Soudan
Euphorie à Khartoum
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Khartoum.
« C’est l’aube d’un nouveau soudan, où le citoyenneté sera l’unique critère », s’enthousiasme Hamza Sin Elkhalim, rédacteur du journal Soudan. «Mais il faudra pour cela que l’accord de paix soit appliqué à la lettre et qu’il fonctionne comme un paquet inséparable », précise-t-il aussitôt. Personne ici n’oublie la guerre dans le Darfour et les multiples ambitions que ne manquera pas de créer ou d’étouffer le nouvel ordre politique.
Cependant, l’euphorie a enflammé les vastes campements où s’entassent depuis des années, à la périphérie de la capitale, des millions de soudanais qui ont fui la guerre dans le Sud. Ils habitent au bord du désert. Pour se rendre à eux, il faut emprunter la large route à deux voies qui fend le sol caillouteux au sud de Khartoum. D’un côté de cette unique route asphaltée, se bâtissent de riches maisons individuelles, comme autant de cubes placés à distance les uns des autres. De l’autre, s’entassent des maisons traditionnelles en pisé, avec des toits en tôle. C’est de ce côté, celui des pauvres, que se trouve le club des jeunes du Sud. A l’abri de parois sommaires en papyrus, ces jeunes gens qui ont fui la guerre dans le Sud jouent aux cartes en fumant le narguilé. Leurs visages sont profondément marqués des tatouages traditionnels à leurs tribus : de longues cicatrices rayent leur front ou y forment de multiples excroissances. La plupart sont des ethnies Dinka ou Nuer. Leurs histoires se répètent. Depuis 21 ans, leurs villages sont brûlés, leurs troupeaux pillés, leurs familles séparées. La plupart a été amenée à Khartoum par des organisations humanitaires internationales.
L’accord de paix ouvre la voie au retour
Les femmes travaillent comme domestiques ou vendeuses de thé. Les hommes sont devenus cireurs de chaussures ou font des briques. Mais la plupart sont au chômage. Tous étaient devant la télévision dimanche, pour assister à la signature, au Kenya, de l’accord de paix entre le régime islamique de Khartoum et la SPLA de John Garang. Sous la pression des Etats-Unis, le régime du général Omar Hassan Ahmed al-Beshir a finalement accepté, après des années de négociations, de partager le pouvoir et les richesses du Soudan avec ce mouvement rebelle. Après 21 ans d’une des guerres les plus meurtrières de ces dernières années, le chef rebelle sudiste va donc quitter le maquis pour prendre le poste de vice-président à Khartoum. Le sort de la capitale, soumise à la charria, la loi islamique, doit être décidé dans les six mois à venir.
En résumé l’accord de paix signé dimanche à Nairobi en présence du secrétaire d’Etat américain, Colin Powel, prévoit un régime d’autonomie pour le Sud qui pourra décider dans six ans de rester soudanais ou de faire sécession. En attendant, les anciens rebelles soutenus par les Etats-Unis obtiennent la moitié des revenus pétroliers, équivalent à plus160 000 barils par jour. Ils vont obtenir la part du lion dans les futurs institutions au détriment des partis politiques traditionnels. Pour les gens du Sud déplacés à Khartoum et pour le demi-million de réfugié qui a fui dans les pays voisins, cet accord de paix ouvre la voie au retour. Mais cela ne va pas être facile. La guerre a accentué l’isolement et le sous-développement du Sud Soudan. Il n’y a plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus rien. Il faudra donc reconstruire tout cela. En outre, les déplacés et les réfugiés son démunis. Certains ne peuvent même pas se payer un billet de bus. L’aide du gouvernement et de la communauté internationale sera indispensable. Pour les populations arabisées du Nord, les dividendes de la paix attendus sont essentiellement économiques. Ils espèrent voir leurs salaires augmenter et l’inflation maîtrisée.
« Deux parties et non une nation »
Cependant, la paix demeure à construire. Les principaux partis politiques du Nord Soudan n’ont pas participé aux négociations de paix et, furieux de constater le peu de place qui leur a été accordé, dans les futures institutions, plusieurs ont déjà annoncé qu’elles ne participeraient pas au prochain gouvernement. Enfin, du point de vue des populations qui vivent dans le Darfour, dans l’Ouest du pays, la guerre continue et cet accord de paix n’y change rien. Un diplomate souligne que cet accord de Nairobi ne lie pour l’instant que le régime de Omar al-Beshir et la rébellion armée de John Garang, soit « deux parties et non une nation ». Les perspectives au Soudan – riche de plus d’une centaine de langues et d’autant de tribus - demeurent donc multiples et incertaines.
par Gabriel Kahn
Article publié le 10/01/2005 Dernière mise à jour le 10/01/2005 à 18:51 TU