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Elections irakiennes

Scrutin législatif, un exercice à haut risque

Ultimes préparatifs d'avant-vote dans un bureau électoral du centre de Bagdad.(Photo: AFP)
Ultimes préparatifs d'avant-vote dans un bureau électoral du centre de Bagdad.
(Photo: AFP)
Le paysage est ceinturé de fils barbelés et ponctué d’explosions: les violences qui se sont multipliées entre vendredi et samedi viennent sans cesse rappeler la fragilité du processus électoral en Irak. Malgré des mesures de sécurité draconiennes, les attentats quotidiens installent un climat de terreur qui se veut dissuasif, alors qu’il s’agit pour le pays d’élire une Assemblée nationale susceptible de modifier le cours de son histoire.

Les Irakiens se rendront dimanche aux urnes dans un climat de guerre et de couvre-feu. «Votre participation aux élections est un appui à la campagne des croisés contre les musulman», peut-on lire sur une affiche placardée à l’entrée de la mosquée Al-Zaywani d’où sortent des sunnites fondamentalistes: la guérilla islamiste a juré de perturber le scrutin législatif. Les principaux groupes de cette guérilla menée par l’organisation d’al-Qaïda pour le djihad en Irak (dirigée par Abou Moussab Zarqaoui), l’Armée d’Ansar al Sunna, et l’Armée islamique en Irak tiennent leur promesse, et font monter la tension. Dénoncés comme étant des «centres de l’infidélité et de l’immoralité», par l’organisation de Zarquaoui (vendredi dans un communiqué sur Internet), les Irakiens sont exhortés à ne pas s’approcher des bureaux de vote.

Samedi, Abdoul Jalil Adel, membre de la commission électorale, a annoncé qu’un attentat suicide à la voiture piégée a été commis devant un centre des services de sécurité, à proximité d’un bureau de vote de Khanakine, au nord-est de Bagdad. Bilan: mort de trois militaires irakiens et de cinq civils. Mais déjà, vendredi, dix Irakiens au moins, et cinq soldats américains on trouvé la mort dans des attentats; par ailleurs, deux membres de l’armée américaine ont été tués dans un accident d’hélicoptère à Bagdad, dont on ignore encore s’il avait été pris pour cible, tandis qu’une voiture piégée a explosé à proximité d’un commissariat au sud de Bagdad, tuant quatre civils Irakiens. Peu de temps après, une autre explosion a retenti aux abords d’une école qui devait servir de bureau de vote dimanche. A Ramadi, dans l’ouest, six soldats irakiens ont été tués dans une embuscade.

Une atmosphère surréelle

Face au déploiement de ces violences extrêmes, les mesures de sécurité sont exceptionnelles. Les autorités en place affirment être en passe de supplanter cette guérilla: toutes les boutiques sont fermées, les frontières sont bouclées, les rues se vident et sont barricadées, des barrages de la police irakienne et de l’armée américaine sont déployés en grand  nombre, l’aéroport de Bagdad est fermé pour 48 heures, la circulation est restreinte, les déplacements d’une province à l’autre sont interdits, les bureaux de vote sont protégés par des blocs de béton et des barbelés. Le brouillard qui couvre cette métropole de sept millions d’habitants finit de plonger la ville dans une atmosphère  surréelle: «que se passe-t-il ? Où sont passés les gens. Personne ne m’a dit qu’il ne fallait pas sortir», déclare un chauffeur de taxi. Dans la plupart des villes, le couvre-feu déjà en place a été étendu de 19 heures, heure locale, à 6 heures du matin. Dimanche, les électeurs seront fouillés à leur entrée dans les bureaux de vote

Les menaces des extrémistes semblent ne pas devoir faire fléchir la détermination des chiites et des Kurdes: «Il faut couper l’herbe sous le pied des terroristes en votant», dit Ali Dakhil, originaire d’un quartier chiite déshérité de Sadr City à Bagdad, pour qui ces élections portent l’espoir d’un jour nouveau, partagé par Fadel Qadem, un observateur aux bureaux de vote à Hilla, au sud de Bagdad: «J’espère que les choses changeront après les élections». Répondant à l’appel de leur chef spirituel, le grand ayatollah chiite Ali Sistani, la majorité des chiites se disent motivés par le devoir patriotique dont ils ont été privés pendant les décennies de dictature de Saddam Hussein, de confession sunnite. Les employés électoraux de Mossoul, où il est interdit de circuler en voiture depuis jeudi soir,  ont été encouragés à mettre en place les préparatifs du vote en recevant deux heures d’entraînement, et la promesse d’être payés cinq cents dollars pour leurs efforts. «L’Irak restera grand pour toujours», dit l’un des slogans peints sur les murs bleus de l’école qui doit abriter le scrutin.

