’urnes. Contrairement à ce qui se passe en Cisjordanie ou à Gaza, le décompte ne se fera pas sur place mais dans les faubourgs palestiniens voisins, où les boîtes seront acheminés par des véhicules des services postaux israéliens. Le cabinet d’Ariel Sharon, qui espère maintenir ainsi la fiction d’un vote par correspondance, a surtout créé les conditions d’un véritable cafouillage. Du fait de la faible capacité d’accueil des bureaux de poste, seuls 5 000 des 120 000 électeurs palestiniens de Jérusalem ont été autorisés à s’y rendre. Les autres doivent se déplacer en Cisjordanie pour voter. Or la plupart d’entre eux n’ont pas été prévenus à temps. Une fois arrivés au bureau de poste, ils sont obligés de faire demi-tour. Seuls les acharnés prendront leur voiture et traverseront un check-point pour remplir leur devoir de citoyen en Cisjordanie.

21 h 30 : hotel Best Eastern à Ramallah

Dans le salon de réception d’un des grands hôtels de Ramallah, les politologues de l’Université de Bir Zeït livrent les résultats de leur sondage sortis des urnes. «L’immense majorité des électeurs espère que le scrutin va mener à un redémarrage des négociations avec Israël, à une amélioration de leur situation économique et à un allégement de leurs souffrances, notamment celles liées aux check points», dit le professeur Nader Saïd après avoir annoncé le score de chacun des candidats. Avec son allure de patriarche renfrogné, de leader déjà las, Mahmoud Abbas se retrouve dépositaire d’un immense espoir. Dans un livret distribué à la presse étrangère, le sociologue Jamil Hilal, prononçait cette mise en garde : «Si cet espoir est à nouveau détruit et que la communauté internationale reste passive, alors plus personne n’aura le droit d’attendre des Palestiniens qu’ils vivent en paix dans les Bantoustans qu’Ariel Sharon bâtit pour eux».


par Benjamin  Barthe

Article publié le 10/01/2005 Dernière mise à jour le 10/01/2005 à 10:07 TU

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