Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Il y a 60 ans, la libération des camps

Abécédaire de la machine à tuer

Dans le camp d'Auschwitz-Birkenau, une vingtaine de "blocks" en bois restent debout, les autres ont été détruits.(Photo: Franck Alexandre/RFI)
Dans le camp d'Auschwitz-Birkenau, une vingtaine de "blocks" en bois restent debout, les autres ont été détruits.
(Photo: Franck Alexandre/RFI)
La compréhension des réalités du système concentrationnaire hitlérien et du génocide perpétré par les nazis s’appuie sur une terminologie spécifique : celle forgée par les bourreaux pour dissimuler leur projet mais aussi celle définie par les historiens pour décrire la réalité des crimes.

Arbeit macht Frei : « le travail rend libre », devise moralisatrice qui ornait le fronton de plusieurs camps, comme Jedem das Seine (« A chacun son dû », dans le sens « vous avez ce que vous méritez »).

Barbarossa : nom de code de l’invasion de l’URSS à partir de juin 1941. C’est dans le cadre de cette conquête que va se mettre en branle la machine d’extermination. Exterminer les juifs, c’est contrôler les arrières de la ligne de front contre les Soviétiques, grâce à la création de nouvelles unités de tueurs, les Einsatzgruppen. Dans de très nombreux documents, les nazis parlent de la « race judéo-bolchévique ».

Camps de concentration, camps d’extermination : créés dès la prise du pouvoir par les nazis, les camps de concentration ont pour fonction première d’isoler et de rééduquer les « ennemis politiques et/ou sociaux », puis les « asociaux », les handicapés et les homosexuels. Tout cela en dehors des procédures judiciaires. Avec la guerre, le réseau des camps va se transformer en machine à exterminer les nouveaux ennemis, les « races inférieures » que sont les juifs, les Tziganes et les Slaves. Début 1942, six camps deviennent des camps d’extermination. A son extension maximale, le réseau concentrationnaire comptait 23 camps principaux et 1024 annexes appelés kommandos de travail.

Chambres à gaz : elles furent d’abord mobiles et expérimentales, au début de l’opération Barbarossa, dans des camions où les victimes étaient asphyxiés par le monoxyde de carbone des gaz d’échappement de camions ou de chars. Puis les SS expérimentèrent le Zyklon B et enfin, les chambres à gaz furent installés dans les camps. L’historien Raul Hillberg décrit, pour Birkenau, des salles d’une superficie de 210 m², où les bourreaux entassaient jusqu’à 2 000 personnes déshabillées. A partir du moment où les cristaux de Zyklon-B était jeté dans la salle, la mort prenait environ deux minutes.

Dachau : le premier camp de concentration ouvert par les nazis en mars 1933, deux mois après l’arrivée d’Hitler au pouvoir, comme chancelier du Reich. Le 1er décembre, Theodor Eicke, premier commandant de Dachau, promulgue le règlement du camp. « Tolérance signifie faiblesse », écrit-il en préambule, avant de détailler l’ensemble des sanctions applicables aux détenus en cas de fautes. Cela va de la bastonnade à la pendaison publique. Au départ, il s’agit de « rééduquer » par la violence des individus n’ayant commis aucun délit constitué. De 1933 à 1939, 500 000 personnes seront ainsi arbitrairement internées.

Four crématoire : les Krematorium ne sont pas des outils de mise à mort mais un moyen de faire disparaître les corps rapidement et sans laisser de traces. Leur apparition remonte à Dachau où les premiers déportés morts en détention étaient enterrés dans le cimetière municipal de la ville. Très vite, devant le nombre de victimes, la municipalité refusa d’enterrer les victimes. Deux entreprises, allemandes, se partageaient le marché des crématoires. Dans les plus grands, ceux de Birkenau, les Sonderkommandos parvenaient à faire brûler plusieurs milliers de corps chaque jour, non sans avoir au préalable arraché les dents en or et coupé les cheveux des cadavres.

