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Elections irakiennes

Les régimes arabes sous pression

Les dirigeants des régimes arabes craignent de se voir imposer des réformes politiques après la réussite des éléctions irakiennes.(Carte : DK/RFI)
Les dirigeants des régimes arabes craignent de se voir imposer des réformes politiques après la réussite des éléctions irakiennes.
(Carte : DK/RFI)
Contraints sous la pression de l’administration américaine de soutenir les élections en Irak, les régimes arabes craignent aujourd’hui que le succès de cette consultation ne soit le prétexte idéal pour une relance des réformes que Washington cherche à imposer dans la région. Vivement critiqué car il justifiait a posteriori la guerre contre le pouvoir baasiste, le projet du Grand Moyen-Orient destiné à instaurer la démocratie dans les pays arabes, si cher au président Bush pourrait en effet, si la situation en Irak venait à se stabiliser, redevenir une priorité pour les Etats-Unis au grand dam des capitales arabes hostiles à tout changement imposé de l’extérieur.

La réussite, aujourd’hui indéniable, des premières élections libres de l’après-Saddam est loin d’être du goût des régimes arabes qui ont pour la plupart joué les oiseaux de mauvais augures en prédisant à l’issue du scrutin de dimanche une guerre civile en Irak opposant sunnites et chiites. Certes personne aujourd’hui ne peut décemment prévoir la fin du chaos qui règne encore dans plusieurs régions du pays où les violences pourraient même s’intensifier. Mais une donnée est désormais acquise : après des décennies d’hégémonie du parti baas, les Irakiens semblent aujourd’hui s’accommoder du multipartisme et leur mobilisation dans les bureaux de vote a révélé dimanche leur volonté de prendre en main leur destinée. Et le fait que ces élections se soient déroulées sous occupation américaine ne diminue en rien à leurs yeux leurs valeurs dans la mesure où elles ont permis à une majorité d’Irakiens d’exprimer librement leur opinion, ce qui ne leur était pas arrivé depuis près d’un demi-siècle.

Cette nouvelle situation n’est pas sans inquiéter les pays de la région dirigés pour la plupart par des régimes autoritaires qui se sont élevés à plusieurs occasions déjà contre toute tentative visant à leur imposer une quelconque réforme d’ordre politique. Le projet du Grand Moyen-Orient défendu par George Bush pour justifier sa guerre contre Saddam Hussein a ainsi très vite été contesté par la majorité des dirigeants arabes au premier rang desquels les principaux alliés de Washington que sont l’Arabie saoudite et l’Egypte. Ce projet a d’ailleurs été largement vidé de sa substance à l’occasion du Forum de l’avenir qui a réuni en décembre dernier au Maroc les ministres des Affaires étrangères et des Finances des pays du G8 et leurs homologues des 22 pays du monde arabe. Seules les réformes économiques et sociales y ont en effet été discutées tandis que le volet politique était tout simplement passé sous silence.

Exemple de ce refus d’introduire la moindre réforme politique, le président égyptien Hosni Moubarak a encore récemment catégoriquement rejeté les revendications de l’opposition qui réclame que l’élection du chef de l’Etat se fasse au suffrage universel direct. «Je ne prendrai pas l’initiative d’un acte qui serait un point noir dans l’histoire de l’Egypte», avait-il rétorqué tandis que son Premier ministre soutenait que «le peuple égyptien –qui vit sous le régime de l’état d’urgence depuis l’assassinat d’Anouar al-Sadate en 1981– n’accordait pas la priorité aux réformes politiques» mais économiques. 

Le danger du communautarisme en Irak

Dans ce contexte, rien n’indique que l’évolution de la situation politique en Irak puisse avoir, du jour au lendemain, des incidences sur les régimes arabes voisins. Au contraire, ces pays pourraient bien prendre le prétexte du bouleversement de la scène irakienne où les chiites sont désormais majoritaires pour rejeter toute idée de réformes politiques. L’universitaire égyptien Mohammed Nour Farhat remet ainsi ouvertement en cause la nature de la démocratie telle que veulent l’imposer au monde arabe les Etats-Unis. «Même si l’on convient qu’un programme démocratique est en cours en Irak, le comportement des Américains suggère qu’il sera réalisé au détriment de l’arabité de l’Irak, de son identité nationale et de ses intérêts nationaux», souligne-t-il. Selon lui en effet, «tous les opprimés de l’ère Saddam ne posent pas leur revendications sur un plan politique mais en référence à leur communauté, or le communautarisme est la chose la plus détestable en politique».

Cette crainte d’une hégémonie du chiisme, et donc de l’Iran sur l’Irak, est depuis plusieurs semaines largement au centre des préoccupations des dirigeants de la région. Et même si la communauté chiite irakienne s’est à de nombreuses reprises déclarée opposée à l’instauration d’une théocratie à l’iranienne, les monarchies du Golfe, toutes sous la coupe d’un pouvoir autoritaire sunnite, redoutent plus que jamais une déstabilisation de leur régime. Les chiites représentent en effet près de 12% de la population autochtone des quelque 24 millions d’habitants des six monarchies pétrolières du Golfe que sont l’Arabie saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, Oman et le Qatar. A Bahreïn, ils représentent même 60% des 450 000 citoyens, alors qu'au Koweït, ils forment le tiers de la population estimée à 950 000 habitants. Ils sont enfin près de deux millions en Arabie saoudite sur les 17 millions de personnes que compte la population. Une union dans ces pays de cette communauté favoriserait l’émergence du fameux «croissant chiite» qui va du Liban au zones pétrolières de l’Arabie saoudite, ce que redoute le plus les régimes arabes.

Avant que des réformes politiques ne soient mises en place dans le monde arabe, il faudra donc vaincre les nombreuses résistances des dirigeants de la région. Mais comme le souligne le chercheur du centre d’études politiques d’al-Ahram, Amr al-Choubaki, «la démocratie est une idée en marche au Proche-Orient, même si les efforts pour la contenir sont intenses». 


par Mounia  Daoudi

Article publié le 01/02/2005 Dernière mise à jour le 02/02/2005 à 14:01 TU