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Tragédie du tunnel du Mont-Blanc

Deux cents plaignants réclament justice

L'incendie du tunnel du Mont-Blanc a causé la mort de 39 personnes. (Photo : AFP)
L'incendie du tunnel du Mont-Blanc a causé la mort de 39 personnes.
(Photo : AFP)
Lundi, presque six ans après la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc, la justice doit examiner les rapports techniques et dégager les responsabilités pénales de la catastrophe. Pendant trois mois, seize prévenus vont comparaître devant le tribunal correctionnel de Bonneville (Haute-Savoie), qui va tenter de déterminer si la tragédie du 24 mars 1999, consécutive au gigantesque incendie d’un camion sous le tunnel qui relie la France à l’Italie, aurait pu être évitée. Cet accident a coûté la vie à 39 personnes en 1999. La plupart des victimes, de neuf nationalités différentes, sont des routiers. Le procès rassemble près de 200 parties civiles qui réclament justice.

Pendant trois mois, douze personnes physiques ainsi que trois sociétés d’exploitation du tunnel et le constructeur suédois de camions Volvo -en tant que personnes morales- vont comparaître pour «homicides involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité», un délit passible de 45 000 euros d’amende. Elles vont devoir comparaître en face de cent-soixante témoins et vingt experts qui seront entendus pour déterminer les causes de la propagation de l’incendie et la raison de l’embrasement du camion Volvo. Refusant l’argument de «la faute à pas de chance», Alain Jakubowicz, avocat de la majorité des parties civiles proches des victimes, déclare: «ce drame n’a rien à voir avec une fatalité. C’est la chronique d’une catastrophe annoncée».

Agé de 78 ans, et victime d’un accident vasculaire cérébral en janvier 2003, le seul absent parmi les personnes poursuivies, sera Charles Salzmann, ex-président de la société des autoroutes et tunnel du Mont-Blanc (ATMB): il n’a pas été mis en examen lors de l’instruction, mais a été cité à comparaître par l’une des parties civiles: «un incendie a eu lieu au cours de sa présidence en 1990, et aucune leçon n’en a été tirée», a expliqué Maître Alain Jakubowisz, avocat de l’association des familles des victimes.

Une centaine de médias de sept nationalités différentes ont été accrédités, et en raison de la dimension internationale du procès, l’audience sera traduite en trois langues (anglais, italien, allemand). Le palais de justice étant trop petit, une salle d’audience d’une capacité de 425 places est spécialement aménagée pour les débats, et un système de vidéotransmission dans les pièces voisines permettra aux parties civiles et aux journalistes de suivre les débats. Les familles des disparus ont été invitées par André Denis, président de l’association de Défense des familles, à faire preuve d’une certaine assiduité au procès, notamment dans les «quinze derniers jours, au moment des plaidoiries et du réquisitoire, pour montrer (leur) détermination (…) manifester (leur) volonté de connaître la vérité et d’entendre des condamnations sortir de cette affaire».

Trente-neuf personnes trouvent la mort dans la fournaise

Il était 10 h 46 quand le 24 mars 1999 un semi-remorque s’engage dans le tunnel du Mont-Blanc, long de 11,6 km, après s’être présenté au péage français. Peu de temps après, les détecteurs d’opacité signalent une baisse de visibilité dans le tunnel. Du semi-remorque, rendu au kilomètre 6,54 se dégage une épaisse fumée blanche, et le conducteur, impressionné par les premières flammes, abandonne quant à lui le camion, prenant la fuite à pied, en direction de l’Italie. Le camion, désigné «poids lourd zéro», contient  vingt tonnes de produits alimentaires, dont essentiellement des farines et de la margarine. Son arrêt bloque désormais vingt-quatre véhicules sur 500 mètres, sa fumée aveugle les autres conducteurs, et les émanations toxiques les asphyxient. Les trente-sept passagers, ainsi qu’un pompier français et un secouriste italien trouvent la mort dans une fournaise qui a atteint 1 300°C et fait tout fondre: véhicules, asphalte et structure de l’ouvrage.

