Presse
Le secret des sources en question
(photo : AFP)
Jeudi matin, la double perquisition et les saisies effectuées au siège des deux titres de la presse nationale, L’Equipe et le Point, ont provoqué la stupéfaction, l’indignation et la colère parmi les journalistes. « Nous sommes choqués », écrivait vendredi matin le directeur général de L’Equipe, tandis que la Fédération nationale de la presse parisienne évoquent des méthodes « inadmissibles et inacceptables ». L’organisation de défense des journalistes Reporters sans frontières dénonce « une gesticulation judiciaire qui a pour seul but d’impressionner les sources des journalistes ». La Société des rédacteurs (SDR) du Point estime dans un communiqué que « cette perquisition, un événement rare dans l’histoire de la presse française, est en effet une atteinte grave portée au secret des sources des journalistes et à la liberté de la presse ». La SDR du Figaro « apporte tout son soutien à ses confrères et s’indigne devant de telles pratiques attentatoires à la liberté de la presse ».
Les recherches ont a été menées simultanément par deux juges. Les sièges des deux journaux et les domiciles de deux membres de la rédaction de L’Equipe ont été visités. Aucune poursuite judiciaire n’a été lancée contre les journalistes, mais des documents et du matériel informatique ont été saisis. En matière de presse, c’est un dispositif exceptionnel qui a donc été déployé pour tenter d’identifier qui est à l’origine des informations publiées par les deux titres.
Juger sereinement ou publier rapidement
Car les événements de jeudi, outre la contradiction qu’ils révèlent entre les missions de la justice et de la presse (juger sereinement ou publier rapidement), s’inscrivent dans le long travail d’enquête pour « violation du secret de l’instruction » dans l’affaire de l’équipe cycliste Cofidis, dont plusieurs membres sont soupçonnés de trafic et usage de produits dopants lors du tour de France 2003. Cette partie du dossier avait été ouverte en début d’année 2004 par le tribunal de Nanterre, en banlieue parisienne. Quelques semaines plus tard, dans un article très bien informé du 22 janvier, Le Point rapportait en effet des retranscriptions de procès-verbaux tout droit sortis du dossier d’instruction, théoriquement protégé par le fameux secret. Le 9 avril 2004, L’Equipe à son tour publiait de larges extraits des auditions de plusieurs coureurs de l’équipe Cofidis. Le travail d’information a été rigoureusement effectué mais, selon une source judiciaire citée par Libération le mois dernier, « l’enquête sur le dopage a été dynamitée par cette médiatisation précoce ».
Aussi désagréable soit-il pour la justice de voir ainsi malmenés ses principes et entravé par la divulgation le bon déroulement de son travail, il n’est cependant pas certain que le travail de la presse soit principalement en cause dans ce dernier épisode. D’une part les journalistes ne sont pas liés par le secret de l’instruction. D’autre part, l’histoire est compliqué par « une affaire dans l’affaire » car la procédure a été « polluée » par la mystérieuse apparition de faux procès-verbaux d’interrogatoire et la falsification d’expertises ADN qui ont fragilisé l’accusation et semé le doute sur la fiabilité de certains milieux proches de l’enquête. En clair : l’hypothèse selon laquelle la source recherchée pourrait se trouver au sein de l’institution policière, ou judiciaire, est pertinente.
Menace pour le journalisme d’investigation
C’est donc un jeu de billard à plusieurs bandes. Derrière le caractère spectaculaire du coup porté aux journalistes il y aurait la volonté pour l’institution judiciaire et son bras policier de démasquer la brebis galeuse qui, ignorant son devoir de réserve, alimente la presse et perturbe l’instruction du dossier. La police des polices (Inspection générale des services, IGS) est sur le coup. Des inspecteurs de l’IGS participaient aux perquisitions de jeudi et la carte de visite d’un policier fait partie des documents saisis. Parmi les réactions, le Syndicat national des officiers de police a également vivement réagi en soulignant que les fuites dont a bénéficié la presse ne sont pas forcément le fait des enquêteurs.
La direction du Point a maintenu qu’elle ne livrerait pas ses sources. Le mois dernier son PDG, Franz-Olivier Giesbert, avait reçu une lettre de la juge d’instruction Katherine Cornier lui réclamant la liste des collaborateurs de la rédaction avec leur numéro de téléphone et de fax. Il avait évidemment refusé, se bornant à lui adresser l’organigramme du Point, tel qu’il est publié chaque semaine par l’hebdomadaire. Aujourd’hui M. Giesbert est conforté dans sa position. Selon lui, il est « absolument impossible de donner ses sources, parce que si un journaliste commence à donner ses sources, il n’est plus digne d’exercer cette profession, il est même urgent qu’il change de métier ».
Certes, certes… Néanmoins en dépit du droit à la protection des sources que reconnaissent aux journalistes le code de procédure pénale et la Cour européenne des droits de l’Homme, le principe est de plus en plus contesté devant les tribunaux qui contournent la difficulté en re-qualifiant l’accusation en « recel de violation (…) » ou « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Plusieurs affaires au cours de ces derniers mois, au Portugal, aux Etats-Unis, et aujourd’hui en France, ont renforcé cette fragilité qui, à terme, pourrait s’avérer menaçante et dissuasive pour les journalistes d’investigation.
par Georges Abou
Article publié le 14/01/2005 Dernière mise à jour le 14/01/2005 à 17:26 TU