Elections irakiennes
Les forces politiques en présence
Quelque douze millions d’Irakiens sont appelés à choisir parmi une centaine de listes de candidats leurs représentants à l’Assemblée nationale transitoire irakienne qui aura en charge la rédaction dans les prochains mois de la nouvelle Constitution.
Les principales listes
Les grands absents
- Alliance irakienne unifiée
Cette coalition d’une quinzaine de partis principalement chiites est la grande favorite des élections du 30 janvier. Elle est dominée par le Conseil suprême pour la révolution islamique en Irak (CSRII) dirigé par Abdelaziz al-Hakim. Ce mouvement qui regroupe plusieurs formations chiites est né en exil en 1982 dans l’Iran voisin où plusieurs dignitaires religieux avaient trouvé refuge à la suite des persécutions menées contre la minorité chiite par le régime baasiste. Mis en place, avec l’aide du gouvernement de Téhéran, par Mohammed Baqr al-Hakim –assassiné en août 2003 lors d’un attentat meurtrier à Najaf quelques semaines après son retour d’exil–, le CSRII disposait jusqu’à la dissolution officielle, en juin dernier, des milices irakiennes d’un bras armé : la brigade Badr. Forte de quelque 15 000 hommes, elle est devenue depuis l’organisation Badr.
L’Alliance irakienne unifiée compte également des représentants du parti islamique Daaoua, une des plus anciennes formations chiites –basée principalement dans le sud du pays– qui s’est scindée en deux après la chute du régime de Saddam Hussein à la suite de dissensions internes. Les deux branches de ce mouvement ont cependant mis de côté leurs différends pour participer de façon unitaire aux élections du 30 janvier.
Le Congrès national irakien du très controversé Ahmed Chalabi participe également à cette coalition. Cette formation, qui n’a aucune base populaire, est née d’une volonté de regrouper l’opposition irakienne en exil après l’invasion en 1990 du Koweït. Son leader, qui est arrivé en Irak dans les bagages de l’armée américaine, est aujourd’hui fortement contesté par ses anciens alliés qui l’accusent de collusion avec l’Iran. Ahmed Chalabi, qui se définit comme un chiite laïc, n’est pas non plus très bien vu du gouvernement d’Iyad Allaoui qui a encore récemment ouvertement menacé de le poursuivre en justice pour corruption.
Bien que dominée par les chiites –communauté majoritaire en Irak–, la liste Alliance irakienne unifiée, qui comprend 228 candidats, se veut représentative de toute la société irakienne. Elle regroupe deux formations turcomanes, quatre mouvements failis –kurdes de confession chiite qui représentent 2% de la population kurde– ainsi que des yézidis improprement désignés comme «les adorateurs du diable». Cette petite communauté de langue kurde forte de quelques milliers de personnes est adepte d’une religion syncrétique mêlant islam, christianisme et d’antiques superstitions kurdes installée essentiellement au nord et à l’est de Mossoul. La liste Alliance irakienne unifiée a officiellement reçu le soutien du grand ayatollah Ali Sistani, personnalité religieuse très respectée des chiites qui depuis l’invasion de l’Irak plaide pour des élections libres que sa communauté, écartée du pouvoir pendant des décennies par le régime baasiste, est assurée de remporter.
- Liste irakienne
Le Premier ministre Iyad Allaoui compte sur cette coalition qui regroupe six formations laïques pour conforter sa position sur l’échiquier politique. La Liste irakienne, qui présente 223 candidats parmi lesquels plusieurs notables tribaux et des personnalités indépendantes, est d’ailleurs largement dominée par son parti, le Mouvement de l'Entente nationale (MEN). Créée en 1976 à Londres par des dissidents du parti baas, cette formation, qui fête l’année prochaine ses trente ans, ne dispose cependant pas d’une assise populaire importante en Irak. Mais elle compte bien étendre son influence grâce à la politique menée ces derniers mois par son leader,. Iyad Allaoui a d’ailleurs décidé de conduire en personne la Liste irakienne. Disposant grâce à sa fonction de moyens importants, notamment dans les médias, il a largement centré sa campagne sur le thème du «rétablissement de la sécurité». Et dans l’espoir de se concilier les opposants à l’occupation américaine de l’Irak, il s'est également fixé comme priorité la construction d'une armée et des forces de l'ordre efficaces et performantes pour «demander le retrait des forces étrangères suivant un calendrier précis». Le Premier ministre sortant a souligné, à plusieurs reprises, que l'«unité nationale serait au centre de son action» en cas de victoire et qu'il oeuvrerait à diversifier l'économie pour qu'elle ne dépende plus uniquement du pétrole.
