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Elections irakiennes

Les voisins de l’Irak très attentifs

Les régimes des pays voisins de l'Irak observent avec appréhension l'émergence du nouveau pouvoir de Bagdad.(Carte : RFI/SB)
Les régimes des pays voisins de l'Irak observent avec appréhension l'émergence du nouveau pouvoir de Bagdad.
(Carte : RFI/SB)
Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, les Etats voisins de l’Irak suivent avec beaucoup d’attention l’évolution de la situation sécuritaire dans ce pays. Aujourd’hui, à la veille d’un scrutin censé déterminer l’avenir politique irakien, ces Etats ne cachent plus leurs préoccupations face aux réactions d’un nouveau pouvoir qui aura la lourde tâche de mettre fin aux violences et d’empêcher qu’elles ne débordent hors de ses frontières. Certains –les monarchies du Golfe qui sont toutes dirigées par des régimes sunnites– redoutent ainsi de voir émerger un exécutif chiite qui risque, croient-ils, de bouleverser l’équilibre religieux de la région et exporter l’insécurité chez eux. D’autres –des pays comme la Turquie ou la Syrie où vit une importante minorité kurde– craignent de voir renaître les anciennes revendications indépendantistes qu’ils ont jusqu’à présent réussi à étouffer.

S’il est un souhait que semblent aujourd’hui partager tous les Etats voisins de l’Irak, c’est bien celui de voir émerger dans ce pays déchiré par les violences un pouvoir qui soit non seulement représentatif de la mosaïque de communautés qui le constitue mais qui surtout garantisse son unité territoriale. Car leur intérêt bien compris est celui d’éviter que l’instabilité dans laquelle semble s’enfoncer depuis plusieurs mois l’Irak ne se propage à toute la région. A quelques jours des élections du 30 janvier, la multiplication des attaques terroristes laisse en effet craindre une faible participation à ce scrutin dont les résultats ne devraient cependant pas présenter de grande surprise. La communauté chiite, majoritaire en Irak et pourtant écartée du pouvoir pendant des décennies, est en effet assurée de remporter ces élections. Et dans la perspective d’une absence des sunnites à cette consultation –les dirigeants de cette minorité, qui ont appelé au boycott, conteste d’ailleurs d’ores et déjà la légitimité de ce scrutin–, les Kurdes devraient constituer la deuxième force politique du pays.

Tel qu’il se dessine, le nouveau paysage politique de l’après-Saddam n’est donc pas fait pour rassurer les voisins de l’Irak, à part peut-être l’Iran. La République islamique a en effet de bonnes raisons de se réjouir d’une victoire des chiites aux élections de dimanche même si cela ne signifie pas fatalement l’émergence d’un pouvoir théocratique à l’iranienne, comme semble pour le moment le refuser cette communauté. Débarrassé de son pire ennemi qu’était Saddam Hussein, le régime de Téhéran –qui entretient d’excellentes relations avec plusieurs personnalités chiites qui ont trouvé refuge sur son territoire pendant la dictature baasiste– aurait enfin à ses frontières un pouvoir qui ne lui soit plus hostile et cela même si les chiites irakiens se sont jusque-là employés à afficher leurs distances par rapport aux autorités de la République islamique. Sans compter que la stabilisation de l’Irak signifierait aussi pour l’Iran l’accélération du retrait des forces américaines aujourd’hui stationnées à ses portes. 

Inquiétude des monarchies du Golfe

Mais cette perspective de voir arriver au pouvoir des chiites est loin de réjouir les dirigeants arabes sunnites de la région qui redoutent plus que tout une déstabilisation de leur régime. De la monarchie saoudienne à celle du Bahreïn –où la population est d’ailleurs majoritairement chiite– les gouvernants craignent en effet que la mise à l'écart des sunnites irakiens ne cause une guerre civile qui déborderait chez eux. Les chiites représentent en effet près de 12% de la population autochtone des quelque 24 millions d’habitants des six monarchies pétrolières du Golfe que sont l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Omar et le Qatar. A Bahreïn, ils représentent même près des trois quarts des 450 000 citoyens, alors qu'au Koweït, ils forment le tiers de la population estimée à 950 000 habitants. Ils sont enfin près de deux millions en Arabie saoudite sur les 17 millions de personnes que compte la population, principalement concentrés dans la province orientale, riche en pétrole et limitrophe de Bahreïn, du Koweït et du sud irakien à dominante chiite.

Vivant dans des monarchies conservatrices dirigées par des sunnites, les chiites se plaignent souvent de diverses formes de discrimination que ce soit sur le plan politique ou social et notamment au niveau de l'emploi. Jusqu'à encore récemment, les Etats du Golfe leur interdisaient d'accomplir publiquement leurs devoirs religieux. Sans compter que pour beaucoup de radicaux sunnites, comme les wahhabites saoudiens, dont Oussama Ben Laden s'est fait le chantre, tout comme son allié jordanien Abou Moussab al-Zarkaoui, ils considèrent les chiites comme des «apostats» et des «traîtres» à combattre aussi farouchement que les chrétiens et les juifs. Autant dire que l’arrivée d’un pouvoir chiite fort en Irak est observée avec beaucoup de préoccupation dans la région même si pour le moment le mot d’ordre dans les pays concernés est de faire contre mauvaise fortune bon cœur et d’expliquer que les régimes sunnites peuvent parfaitement s’accommoder d’un gouvernement irakien dominé par les chiites.

L’inconnu kurde

Plus au nord, des pays comme la Turquie ou encore la Syrie –qui compte le plus grand nombre de réfugiés irakiens avec environ 400 000 personnes vivant sur son territoire– ne cachent pas non plus leur méfiance face aux Kurdes qui devraient représenter la deuxième force politique de l’Irak. Ankara et Damas craignent en effet l’émergence à leurs frontières d’un «Etat kurde» qui pourraient réveiller des velléités indépendantistes auprès de leur propre communauté kurde. Le gouvernement turque a ainsi récemment saisi les Nations unies pour faire part de ses craintes sur la volonté présumée des Kurdes d’Irak de faire des élections de dimanche un référendum d’indépendance sur les territoires qu’ils contrôlent dans le nord du pays. Plus menaçante, l’armée turque a ouvertement mis en garde les autorités irakiennes contre toute volonté de modifier la répartition ethnique de la ville pétrolière de Kirkouk, foyer de fortes tensions ces derniers mois. Selon l’adjoint au chef d’état-major, un tel changement conduirait fatalement à une guerre civile nuisible à la Turquie.


par Mounia  Daoudi

Article publié le 27/01/2005 Dernière mise à jour le 27/01/2005 à 18:32 TU