La première personne mise en cause est le chauffeur belge du camion à l’origine de l’incendie, qui affirme ne s’être rendu compte de l’incident survenu sur son camion qu’au moment où on lui faisait des appels de phare, et à qui il est reproché de s’être arrêté au milieu de la route, alors que d’après les experts il aurait dû ressentir une perte de puissance et ranger son camion sur l’un des garages creusés tous les 600 mètres le long du tunnel. La responsabilité du constructeur du semi-remorque, Volvo, doit aussi être examinée: l’origine du feu est attribuée à un objet incandescent (un mégot de cigarette ?) arrivé dans le filtre à air, mais ne s’agirait-il pas d’un défaut de construction du moteur. A moins qu’il ne s’agisse d’un mauvais entretien du véhicule, ce qui dans ce cas relèverait de la responsabilité de la société pour laquelle travaillait le camionneur?

Ce sont surtout les conditions d’exploitation et de gestion de la catastrophe qui sont en cause: «On peut s’étonner du manque criant de surveillance de ce genre d’ouvrages», déclare Christian Kert, alors député UDF des Bouches-du-Rhône, et auteur en 2 000 d’un rapport sur la sécurité des tunnels routiers et ferroviaires. Selon l’accusation, le tunnel inauguré en 1965 par le général de Gaulle, et dans lequel le trafic ne cessait de croître ne présentait pas assez de garanties sécuritaires, et les préoccupations de rendement prévalait sur le sort des usagers. Au moment de l’accident, côté italien, Nicolas Borghi, un des usagers ayant donné l’alerte a raconté: «je suis sorti du tunnel après avoir fait demi tour. Les véhicules continuaient de rentrer. Je l’ai dit aux employés. J’ai eu l’impression qu’ils ne s’étaient pas encore rendu compte qu’il y avait un grave problème».

«Un jour vous allez avoir un drame»

Malgré le premier discours rassurant de la direction du tunnel, les pompiers comprennent très vite l’ampleur de l’incendie, mais ils ne parviennent pas pour autant à braver la fumée, la chaleur et les vapeurs toxiques. Dans l’incapacité d’éviter le drame, ils découvrent trois jours après une scène qualifiée de «dantesque» «apocalyptique»: le béton, le bitume ont fondu, les véhicules sont collés au sol, tout est mêlé dans un magma informe où gisent des restes humains». Pourtant un pompier à la retraite, Bernard Foras accuse: «on leur avait dit, un jour vous allez avoir un drame. Personne n’était formé pour intervenir sur un gros sinistre dans le tunnel». Les deux sociétés concessionnaires française et italienne devront s’expliquer sur la rareté des exercices de sécurité, le retard des signaux d’alerte, et la ventilation qui semble avoir davantage attisé le feu et propagé la fumée qu’évacué celle-ci

«C’est un dossier très complexe et très volumineux», explique le procureur Vincent Le Pannerer. Le dossier fait ressortir des dysfonctionnements déjà dénoncés lors d’un accident en 1990 mais dont on n’aurait pas tenu compte, puisque des essais effectués  en 1972 et 1973 (les seuls effectués sous le tunnel du Mont-Blanc en trente-quatre ans) avaient déjà fait apparaître des problèmes de désenfumage auxquels on n’aurait pas apporté d’amélioration..

La chancellerie va se pencher sur le dossier alors qu’en Italie une transaction financière portant sur 13,5 millions d’euros vient d’être conclue entre la société italienne du tunnel et l’association de défense des familles victimes de la catastrophe. Pour que cet accord prenne effet, il doit être accepté par 80% des plaignants.


par Dominique  Raizon

Article publié le 31/01/2005 Dernière mise à jour le 31/01/2005 à 17:03 TU