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Zanzibar

2005, année de tous les dangers

Les opérations d’inscription sur le fichier électoral, en cours depuis début décembre ont fait deux morts.(Photo : AFP)
Les opérations d’inscription sur le fichier électoral, en cours depuis début décembre ont fait deux morts.
(Photo : AFP)
Les élections générales, prévues en Octobre prochain s’annoncent chaudes dans l’archipel semi autonome, intégré à l’Union tanzanienne depuis 41 ans. La tension monte entre l’opposition, qui revendique plus d’autonomie pour Zanzibar et le parti au pouvoir depuis la révolution d’avril 1964.

De notre envoyé spécial à Zanzibar 

A l’exception d’une subite et brève montée des eaux (fin décembre) et de quelques légers tremblements de terre (début janvier), les répercussions africaines des tsunamis asiatiques ont épargnées Zanzibar. L’île aux épices, située à 30 km des côtes tanzaniennes a pourtant eu peur. Mais c’est désormais avec le sourire qu’elle s’apprête à bénéficier, du malheur des hauts lieux asiatiques du tourisme occidental. Sécurité renforcée, confort amélioré, Zanzibar parie sur un transfert, dans les prochains mois, de la demande touristique en sa faveur.  Sur ce terrain l’archipel ne manque pas d’arguments. Ses plages et ses paysages, le charme de sa vieille ville (Stone town) ont tout pour combler les amateurs de soleil, d’exotisme et de dépaysement.

Mais derrière le décor de carte postale, à Zanzibar couve la tension qui précède généralement ici les échéances électorales depuis dix ans. Les opérations d’inscription sur le fichier électoral, en cours depuis début décembre ont fait deux morts : un militant du Civic United Front (CUF), parti d’opposition dont Zanzibar est le bastion et un commandant des forces de sécurité. A l’origine, une querelle, dans un bureau de vote, entre les militants de l’opposition et un groupe d’agents de ces forces de sécurité. La loi zanzibarie leur reconnaît le droit de vote et donc de s’inscrire sur les listes électorales. Perçues comme proche du parti au pouvoir  – le Chama Cha Mapinduzi – leur présence dans un bureau de vote a mis le feu aux poudres. Aussitôt, les accusations ont fusées. Pour Hadji Fakchalé, député du CUF à l’assemblée zanzibarie, il n’y a pas de doute : « Le CCM au pouvoir use de la force et de l’intimidation. Il est à l’origine de ces morts ». Accusations rejetées du côté du pouvoir. Vuai Ali, un des secrétaire généraux du Chama Cha Mapinduzi a Zanzibar insiste : « la violence est une pratique constante du CUF. C’est dommage ».

Le fait est que, depuis le retour du multipartisme en 1992 et ses premières élections multipartites trois ans plus tard, Zanzibar est familier de la violence. En 1995, puis en 2001, au lendemain de scrutins à chaque fois remportées, dans des conditions controversées par le Chama Cha Mapinduzi au pouvoir, les militants de l’opposition sont sortis dans les rues pour protester. A chaque fois la police zanzibarie n’a pas fait dans le détail. Bilan : arrestations arbitraires, tortures, exils forcés et des dizaines de morts. Des événements qui ont suscité les condamnations de la FIDH et de Amnesty International notamment. En 2001, ces troubles ont mené à un accord entre le pouvoir et l’opposition. Ses termes prévoyaient, entre autres, pour les consultations à venir, la mise sur pieds d’un fichier électoral permanent. Une opération qui à peine commencée a donnée le ton des élections d’octobre prochain.

Faire de Zanzibar un État islamiste

 Cette fois en effet, du côté de l’opposition du Civic United Front, on envisage rien d’autre que la victoire. Heri Djhad, candidat de ce parti à Ungunja (la principale île de l’archipel) estime que le parti au pourvoir « ne peut pas l’emporter, puisque nos militants sont déjà plus nombreux à s’inscrire sur le fichier électoral ». Certitude partagée au sein de l’exécutif du parti et que dénoncent de leur côté les dirigeants du Chama Cha Mapinduzi. « Ces positions annoncent au moins une chose », commente Mohammed Bakary, politologue à l’université de Dar Es Salaam : « si le Cuf perdait les prochaines élections et qu’à ses yeux ce soit à cause de manipulations commises par le parti au pouvoir, on peut s’attendre à une grosse explosion de violence. Il y a au sein de l’opposition le sentiment qu’on leur a volé la victoire en 1995 et en 2000. S’ils ont des raisons de penser qu’on la leur vole une troisième fois, ils se diront qu’ils n’ont plus rien à perdre. De plus, leur base ne l’accepterait sans doute pas non plus».

 Une base qui, tout comme l’élite de l’opposition zanzibarie s’interroge sur les avantages que l’archipel tire de son Union avec le Tanganyika, crée dès le lendemain de son indépendance en 1964. Le sentiment d’être politiquement et économiquement dominé par la Tanzanie continentale gagne en effet du terrain. Et le refus de cette domination constitue un des thèmes d’une opposition qui rêve désormais de transformer la Tanzanie en une fédération. « Un gouvernement pour Zanzibar, un autre pour le Tanganyika et enfin un gouvernement fédéral tanzanien avec des pouvoirs clairs et égaux » explique un dirigeant de l’opposition. Un discours qui fait frémir dans les rangs du parti au pouvoir. Certains se sont même inquiétés dans la presse, du risque d’implosion de l’Union tanzanienne, si chère à Julius Nyerere, le premier président du pays décédé en 1999.

 D’autant que, ainsi que l’observe le politologue Mohammed Bakary « Zanzibar est une entité politique particulière, avec ses aspirations et son identité propre ». Une identité marquée notamment par la prédominance de l’Islam, religion des 96% du million d’habitant de l’archipel. Ce qui fait de Zanzibar la plus forte concentration de musulmans en Afrique de l’Est et vaut au Civic United Front dont l’archipel est le bastion d’être taxé de parti de musulmans. « C’est une accusation infondée, propagée par le parti au pouvoir, qui vise à nous aliéner les pays occidentaux et à faire peurs aux Tanzaniens du continent pour qu’ils ne se joignent pas à nous ».

Vrai ou faux, le fait est qu’en dehors de l’archipel, le parti reste marginal. Et à Zanzibar même pèse le soupçon qu’il est proche des rares groupes intégristes présents sur l’île ; des groupes dont le projet affiché est de faire de Zanzibar un État islamiste. De quoi en somme alimenter les peurs et la tension qui montent à mesure que les échéances électorales d’octobre 2005 se rapprochent.


par André-Michel  Essoungou

Article publié le 07/02/2005 Dernière mise à jour le 07/02/2005 à 11:35 TU