Einsatzgruppen : (groupe d’action, unité mobile d’intervention) lors de l’offensive de l’Est, quatre unités de ce type rassemblent de 500 à 900 hommes. Leur mission n’est pas de combattre, mais de tuer les élites, les résistants et les juifs, à l’arrière de la ligne de front. C’est dans ce cadre que sera formalisé le dispositif de la « solution finale ». Les Einsatzgruppen étaient sous les ordres de Reinhard Heydrich, chef du RSHA, l’homme le plus puissant de la SS après son supérieur, le Reichsführer SS Heinrich Himmler. Entre 1941 et 1943, ils ont exécuté un million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants.

Etoile jaune : pour identifier les juifs, les nazis ont exigé qu’il porte l’étoile jaune. Dans le système concentrationnaire, chaque catégorie de détenus avait son signe distinctif : le triangle vert pour les déportés de droit commun, le triangle noir pour les asociaux, le triangle rouge pour les détenus politiques (les résistants) et le triangle rose pour les homosexuels. Il y avait aussi les « ressortissants rebelles » de l’armée, les Spezialabteilung Wehrmacht, marqués SAW.

Ghetto : quartier créé en milieu urbain par les autorités nazies pour isoler et contrôler la population juive des territoires conquis dans toute l’Europe de l’Est. Leur population était concentrée sur une surface exiguë (le plus grand ghetto, celui de Varsovie, s’étendait sur 300 hectares pour 450 000 personnes). Sans services publics, les ghettos furent très vite ravagés par les épidémies. Administrés par des Conseils juifs, ils furent aussi le lieu de révolte réprimée très violemment par les Allemands. Avec la mise en œuvre de la solution finale, à partir de 1942, les 400 ghettos furent fermés un à un et leur population transférée vers les camps d’extermination.

Holocauste : terme emprunté à la Bible pour désigner la destruction des juifs d’Europe, littéralement, c’est un « sacrifice sanglant exécuté dans un but religieux ». Le mot fut utilisé en Israël à partir des années 50. Trente ans plus tard, Claude Lanzmann utilise le mot Shoah pour son film, terme qui désigne, dans la Torah, la « catastrophe ».

Kapo : c’est le chef, chef de chambre, chef de bloc, chef d’un service. Le kapo est toujours un détenu, souvent un Allemand ou un Polonais, qui dirige les autres. Le principe de la délégation de pouvoirs est essentiel au bon fonctionnement des camps, car il limite les mouvements de révolte en créant une concurrence entre détenus pour ces postes privilégiés. Dans la pratique, les gardes SS n’avaient pas le droit d’entrer dans les camps, afin de limiter  le plus possible les contacts avec les détenus.

Nacht und Nebel : nom donné au décret signé du maréchal Keitel, le chef de la Wehrmacht, le 7 décembre 1941, pour régler le cas des résistants arrêtés par les Allemands dans les territoires occupés par le Reich en Europe de l’Ouest. Ce décret stipule que les prisonniers doivent disparaître sans laisser de traces et qu’aucune information sur leur sort ne doit être donnée à leurs proches. Autrement dit, la nuit et le brouillard. Dans les camps, ces détenus étaient identifiés par l’inscription NN sur leur uniforme. Ils avaient interdiction de communiquer avec les autres.

Pogroms : mot d’origine russe qui signifie « attaque » ou « émeute », car dès la fin XIXe des violences encadrées par les autorités, tsaristes puis bolchéviques, visèrent les juifs d’Ukraine et de Pologne orientale. Hitler voulut organiser le phénomène avec la « Nuit de Cristal » le 9 novembre 1938, au cours de laquelle des synagogues furent incendiées dans toute l’Allemagne. Pendant l’opération Barbarossa, de très nombreux pogroms toucheront les juifs, notamment en Lituanie et en Ukraine, avec bien souvent, la participation de la population locale.

