Togo
De la présidence Eyadéma à la dynastie Gnassingbé
(Photo: AFP)
Depuis l’assassinat du premier président du Togo indépendant, Sylvanus Olympio, le 13 janvier 1963, l’ancien sergent-chef de l’armée française, Etienne Gnassingbé Eyadéma, s’est donné du galon. Il est mort général, président à vie, après 38 ans d’un règne commencé sur un coup d’Etat (le 13 janvier 1967) et poursuivi au pas cadencé de sa garde prétorienne Kabyé. Chaque fois que l’un des quatre quinquennats du général Eyadéma a semblé menacé, l’armée dite nationale a en effet donné la charge pour ramener le silence dans les rangs politiques. Mais le 5 février 2005, sa fin biologique a rattrapé l’ «ami personnel» de Jacques Chirac, un «ami de la France» qui, à défaut d’être immortel, s’est voulu père fondateur d’une dynastie.
Le général Eyadéma avait choisi le 13 janvier 1980 pour proclamer sa IIIème République et rappeler, année après année, ses capacités militaires et celle des lutteurs Kabyé de son village natal, Pya, où il aurait vu le jour un 26 décembre 1935, dans une famille paysanne. Après une décennie passée sous les drapeaux français, Gnassingbé Etienne Eyadéma avait posé son paquetage de soldat en 1962, deux ans après l’indépendance de l’ancien Togoland allemand (confié à la France en 1922). Le jeune «tirailleur» est rentré au pays fort du métier des armes, appris dans les campagnes d’Indochine ou d’Algérie.
En 1967, le lieutenant-colonel Etienne Gnassingbé Eyadéma est chef d'état-major. Il ne fait qu’une bouchée de Nicolas Grunitzky, qu’il a contribué à installer temporairement dans le fauteuil présidentiel arraché quelques années plus tôt à Sylvanus Olympio. Ce dernier continuera à hanter ses cauchemars. D’autant que son fils Gilchrist, homme d’affaires longtemps réfugié au Ghana, se profilera à tort ou à raison derrière une demi-douzaine de tentatives de coup d’Etat. Celles-ci confortent au passage l’aura d’intouchable que le général Eyadéma se plait à entretenir. Sur le même mode épique médiatiquement célébré, il se réclame aussi régulièrement d’une protection magique en évoquant un accident d’avion dont il est sorti indemne, le 24 janvier 1974.
Une voix pour la France à l’Onu
Plus tard, à la manière d’un monarque absolu, Gnassingbé Eyadéma renverra son improbable succession à Dieu qui «choisira la personne appropriée pour me remplacer comme dirigeant lorsque je ne serais plus là». En attendant, l’armée française vole à son secours, lorsqu’il est attaqué, en septembre 1986 par exemple. De cela aussi, il tire avantage. Plus largement, il prend soin de cultiver le pré-carré de la Françafrique et de ses réseaux parallèles politiques, militaires et affairistes. Il est également une voix disciplinée pour la France dans les votes onusiens. Sur le continent où il dispute le titre de doyen au président gabonais Omar Bongo, Gnassingbé Eyadéma fait assaut de bonne volonté dans les médiations difficiles, se penchant en particulier sur le dossier ivoirien.
«Avec lui disparaît un ami de la France qui était pour moi un ami personnel», regrette le président français, Jacques Chirac, en se déclarant «certain que l'Afrique ressent cruellement la perte de celui qui, depuis tant d'années, consacrait ses efforts à la coopération régionale, à la médiation et à la recherche de la paix». Gnassingbé Eyadéma était en effet un familier de la 5ème république dont il a connu tous les présidents (Charles de Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac). En juillet 1999, la visite officielle de Jacques Chirac au Togo avait été l’occasion pour le chef de l’Etat français de balayer, comme le fruit d’une «manipulation» malveillante, les accusations de l’organisation des droits de l’homme Amnesty International contre le régime Eyadéma. Paris avait demandé à l’Union européenne de tourner la page des violences sanglantes des années quatre-vingt-dix et de reprendre son aide économique, vitale pour le Togo.
