Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Sciences

Les physiciens sortent de leur tour d’ivoire

Le président de l'Académie des Sciences, Edouard Brézin.(Photo: AFP)
Le président de l'Académie des Sciences, Edouard Brézin.
(Photo: AFP)
Les physiciens, confrontés à des interrogations multiples, ont l’humilité de reconnaître qu’ils ne sont encore qu’à l’aube de découvertes incommensurables restant à faire. Pourtant, la relève n’est pas là, et dans le monde entier on assiste à un recul du succès des filières scientifiques auprès des jeunes étudiants. L’UNESCO a donné jeudi 13 janvier le coup d’envoi d’une Année mondiale de la physique pour sensibiliser ces jeunes à l'intérêt que représente la recherche fondamentale. En France, les opérations de sensibilisation démarreront le 25 janvier. Présentation du projet avec Edouard Brezin, physicien et président de l’Académie des sciences.

RFI : Jeudi 13 janvier s’ouvrait à l’UNESCO une grande conférence internationale intitulée «Physique pour l’avenir», qui inaugurait l’Année mondiale de la physique. Pourquoi cette discipline est-elle mise à l’honneur ?

Edouard Brezin: Durant deux jours, après une séance solennelle d’ouverture, des conférences scientifiques données par des conférenciers prestigieux et plusieurs prix Nobel à l’intention du grand public doivent évoquer le rôle de la physique dans la vie de tous les jours, et souligner les liens de la physique avec des champs disciplinaires très variés. Cinq cent jeunes, en provenance de 70 pays, vont pouvoir pendant deux jours rencontrer et questionner des chercheurs et des autorités qui ne sont pas venus là pour parler entre-eux, entre spécialistes, mais pour répondre aux esprits curieux, et pour sensibiliser les jeunes aux enjeux du XXIème siècle. Le but recherché est de promouvoir la physique, et d’inciter les étudiants à choisir des filières scientifiques.

RFI : Est-ce à dire que ces filières sont méconnues ?

EB : On constate dans tous les pays une réelle désaffection de ces filières scientifiques. On constate aussi que les jeunes leur préfèrent les filières de la gestion et du management qui vont de fait se trouver rapidement engorgées. On ne se l’explique pas. Tant de domaines restent à explorer dans le domaine très porteur des sciences. Nous n’en sommes qu’aux  balbutiements de découvertes exaltantes: à titre d’exemple, l’univers que nous connaissons ne représente que 3% de l’énergie qu’il contient, ce qui signifie que 97% reste encore inconnu, c’est extraordinaire ! Avec cette grande opération de communication autour de l’intérêt de la recherche en physique, notre but recherché est de réveiller des vocations.

RFI : Qui a eu l’initiative d’une Année mondiale de la physique ?

EB : Il semble juste d’attribuer la paternité de cette initiative au confrère, Martial Ducloy, qui présidait il y a deux ans la Société européenne de physique. Constatant un recul de fréquentation des filières scientifiques, nos confrères allemands ont alors mis la physique à l’honneur en 2000. Ils ont multiplié rencontres et communications pour sensibiliser le grand public. Ce fut un véritable succès: à la fin de l’année, ils enregistrait 25% d’inscriptions universitaires supplémentaires par rapport aux années précédentes dans ces disciplines. C’est énorme, mais ce n’est pas disproportionné du tout en regard des vastes ouvertures d’avenir pour la recherche. Deux ans après, on généralise donc l’expérience. La Société française de physique a tout de suite emboîté le pas; les organisations internationales, et l’UNESCO également. Ceci étant, si tous les physiciens du monde entier se sont mobilisés, chaque pays a été libre du choix de ses stratégies de communication et de ses initiatives pour répondre au mieux à ses propres besoins.

RFI : Quand on dit «physique», on place tout de suite le curseur sur un nom, celui du physicien allemand «Albert Einstein». L’Année mondiale de la physique est placée sous sa bannière ?