Reichssicherheitshauptampt ou RSHA (Office central de la sécurité du Reich) : service de la SS dirigé par Reinhard Heydrich jusqu’en juin 1942, où il est tué à Prague dans un attentat commis par des résistants tchécoslovaques. Heydrich est lui-même sous l’autorité d’Heinrich Himmler, chef de la SS. La SS fournira aux camps leurs cadres et leurs gardes, les unités Totenkopf, formation « Têtes de mort », en référence à un ancien corps d’élite prussien. Créée en 1925, la SS (Schutzstaffel, escouade de protection) est chargée de la protection personnelle d’Hitler. La SS devient à la fois un corps de police politique et un corps militaire, avec sa propre hiérarchie directement rattachée au Führer. Les SS sont à la fois craints et jalousés par l’armée.

Sonderkommando : le « commando spécial », une équipe de détenus juifs créée à partir de juin 1942 à Auschwitz, pour transporter les corps de la chambre à gaz au four crématoire. Les Sonderkommandos n’avaient pas le droit de parler aux autres détenus, ni même aux SS non-initiés. Au bout de quelques mois, ils étaient à leur tour exterminés. En octobre 1944, l’une de ces équipes se révolta à Auschwitz, révolte qui fut réprimée dans le sang. « C’est le crime le plus démoniaque du national-socialisme, écrit Primo Lévi, il fallait démontrer que les juifs se pliaient à toutes les humiliations, allaient jusqu’à se détruire eux-mêmes. »

Treblinka, Sobibor et Belzec : trois des six camps d’extermination ont complètement disparus, en décembre 1943, rasés par les nazis qui ne voulaient pas laisser de trace de leur forfait. Les SS ont même replanté des arbres sur les sites, situés dans l’est de la Pologne. Les trois autres camps d’extermination sont Chelmno, Auschwitz et Maïdanek où de très nombreux soldats soviétiques furent tués, car les Allemands décidèrent de ne pas leur appliquer les conventions de Genève, l’URSS n’ayant pas signé ce texte.

Untermenschen : les « sous-hommes », l’un des concepts centraux de l’idéologie racialiste nazie. Ce sont les représentants des races inférieures, par opposition aux supérieurs qu’incarnent les aryens. Il s’agit des juifs, ses Tziganes et des Slaves, définis par les lois de Nuremberg en 1935. Parmi les Untermenschen, il faut aussi inclure les « dégénérés », définis dès juillet 1933 : les handicapés physiques ou mentaux, les alcooliques, qui seront soumis à la stérilisation puis à la mise à mort. Le but de cette classification est aussi de faire tomber une barrière psychologique chez les membres de la SS chargés de les exterminer, car une fois « animalisés », les Untermenschen devaient inspirer un sentiment de répugnance et de dégoût.

Wannsee : petite ville dans la banlieue de Berlin où les responsables nazis se réunissent lors d’une conférence, en janvier 1942. L’ordre du jour : les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à la « solution finale du problème juif ». En clair, comment faire pour exterminer les 11 millions de juifs encore présents en Europe ? C’est à ce moment-là que la machine exterminatrice est formalisée, après avoir fait l’objet de nombreuses expérimentations sur le front de l’Est. Sur les six millions de juifs tués pendant la guerre, la moitié sont morts dans les camps.

Zyklon-B : silice saturé d’acide cyanhydrique, sous forme de cristaux qui se transforment en gaz au contact de l’air. C’est un poison mortel extrêmement efficace, provoquant la mort par asphyxie avec une sensation d’angoisse, des vertiges et des vomissements. Son action est maximale à 27°C, ce qui explique la présence de chauffages dans les chambres à gaz. Le Zyklon-B était produit par la Degesh, société spécialisée dans la lutte contre les insectes, filiale du groupe IG-Farben. Comme l’ont montré les travaux récents de l’historienne Annie Lacroix-Riz, en France, le groupe d’Ugine a fabriqué du Zyklon-B pour le compte des Allemands, dans son usine de Villers Saint-Sépulcre (Oise).


par David  Servenay

Article publié le 26/01/2005 Dernière mise à jour le 26/01/2005 à 09:50 TU