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Indonésie

La vie reprend dans les ruines de Meulaboh

Une vieille femme traverse une rue dans la ville de Meulaboh. Les voies sont encombrées par  les tonnes de ferraille, de bois...(Photo: AFP)
Une vieille femme traverse une rue dans la ville de Meulaboh. Les voies sont encombrées par les tonnes de ferraille, de bois...
(Photo: AFP)
Située à une quarantaine de kilomètres de l’épicentre du séisme, la plus grande ville de la côte ouest d’Aceh, dans la partie nord de l’île indonésienne de Sumatra, a été ravagée par le Tsunami. Reliés au reste du monde par des hélicoptères, les survivants tentent de redonner à leur vie dévastée un semblant de normalité.

De notre envoyé spécial à Meulaboh.

A Meulaboh, les destructions ont été maximales.
(Photo: AFP)
Un homme s’affaire sur les ruines d’un bâtiment écroulé. Il tente de libérer un filet de pêche prisonnier des décombres. A deux mètres de lui, le corps putréfié d’un enfant  se décompose dans la moiteur équatoriale. Deux semaines après le Tsunami, le ramassage des cadavres n’est pas encore achevé à Meulaboh. Cette ville de la côte ouest d’Aceh, située à une quarantaine de kilomètres de l’épicentre du séisme, est au deux tiers ravagée. La moitié des 56 000 habitants manque à l’appel tandis que les villages qui s’étirent sur la côte sont détruits à quatre-vingt quinze pour cent.  Les routes qui relient la région au reste de la province sont toujours impraticables en raison des ponts effondrés ou des tonnes de sable charriées par une vague d’une quinzaine de mètres de haut.

Les hélicoptères américains, qui effectuent une rotation permanente avec l’aéroport de Banda Aceh, l’ont sortie de son isolement il y a moins d’une semaine. Le travail des secours a pu alors commencer et l’odeur de la mort cède progressivement le pas à l’odeur des cendres. Les survivants fouillent toujours dans les tas de gravats et de taules ondulées à la recherche de quelques objets. Beaucoup en vain, certains pour un maigre profit. «Je n’ai retrouvé qu’une robe», explique une adolescente entourée de son frère et de sa sœur, seuls rescapés d’une famille de sept personnes. Un peu plus loin, une femme, veuve et orpheline de ses enfants, entassent quelques débris. Elle les incendie puis regarde, immobile, ses derniers souvenirs partir en fumée.

Dans le centre ville, ce sont les bulldozers indonésiens et singapouriens qui s’occupent de faire le ménage. Mais les tonnes de ferraille, de bois, de vaisselle brisée, de téléviseurs éventrés ou de chaussures dépareillées ne sont pas incinérer sur place. «Trop dangereux», explique l’officier indonésien chargé de l’ouvrage, «nous risquerions d’enfumer la ville et d’intoxiquer les habitants».  Les ruines de Meulaboh sont donc chargées dans des camions et conduits à l’extérieur de la cité, à plusieurs kilomètres à l’intérieur des terres. Mais le travail est lent car les bulldozers et les camions sont en nombre insuffisant. Il est aussi compliqué par les averses diluviennes qui transforment les décombres en marécages boueux. Les trombes d’eau ne viennent plus de la mer mais du ciel. Il pleut des cordes à Meulaboh, nous sommes au pic de la saison des pluies sur l’île de Sumatra.

«Nous serons paysans au lieu d’être pêcheurs»

C’est aussi dans une campagne inondée que se sont réfugiés la centaine de rescapés d’un village côtier entièrement détruit. Dans ce centre d’évacuation, planté en bordure de la jungle, presque au pied des la chaîne de montagnes qui recouvrent le Nord de Sumatra, on vit encore dans le traumatisme de la déferlante meurtrière.  «Nous ne voulons pas rentrer chez nous», s’exclame, la voix rempli d’effroi, l’homme que les réfugiés semblent considérer comme leur porte-parole. «Nous rebâtirons nos maisons ailleurs, loin de la mer, nous changerons de métiers, nous serons paysans au lieu d’être pêcheurs».  Dans ses poches, il conserve comme des trésors des petits bouts de papier. Au stylo-bille, les premières ONG à atteindre la zone ont inscrit la date de leur première visite et fixé celle du prochain rendez-vous. Les colis alimentaires tardent à arriver jusqu’ici. Pourtant le ballet des hélicoptères est permanent à Meulaboh.

Les gros porteurs américains arrivent de Banda Aceh après quarante-cinq minutes de vol; les Singapouriens travaillent à partir d’un porte-hélicoptère mouillant au large des côtes. Les «alliés de l’aide internationale» ont construit deux petits héliports car l’aéroport, situé à une trentaine de kilomètres de la ville, est encore inaccessible par la route. Le premier a été improvisé dans le jardin du commissariat central de la police et le second sur un terrain vague, en bord de mer, au milieu des débris de l’un des quartiers les plus sinistrés de la ville. Les cargaisons sont débarquées en quelques minutes et confiées aux militaires indonésiens qui assurent la distribution à la population. Les Singapouriens, très présents, utilisent aussi des barges de débarquement. On s’active donc, mais les moyens sont encore dérisoires pour faire face à une crise humanitaire d’une telle ampleur.

Les bancs dégarnis des salles de classe

Les hélicoptères transportent en priorité la nourriture et les blessés les plus graves. Quand il reste de la place, ils embarquent les personnels humanitaires. Résultat: les ONG ont pris tardivement pied dans la zone et en sont toujours à des missions d’évaluation. Mais en dépit du deuil et des privations, les survivants de Meulaboh tentent de redonner un semblant de normalité à leur vie dévastée. En début de semaine, les enfants sont retournés à l’école pour un décompte des morts et des vivants. Ici comme ailleurs, ce sont les plus jeunes qui ont payé le plus lourd tribut au dernier courroux de la mer. Le défilé de cette jeunesse rescapée a redonné un peu de souffle à la ville. Ils ont sillonné les rues par grappes, revêtus de leur uniforme, chemise blanche et bas bleu, pantalon pour les garçons et jupe tombante aux genoux pour les filles. La rentrée scolaire est pour bientôt, en milieu de semaine sans doute.

Les professeurs et le gouvernement local ont convenu de reprendre les cours envers et contre tout. «La vie doit continuer, nous devons donner l’exemple», explique cette jeune enseignante, la chevelure couverte d’un voile de couleurs scintillantes, qui ne sait pas encore combien de ses élèves sont morts. Mais les infrastructures manquent. Des écoles sont entièrement détruites, d’autres ont été transformées en camps de réfugiés. Ce sera donc la pagaille dans les cours de récréation où des tentes seront installées, avec des tapis au sol en guise de pupitres. Les quelques bus encore en état de marche seront réquisitionnés pour conduire les plus petits dans les écoles des villages situés à l’intérieur des terres, ceux donc que la raz-de-marée n’a pas atteint. Les enseignants, qui ont perdu beaucoup des leurs, sont déterminés. Mais ils appréhendent aussi le traumatisme des enfants lorsqu’ils découvriront les bancs dégarnis des salles de classe.


par Jocelyn  Grange

Article publié le 11/01/2005 Dernière mise à jour le 11/01/2005 à 11:42 TU