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Santé

Un laboratoire de recherche sans lois

Campagne de dépistage du sida au Cameroun.(Photo: AFP)
Campagne de dépistage du sida au Cameroun.
(Photo: AFP)
Menés sur quatre cents prostituées, des tests pharmaceutiques avaient été entrepris à Douala, la capitale économique du Cameroun. L’objectif affiché par ses promoteurs était de vérifier l’efficacité du Tenofovir pour empêcher la transmission du sida. Cet essai effectué en dehors de tout cadre juridique approprié a été interrompu sur ordre des autorités sanitaires. Il repose la brûlante question du vide juridique qui entoure la recherche dans ce pays, laboratoire prisé des chercheurs du monde entier.

Jeudi, 3 février, s’inspirant sans doute du rapport d’une «mission d’audit» qu’il a lui-même mise sur pied, le ministre de la Santé publique, Urbain Olenguena Awono, a décidé de suspendre l’essai du Tenofovir, «en raison des manquements et des dysfonctionnements constatés». Le propos un rien laconique a fait surprise. Il intervient en effet après des propos rassurants du même ministre répondant à une série de critiques d’ordre éthique sur cette expérimentation financée par la fondation Bill et Media Gates et menée sous la houlette de Family Health International. L’objectif affiché était de vérifier l’efficacité de la molécule fabriquée par le laboratoire Gilead dans la prévention de la transmission du virus. L’essai est interrompu. Pourtant, «l’expérimentation en question a été autorisée conformément aux normes et standards scientifiques, éthiques et administratifs en vigueur au Cameroun», selon Urbain Olenguena.

Avant de faire arrêter les essais, le ministre de la Santé, assurait qu’un audit effectué en décembre 2004, par Family Health International « n’a révélé aucune anomalie dans la conduite de cet essai au regard du guide des bonnes pratiques cliniques». Avant même que la presse ne fasse grand cas de cette «affaire», fin janvier, des Organisations non gouvernementales telles que le Réseau éthique droit et sida (Reds) Cameroun et Act-Up Paris avaient, plusieurs mois auparavant, stigmatisé les conditions éthiques de cet essai. Ces deux associations avaient dénoncé l’échantillon de quatre cents prostituées retenu par les chercheurs comme un choix mal indiqué parce qu’il concerne «un groupe précarisé du fait de sa situation légale et sociale». Les ONG s’insurgeaient aussi contre le protocole de l’essai qui prévoit de prendre en charge les infections sexuellement transmissibles hormis celles que les prostituées pourraient contracter pendant l’expérimentation.

Un Comité national d’éthique peu regardant

«Il devrait pourtant s’agir de l’engagement minimal des promoteurs de l’essai que de prendre en charge les personnes séropositives qui acceptent de se soumettre à cette recherche et celles qui sont tombées malades au cours de son déroulement», ont souligné le Reds et Act Up. Avec ce problème, la question d’un cadre juridique et légal pour la recherche biomédicale au Cameroun est brutalement revenue sur la table. Et cela d’autant plus que le pays présente l’intérêt scientifique de couvrir tout le spectre des variétés connues du virus du sida. Pour sa part, l’institution habilitée à donner son imprimatur éthique aux recherches, le Comité national d’éthique (Cne) s’était effectivement favorablement prononcé sur l’essai Tenofovir. Mais, il est clairement apparu que cet organisme a relâché sa vigilance pendant l’examen du dossier. Son président, le professeur Lazare Kaptué, homme de sciences reconnu, a déclaré qu’il ne se souvenait plus exactement du contenu intégral du protocole de l’essai Tenofovir et notamment de la clause relative à la non prise en charge des prostituées qui seraient atteintes de sida au cours de l’expérimentation.

A première vue, le fonctionnement de ce comité pourrait expliquer qu’il n’ait pas été très regardant sur ce dossier. A défaut de moyens d’investigation pour étayer ses décisions, le comité se contente d’une concertation orale entre une demi-dizaine de membres, sur la quarantaine qui le composent. En attendant des jours meilleurs et des textes qui pourraient lui donner capacité et autorité, le Comité assiste, impuissant, à la multiplication des recherches, dont il apprend parfois l’existence par voie de presse, en même temps que le citoyen ordinaire. En outre, le vide juridique est total. Après le lancement de l’essai Tenofovir, le gouvernement a créé, en 2003, une division de la recherche opérationnelle au sein du ministère de la Santé. Celle-ci est chargée de délivrer l’autorisation administrative nécessaire au lancement de tout projet de recherche. Elle s’ajoute à la validation éthique donnée par le Cne. Reste que le législateur camerounais a oublié de garantir la protection des personnes qui se prêtent à la recherche biomédicale. Il n’a pas non plus statué sur l’intérêt de la recherche pour la société camerounaise. Des lois sont attendues. Des Comités régionaux d’éthique pourraient aussi relayer en province le Cne, facilitant une surveillance générale de la recherche médicale sur l’ensemble du territoire. En éclatant au grand jour l’affaire de l’essai Tenofovir peut servir de catalyseur.


par Valentin  Zinga

Article publié le 08/02/2005 Dernière mise à jour le 08/02/2005 à 16:03 TU