- Irakiyoun
La liste présentée par le président intérimaire Ghazi al-Yaouar est en concurrence directe avec celle de son Premier ministre Iyad Allaoui. A en croire la presse irakienne, les deux hommes devaient dans un premier temps rejoindre la même coalition mais ont dû abandonner leur projet faute d’être parvenus à un accord sur la personnalité qui conduira leur liste aux élections du 30 janvier. Mais le malaise entre ces deux personnages centraux de la vie politique irakienne est bien plus profond puisque Ghazi al-Yaouar a, à plusieurs reprises ces derniers mois, contredit publiquement le chef de l’exécutif irakien notamment sur la question des élections dont il a encore récemment demandé le report. La liste Irakiyoun –les Irakiens– est majoritairement composée de chefs de tribus influents, aussi bien chiites que sunnites. Elle est conduite par un cousin de Ghazi al-Yaouar, cheikh Fawaz. Le président, qui appartient lui-même à la très puissante tribu des Chammar qui s’étend de la Syrie, au nord, jusqu’aux confins du royaume des Saoud, au sud, en passant par la Jordanie, le Yémen et bien sûr l’Irak, se plait à rappeler que «90% des Irakiens restent très attachés à leurs liens tribaux». Un pourcentage largement contesté par les chercheurs qui évoquent une proportion deux fois moindre. Le score de la liste Irakiyoun aux élections du 30 janvier devraient les départager.
- Alliance du Kurdistan
Les deux frères ennemis du Kurdistan irakien, Massoud Barzani et Jalal Talabani, ont décidé d’enterrer la hache de guerre pour présenter, avec neuf autres petites formations kurdes, une liste commune aux élections du 30 janvier. Leurs deux mouvements, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) –qui contrôle depuis 1991 le nord et le nord-est du Kurdistan irakien– et l’UPK, l’Union patriotique du Kurdistan –basée à Souleymania et qui étend son autorité sur tout le sud-est de ce territoire– partagent, il est vrai, les mêmes revendications pour l’instauration en Irak d’un régime parlementaire, démocratique et multipartite, au sein d’un système fédéral. Les Kurdes tiennent en effet plus que tout à l’autonomie qu’ils ont chèrement acquise en avril 1991 grâce à la communauté internationale après la dure répression de leur soulèvement par le régime de Saddam Hussein. Ils craignent en effet de voir leur statut remis en cause lors de la rédaction de la Constitution permanente par l’Assemblée nationale transitoire, même si leur autonomie a été reconnue dans la Constitution provisoire adoptée en mars 2004.
- Union du peuple
Cette liste, qui compte 275 candidats parmi lesquels 91 femmes, est présentée par le Parti communiste irakien (PCI) de Hamid Majid Moussa qui espère que les élections du 30 janvier permettront à sa formation de se refaire une santé après la dure répression dont elle a été victime sous le régime de Saddam Hussein. Fondé en 1934, le PCI, qui est le plus ancien parti communiste du monde arabe, a en effet été l’un mouvements les plus puissants du pays. Il avait notamment séduit d’emblée de nombreux chiites dont il a été pendant des années le vecteur des frustrations sociales, le pouvoir étant concentré entre les mains de la minorité sunnite. Son succès auprès des Irakiens s’explique aussi largement par l’absence en son sein de ségrégation confessionnelle et par son organisation calquée sur le modèle soviétique. Sous le régime baasiste, le parti a payé ses sympathies pour les autonomistes kurdes et son soutien à Damas alors opposé à la politique pro-occidentale de Bagdad. Et pendant la première guerre du Golfe qui a opposé l’Irak à l’Iran, le PCI s’est rapproché de la République islamique.
