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Il y a 60 ans, la libération des camps

Pour que l’Histoire entretienne la mémoire

La cérémonie de commémoration de la libération d’Auschwitz.(Photo : AFP)
La cérémonie de commémoration de la libération d’Auschwitz.
(Photo : AFP)
Le moment le plus fort des cérémonies de commémoration organisées à l’occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau a eu lieu sur le site même de ce centre d’extermination de masse où plus de 1,5 million d’êtres humains, dont au moins un million de juifs, ont été éliminés sans pitié entre 1940 et 1945. Dans la neige et le froid, les participants à cette cérémonie ont rendu hommage à la mémoire des victimes de la barbarie nazie et ont appelé à ne jamais oublier. Mais surtout à ne plus fermer les yeux sur l’horreur.

Avant le devoir de mémoire, il y a eu l’émotion. L’émotion provoquée par la présence de ces survivants des camps de la mort qui ont trouvé la force de revenir là où ils ont vécu des souffrances qui dépassent les mots. Soixante ans après, de nombreux rescapés sont retournés à Auschwitz pour témoigner. Peut-être pour la dernière fois. Ils ont certainement dû faire face à un flot d’images insoutenables lorsque le bruit d’un train entrant dans le camp a retenti à leurs oreilles, venant leur rappeler ce moment dramatique de l’arrivée des convois de déportés. Le grondement des roues des wagons à bestiaux a donné le signal de l’ouverture de la cérémonie de commémoration du soixantième anniversaire de la libération d’Auschwitz par l’Armée Rouge.

Simone Veil, ancienne ministre française et présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, a représenté les juifs déportés à Auschwitz et a apporté son témoignage lors de cette cérémonie. Sobre et sans haine, elle a rappelé simplement : «C’est ici que le mal absolu a été perpétré».

Simone Veil avait seize ans lorsqu’elle a été déportée. Elle a survécu mais n’a pas oublié tous ces êtres humains gazés et brûlés à quelques mètres d’elle simplement «parce qu’ils étaient nés juifs». Elle a témoigné de la souffrance qui ne l’a jamais quittée et du souvenir terrible des innocents sacrifiés par les nazis, de ce «million d’enfants juifs assassinés». «Je pleure encore lorsque je pense à eux et je ne pourrai jamais les oublier».

«Faisons en sorte que cela ne se répète jamais»

Si ce sont les juifs qui ont payé le plus lourd tribut dans l’entreprise d’extermination menée par les nazis, ils n’ont pas été les seuls à être déportés et tués dans les camps. A Auschwitz des prisonniers politiques polonais, des soldats soviétiques, des homosexuels ont aussi subi la folie meurtrière. C’est l’ancien ministre des Affaires étrangères polonais Wladyslaw Bartoszewski qui a représenté ces prisonniers non juifs. Alors que Romani Rose, président des Roms et Sinti d’Allemagne, s’est exprimé au nom des tsiganes déportés parmi lesquels 21 000 ont été assassinés à Auschwitz.

Dire et redire une vérité si longtemps ignorée : c’est en grande partie pour cela que les rescapés ont tenu à assister, à Auschwitz, à une cérémonie qui marquera l’histoire parce qu’elle a réuni autour des témoins directs de l’horreur des camps, de nombreux dirigeants internationaux venus rendre hommage aux victimes mais aussi manifester leur volonté de tout faire pour éviter qu’un tel drame ne se reproduise. Vladimir Poutine, le président russe, a d’ailleurs lancé un appel dans ce sens :  «Faisons en sorte que cela ne se répète jamais».

Le président russe est le seul dirigeant politique à être intervenu lors de la cérémonie avec le président polonais Aleksander Kwasniewski et le président israélien Moshé Katzav. Ce dernier a rappelé qu’Auschwitz est devenu «le plus grand cimetière juif du monde» parce que personne n’a empêché les Allemands de mener leur entreprise meurtrière aussi loin. Il a affirmé que l’absence d’intervention pour empêcher les nazis de continuer à exterminer les juifs d’Europe représentait «une tâche sur la conscience de l’humanité». Il a aussi fait valoir la force des juifs qui se sont relevés «des cendres dispersées dans les camps» et qui ont créé leur Etat, Israël. Mais le président Katzav a surtout mis en garde contre le retour de l’antisémitisme en Europe et a posé une question douloureuse : «Se peut-il que le pouvoir de dissuasion de la Shoah se soit à présent atténué ?».

Et si cette cérémonie ne devait servir qu’à une seule chose, ce serait bien à faire en sorte que ce ne soit pas le cas. Mais les commémorations de la libération des camps, quelle qu’aient été leur ampleur et leur impact, ne peuvent suffire à elles seules à prolonger de génération en génération la conscience du caractère inacceptable du crime commis par les nazis. C’est d’ailleurs pour que les efforts de mémoire ne s’essoufflent pas que différentes initiatives ont été prises. Parmi elles, la signature d’une charte destinée à être envoyée à l’ensemble des dirigeants du monde pour les appeler à rester vigilants face aux résurgences de l’antisémitisme ou de toute autre forme de racisme. Les représentants des prisonniers d’Auschwitz, qui ont pris la parole lors de la cérémonie organisée dans le camp, ont été les premiers à apposer leur paraphe sur ce texte.

Quelques heures auparavant, un forum intitulé «Laissez mon peuple vivre» a été organisé par le Congrès juif européen, l’Institut Yad Vashem de Jérusalem et le ministère de la Culture polonais, à Cracovie, la ville la plus proche d’Auschwitz, en présence de nombreuses personnalités, comme l’ancien déporté Elie Wiesel ou le vice-président américain Dick Cheney, mais aussi de jeunes. Cette manifestation a été conçue comme le point de départ d’une campagne d’éducation européenne. C’est en effet en faisant passer le message de l’histoire auprès des plus jeunes que la transmission de la mémoire pourra continuer. Le président français Jacques Chirac qui était présent à Auschwitz a d’ailleurs rappelé à quel point la mission des enseignants est primordiale «pour que jamais ne s’efface le souvenir».

par Valérie  Gas

Article publié le 27/01/2005 Dernière mise à jour le 27/01/2005 à 18:29 TU