Dans la perspective de la normalisation partielle décidée le 15 novembre dernier par l’UE, un nouveau cycle de dialogue en trompe l’œil s’était ouvert avec l’opposition laminée la décennie précédente. En octobre 1990, des émeutes populaires avait en effet surpris le régime. En avril 1991, un massacre dirigé par l’un des fils Gnassingbé avait révélé au monde extérieur sa vraie nature. Des dizaines de civils avaient péri, leurs corps jetés dans la lagune de Bè, à Lomé. Une Conférence nationale (10 juillet-28 août 1991) s’était imposée. Le 25 août 1993, Gnassingbé Eyadema avait refermé la parenthèse, enlevant un troisième mandat grâce au boycott de l’opposition.
Fin 1991, l’armée a donné l’assaut à l’hémicycle parlementaire et menacé le Premier ministre, Joseph Kokou Koffigoh bientôt jeté dans les oubliettes de l’Histoire de la transition togolaise. Peu après Gnassingbé Eyadéma avait sonné la fin de la transition d’un «la récréation est terminée !».A la présidentielle de 1998, des militaires en tenue avaient bousculé les observateurs européens pour confisquer des urnes suspectées de donner la victoire de Gilchrist Olympio. Le général-président aux lunettes noires «a tué mon père», rappelle Gilchrist Olympio. Lui-même a été très grièvement blessé dans un attentat, en 1992. Les Togolais ont épuisé un à un tous les recours politiques de la négociation. L’espace démocratique n’a jamais cessé de se vider.
Parole de général
Féru de chasse, Gnassingbé Eyadéma était l’un des crocodiles du marigot franco-africain dont feu l’écrivain ivoirien Amadou Kourouma – qui à longtemps séjourné au Togo – brosse le portrait, dans «En attendant le vote des bêtes sauvages» (2001, aux éditions du Seuil). Il en fait un chasseur bardé de talismans, de croyances, d’armes et de billets de banque, tout de ruse et de brutalité, un autocrate inscrit dans un Etat de parti unique - le sien, le Rassemblement du peuple togolais (RPT). En 2002, la valse hésitation de la Conférence nationale, le pluralisme politique et la limitation des mandats remisés au rayon des accessoires inutiles, l’inusable Gnassingbé Eyadéma avait fait modifier la Constitution pour paver le chemin de sa se réélection, en juin 2003. Entre temps, il avait publiquement promis à son pair français, Jacques Chirac, de renoncer à un troisième mandat et de se retirer sur ses terres.
«Parole de général», avait juré Gnassingbé Eyadéma avant de faire donner urbi et orbi ses thuriféraires armés du spectre de la guerre pour le supplier de rester au pouvoir «afin d’éviter au peuple un carnage comme celui qui se déroule en Côte d’Ivoire». En mars 2000, un boulet diplomatique était passé au-dessus de sa tête avec le rapport de Robert Fowler, président d’un comité d’experts mandaté par le Conseil de sécurité qui impliquait le président Gnassingbé Eyadéma dans la violation de l’embargo international contre les fournitures d’armes à la rébellion angolaise de Jonas Savimbi, l’Unita. En échange de la fourniture de certificats de destinataire final pour les armes achetées avec les diamants de l’Unita, Lomé aurait conservé une partie du matériel militaire.
En 2002, le président Eyadéma a fait le ménage dans ses propres écuries, écartant certains anciens piliers du régime qui prétendaient réformer la conduite des affaires afin de perpétuer le pouvoir ou d’y accéder. L’ancien président du Parlement togolais et patron du RPT, Maurice Dahuku Péré et quelques autres se sont ainsi cassés les dents. L’année suivante, tandis que des indiscrétions en provenance d’Italie rendaient publique la maladie de Gnassingbé Eyadéma, ce dernier préparait en quelque sorte son testament, confiant le portefeuille des Mines, de l’Equipement et des Télécommunication à son fils Faure Essonizam Gnassingbé, le 29 juillet 2003.
Diplômé de grandes écoles de commerce et de gestion américaines et française, trésorier payeur du RPT, Faure était de notoriété publique le successeur désigné d’Eyadéma. L’opposition neutralisée, les piliers civils du régime écartés, l’armée purgée de ses récalcitrants, la maison Gnassingbé entend conserver tous ses quartiers de pouvoir, par la force. Paris lui demande aujourd’hui de «retrouver la voie de la légalité». Comme son père Gnassingbé Eyadéma, Faure Gnassingbé, s’est contenté d’en emprunter les apparences.
par Monique Mas
Article publié le 07/02/2005 Dernière mise à jour le 07/02/2005 à 18:34 TU