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Mondialisation

Quand Davos répond à Porto Alegre

Au Forum économique de Davos comme au Forum social de Porto Alegre, un dossier commun: la pauvreté dans le monde.(Photos: AFP)
Au Forum économique de Davos comme au Forum social de Porto Alegre, un dossier commun: la pauvreté dans le monde.
(Photos: AFP)
Lors du forum économique mondial de Davos, le gotha du monde des entrepreneurs et des dirigeants internationaux a mis, cette année, sur la table des discussions le problème de la pauvreté. Les membres du club fermé des riches, qui n’a cessé de s’ouvrir durant les dernières années, ont abandonné le créneau exclusif de la libéralisation de l’économie. Il ont intégré la nécessité de prendre en compte les attentes des exclus de la mondialisation qui se réunissent, au même moment, au Forum social mondial de Porto Alegre. Jacques Chirac, le président français, et Tony Blair, le Premier ministre britannique, ont participé à ce nouveau positionnement en plaidant, devant le Forum, en faveur du développement et de la solidarité, avec l’Afrique notamment.

Après l’opposition sans concession, le temps est venu de la cohabitation de raison. Davos et Porto Alegre, le cénacle des entrepreneurs et l’assemblée des alter-mondialistes, ont choisi la coexistence pacifique. Pour preuve, le président brésilien Lula se livre une nouvelle fois à l’exercice, de moins en moins périlleux, d’une participation aux deux forums qui se tiennent au même moment mais à quelques milliers de kilomètres d’écart. Ouvrier militant, il a été le chantre du combat des pays pauvres pour accéder à une économie mondiale jugée inéquitable. Devenu chef de l’Etat, il entend aujourd’hui «entamer un dialogue pour replacer la condition humaine dans le cours de l’histoire». Et défend coûte que coûte l’idée que «des champs communs entre le Forum social mondial de Porto Alegre et le Forum économique mondial de Davos sont possibles».

A en croire les participants de Davos, Lula a raison. Invités à choisir sur une liste d’une douzaine de thèmes majeurs, près de 64 % d’entre eux ont placé la pauvreté en tête des priorités auxquelles ils devaient s’intéresser. Plus de la moitié ont, en outre, estimé que la mondialisation équitable et le changement climatique étaient des thèmes essentiels. L’éducation, le conflit au Proche-Orient et la bonne gouvernance ont aussi pris le pas sur des sujets comme la libéralisation des échanges, dont on aurait pourtant pu imaginer qu’elle était au cœur des préoccupations des entrepreneurs réunis dans la station de ski suisse qui abrite le Forum économique mondial.

Jacques Chirac a donc bien choisi son moment pour intervenir, pour la première fois, devant les quelques 750 entrepreneurs et autres dirigeants politiques ou économiques réunis à Davos. Contraint par la force d’une tempête de neige imprévue à ne pas tenter l’expédition en hélicoptère jusque dans les Grisons, le président français a dû se contenter d’une intervention par visioconférence. Quoi qu’il en soit, il a saisi l’occasion pour délivrer de nouveau son message en faveur des plus défavorisés et demander à la communauté internationale de se mobiliser en faveur du développement.

Transactions internationales, carburant, billets d’avion, secret bancaire…

Jacques Chirac a proposé des pistes en vue de mobiliser des fonds pour la lutte contre le sida dans les pays pauvres et atteindre le palier des 10 milliards de dollars annuels nécessaires pour être efficace. Il a ainsi suggéré de mettre en place «à titre expérimental», une «contribution sur les transactions financières internationales». Il ne s’agirait pas «de la taxe Tobin», a pris soin de préciser le président français, pour éviter une opposition immédiate des Etats-Unis qui ont déjà refusé cette proposition faite il y a plusieurs années. Ce prélèvement serait, en effet, limité et n’excéderait pas un dix millième d’une «fraction» des transactions financières. Jacques Chirac a aussi évoqué d’autres solutions comme celle d’une contribution sur le carburant utilisé dans les transports aérien et maritime, ou d’un prélèvement d’un dollar sur les trois milliards de billets d’avion vendus chaque année dans le monde. Il a même évoqué une possibilité osée : prélever un pourcentage sur les flux de capitaux étrangers entrants et sortants des pays qui préservent le secret bancaire, à titre de compensation pour l’évasion fiscale qu’ils provoquent. Une proposition jugée «bizarre» par les banquiers suisses présents à Davos.

Quelles qu’aient été les garde-fous proposés par Jacques Chirac, et notamment l’engagement «qu’il ne saurait être question d’outrepasser la souveraineté et les compétences fiscales des Etats», sa méthode ne fait pas l’unanimité. Même auprès des gouvernants les plus proches de ses positions. Le chancelier allemand Gerhard Schröder qui partage les préoccupations du président français concernant le développement et la lutte contre le sida, est resté prudent face à l’idée de la création d’une taxation sur les transactions internationales dont il entrevoit l’effet répulsif sur certains pays industrialisés. Il a plutôt soutenu la position de Tony Blair sur la mise en place d’une institution financière internationale «qui nous aide à court terme à faire en sorte que les objectifs du millénaire soient atteints».

Ouvrir les marchés

Le Premier ministre britannique a, en effet, lui aussi essayé d’attirer l’attention des participants au Forum de Davos sur la nécessité de réduire la pauvreté en Afrique. Depuis plusieurs semaines, la Grande-Bretagne, qui occupe la présidence tournante du G8, a fait part de son intention de mobiliser la communauté internationale en faveur de l’aide au développement de ce continent. Le ministre des Finances britannique, Gordon Brown, a même parlé de mettre en œuvre un nouveau «Plan Marshall» pour atteindre cet objectif. A Davos, Tony Blair a plaidé pour l’ouverture des marchés des pays riches aux produits des pays africains mais aussi pour la réduction des subventions octroyées par les Etats du Nord à leurs producteurs de matières premières comme le coton ou le sucre.

Dans cette optique, la prochaine réunion de négociation du cycle de Doha à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), prévue à Hong Kong en décembre 2005, sera importante. La conclusion d’un accord commercial qui respecte les intérêts de tous, après plusieurs tentatives avortées, pourrait constituer une avancée majeure. Tony Blair et Jacques Chirac ont d’ailleurs, tous les deux, incité les représentants des 148 Etats membres de l’organisation à travailler pour y parvenir. Il faut, selon le président français, «replacer les préoccupations des pays les plus pauvres, notamment d’Afrique, au premier rang des objectifs du cycle de Doha».

par Valérie  Gas

Article publié le 28/01/2005 Dernière mise à jour le 28/01/2005 à 17:49 TU

Audio

Marc Lebeaupin

Envoyé spécial pour RFI à Davos

«Depuis l'intervention de Jacques Chirac, tous les discours tournent autour de la question du financement de l'aide au développement.»

Chico Whitaker

L'un des organisateurs du Forum social mondial

«Nous ici au forum [Porto Alegre], nous sommes convaincus que les choses ne changent pas l’uniquement par l’action des gouvernements.»

Le 5e forum social mondial

Par Karim Lebhour

«Un altermondialtiste : c’est ici [Porto Alegre] que je construit l’avenir. Davos c’est un lieu où se pensent les politiques d’hier, les politiques qui croyaient que grâce au libre marché le monde allait être plus heureux.»