- Rassemblement des démocrates indépendants
La formation laïque conduite par Adnane Pachachi, l’ancien chef de la diplomatie du premier gouvernement civil mis en place après la chute de la monarchie en 1958, a longtemps hésité avant de finalement présenter sa liste aux élections du 30 janvier. Elle a été à l’origine d’une initiative appelant à un report de six mois du scrutin dans l’attente d’une amélioration des conditions de sécurité qui se sont considérablement dégradées ces derniers mois dans les régions sunnites. Mais face à l’intransigeance affichée non seulement par les chiites, majoritaires en Irak, mais aussi par le gouvernement d’Iyad Allaoui et de ses alliés américains, le Rassemblement des démocrates indépendants s’est résigné à participer au scrutin avec une liste de 70 candidats, garantissant ainsi une présence minimale des sunnites aux premières élections libres de l’après-Saddam. Une autre formation sunnite, le Parti national démocrate de Nassir Chaderchi, également favorable à un report de la consultation, présente une liste de douze personnalités.
Les grands absents
- Le Parti islamique irakien
La principale formation politique sunnite s’est alignée sur la position du très influent Comité des oulémas qui a appelé au boycott des élections du 30 janvier. Le Parti islamique irakien avait pourtant présenté une liste de 275 candidats, soit autant que le nombre de sièges de l’Assemblée nationale transitoire qui doit être élue, avant de se retirer de la course, officiellement en raison des violences qui secouent le pays sunnite. «La situation est très grave et il y a plus de six provinces –sur les dix-huit que compte le pays– où le scrutin ne pourra pas se tenir de manière normale», avait notamment justifié Mohsen Abdel Hamid, le chef de ce mouvement, ajoutant que «les élections ne pouvaient être crédibles sans la participation de toutes les provinces». Il avait cependant souligné que le retrait de son parti ne signifiait pas qu’il appelait les autres formations sunnites à ne pas participer aux élections. Plus récemment le Parti islamique irakien a toutefois affirmé qu’il rejetterait la Constitution que l’Assemblée issue du scrutin du 30 janvier est chargée de rédiger. «Nous récuserons la légitimité des résultats des élections. L’Assemblée nationale sera dépourvue de légitimité. Nous la récuserons de même que la Constitution qu’elle rédigera», a lancé l’un des ses responsables, révélant un durcissement du principal mouvement sunnite qui laisse présager des tensions à venir.
- Le mouvement de Moqtada al-Sadr
Le jeune imam radical chiite, qui a pendant plusieurs mois défié sur le terrain l’armée américaine avant de se soumettre à l’autorité du grand ayatollah Ali Sistani et du clergé de Najaf, a refusé de participer à des élections qui se déroulent, selon lui, «sous occupation étrangère». Mais Moqtada al-Sadr aurait cependant pris soin de placer quelques-uns de ses proches sur la liste de l’Alliance irakienne unifiée. Depuis le mois d’octobre dernier, date à laquelle une trêve avec le gouvernement irakien et les forces américaines a été conclue, les partisans du chef chiite, sont restés relativement discrets. Et bien qu'il ait remisé pour le moment la lutte armée pour le combat politique –sa milice, l’Armée du Mehdi a officiellement été désarmée– le mouvement reste une force importante dans le pays et son leader continue d'être très populaire. Un de porte-parole de Moqtada al-Sadr a récemment laissé entendre que le refus du mouvement de participer à la vie politique irakienne n’est que provisoire. «A la fin 2005, s'il existe un calendrier de retrait des troupes américaines, le mouvement al-Sadr prendra part aux élections et le large soutien dont il bénéficie dans le pays le conduira à la victoire», a-t-il affirmé.
par Mounia Daoudi
Article publié le 25/01/2005 Dernière mise à jour le 25/01/2005 à 18:21 TU