Les sunnites partagés entre colère et peur des représailles

Les Etats-Unis comptent sur une participation massive des chiites et des Kurdes qui ont longtemps souffert sous le régime du Baas. La commission électorale indépendante (CEI) a estimé vendredi que 57% d’Irakiens iraient voter dimanche: «Il y a 14,2 millions d’inscrits et nous estimons qu’environ 8 millions d’entre eux iront voter», a déclaré son porte-parole, Farid Ayar. En revanche, selon un sondage effectué par Zogby international pour une chaîne de télévision d’Abou Dhabi, les trois-quarts des Irakiens de confession sunnite, communauté minoritaire en Irak, envisagent de s’abstenir, mais: «S’ils ne veulent pas voter, c’est leur affaire. Le reste de l’Irak votera», a déclaré le lieutenant Hamad.

Les sunnites, quant à eux, semblent partagés entre colère et peur des représailles. La communauté compte des insurgés déterminés à torpiller le processus électoral. Ces rebelles faisaient partie des classes dominantes sous Saddam Hussein, et ils considèrent que la montée en puissance des chiites et des Kurdes est dirigée contre eux: «Je n’irai pas voter parce que je ne veux pas mourir en martyr pour ces élections», a affirmé Qaïs Ihsan, à la sortie de la mosquée d’Oum al-Qoura.. Elle compte aussi ceux qui ne veulent pas s’exposer aux menaces de mort: à la sortie de la prière, des fidèles ont affirmé leur volonté de voter et assuré qu’ils se déplaceront si l’état de la sécurité le permet. «Je crois que les insurgés vont mener des attaques dans les premières heures du vote afin de donner l’impression qu’il est dangereux de se rendre aux urnes», affirme un officier américain qui a requis l’anonymat.

Modalités du scrutin organisées par la CEI

Un sondage du département d’Etat datant de décembre estimait que la participation à Tikrit, ancien fief de Saddam Hussein, pourrait bien atteindre dimanche les 41% en dépit des appels des oulémas sunnites au boycott. Dans le quartier sunnite d’al-Adhamiyah à Bagdad, où se trouvent de nombreux insurgés, nombreux se disent prêts à aller voter: «Une assemblée nationale va être élue. Chaque électeur doit choisir  le candidat auquel il croit», affirme Chiek Moayed al-Adhami, imam de la mosquée d’Abou Hanifa, dont les prêches sont souvent émaillées de critiques contre la présence des troupes américaines en Irak.

Dès  sept heures du matin dimanche, les premières élections multipartites depuis plus de cinquante ans seront un scrutin par listes à la proportionnelle intégrale avec une circonscription unique, au cours desquelles les Irakiens, âgés de 18 ans minimum, seront appelés à choisir une Assemblée nationale transitoire de 275 membres (bulletin turquoise), un Parlement de 111 sièges pour la région autonome kurde (bulletin rose) et les conseils des 18 province (bulletin bleu). La circulation automobile étant complètement interdite le jour du vote, des bus spéciaux transporteront infirmes et vieillards aux urnes. Les électeurs analphabètes ou mal voyants se feront aider par une seule personne à laquelle on demandera de respecter le choix de ces électeurs, et une encre indélébile sera utilisée pour empêcher un électeur de voter plus d’une fois. Le dépouillement sera dans les bureaux de vote pour éviter que les bulletins soient volés ou détruits pendant leur transport. Les assesseurs des différentes listes seront autorisés dans les bureaux de vote ainsi que les observateurs pour s’assurer du bon déroulement des élections. Les résultats définitifs seront annoncés dix jours après le scrutin.


par Dominique  Raizon

Article publié le 29/01/2005 Dernière mise à jour le 31/01/2005 à 08:16 TU

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