EB : Tout à fait.  On ne présente plus Einstein, cet ingénieur allemand qui entra au Bureau des inventions techniques en 1902, et qui consacrait tous ses loisirs à l’étude des problèmes fondamentaux de la physique. En 1905 il publia cinq mémoires d’une importance décisive pour l’évolution des sciences au XXème siècle. Les trois parutions qui dessinaient dès lors de  grandes directions fondatrices sont: la théorie de la relativité ; la théorie de l’effet photoélectrique, qui est à l’origine du concept de photon et de la mécanique ondulatoire -c’est pour ce travail, et non pour la théorie de la relativité qu’il remporta d’ailleurs le prix Nobel ; et la théorie du mouvement dit brownien, dont il établit la théorie statistique, et qui permit au Français Jean Perrin de mesurer le nombre d’atomes dans un grain de matière.

RFI : Si vous aviez à définir trois très grands enjeux pour le XXIème siècle, quels seraient-ils ?

EB : Oh, il y en a tant ! Je signale à l’occasion qu’un collectif d’auteurs dont je fais partie vient d’ailleurs de sortir aux éditions Odile Jacob un ouvrage intitulé Demain, la physique. Nous n’avons pas écrit ce livre pour dire de manière narcissique «regardez comme nous sommes grands et forts, et tout ce que nous avons trouvé». Non, bien au contraire, nous avons voulu soulever toutes les questions que nous nous posons ! Mais si je ne dois retenir que trois axes, je mets en avant : la connaissance encore très limitée que nous avons de l’univers ; le fait que les progrès actuels de toutes les sciences réunies (biologie, médecine, informatique et physique) font avancer les progrès dans le domaine de la santé ; et j’ajoute que des progrès en information quantique risquent, avec les nanosciences [sciences explorant l’infiniment petit], de jouer un grand rôle en permettant d’élaborer des mesures autrement qu’avec les moyens technologiques dont nous disposons aujourd’hui.

RFI : Quel est le message que vous voulez mettre en avant ?

EB : Ce qu’il faut bien souligner, c’est que le XXème siècle n’est pas sorti du hasard, mais d’une compréhension tout à fait basique de la mécanique de la matière, et de la relativité de la matière, et que c’est grâce aux progrès fondamentaux effectués en laboratoire -certes, difficiles à expliquer car ils sont le fait d’années de recherche de spécialistes- que les technologies de la communication et de l’information ont par exemple connu un essor prodigieux. Mais tous les domaines sont marqués par les progrès effectués en physique. En choisissant Yves Parlier, le navigateur, comme parrain de l’Année de la physique en France, on a souligné la diversité des champs couverts par la discipline : pour ses courses transatlantiques en solitaire sur son catamaran, le navigateur a dû faire appel à de nouveaux matériaux très résistants pour les multicoques, à la mécanique des fluides pour la propulsion, à la météorologie, et au GPS pour la navigation, sans oublier les contacts radio. D’autres recherches avancées mettant en jeu l’ensemble des compétences des sciences physiques lui seront aussi nécessaires pour battre de nouveaux records avec son hydroplaneur.

RFI : Concrètement, en France, quel est le programme des manifestations prévues ?

EB : Le coup d’envoi de l’Année de la physique en France aura lieu à Lyon, le 25 janvier. Tous les chercheurs et les physiciens y ont rendez-vous. Seront alors communiquées les différentes manifestations, très variées, qui vont aller des conférences grand public sur par exemple les enjeux de la lumière ou bien les évolutions de l’imagerie médicale, jusqu’aux expositions thématiques comme par exemple Einstein et la musique, sans oublier des représentations théâtrales évoquant les avancées scientifiques, ou bien encore des manifestations spectaculaires et ludiques comme de gigantesques projections d’eau par les pompiers, sous des projecteurs, pour inciter le public à réfléchir au phénomène de l’arc-en-ciel. Il y a eu appel à idées et à imagination. Cela a été extrêmement fécond.


par Dominique  Raizon

Article publié le 14/01/2005 Dernière mise à jour le 17/01/2005 à 15:47 TU