Corée du Nord
Nucléaire : Pyongyang claque la porte
( Photo : AFP )
La diplomatie a-t-elle encore sa place dans le dossier du nucléaire nord-coréen ? Alors qu’aujourd’hui même le sous-secrétaire d’Etat américain John Bolton, en mission dans la région sur cette question précise, affirmait à Tokyo que l’administration Bush était prête à reprendre les pourparlers multilatéraux sur le programme d’armement nucléaire de Pyongyang, le régime de Kim Jong-il créait la surprise en annonçant la suspension sine die de sa participation à ces négociations auxquelles participaient également la Chine, la Corée du Sud, la Russie et le Japon. «Nous avons voulu ces négociations à six mais nous sommes obligés de suspendre notre participation à ces pourparlers pour une période indéfinie jusqu’à ce que nous estimions que notre présence aux discussions est de nouveau justifiée et que des conditions et une atmosphère propices nous poussent à espérer des résultats positifs», a expliqué dans un communiqué le ministère nord-coréen des Affaires étrangères.
Ce texte lie précisément la décision de Pyongyang à l’attitude jugée hostile à son encontre des Etats-Unis. «L’administration Bush a qualifié la République populaire démocratique de Corée, son partenaire de dialogue, d’avant poste de la tyrannie, occultant ainsi sa propre politique hostile et l’a complètement repoussée», souligne notamment ce document. Le régime de Kim Jong-il avait d’ailleurs prévenu qu’il attendrait de voir qu’elles seraient les orientations du second mandat de George Bush avant d’éventuellement revenir à la table des négociations. Aujourd’hui et après une semaine de silence, les choses semblent donc claires pour les autorités nord-coréennes même si le président américain avait pourtant évité d’utiliser un langage provocateur pour parler des ambitions nucléaires de Pyongyang dans son discours sur l’état de l’Union. Elles ont en effet estimé que «l’intention de la seconde administration Bush de s’opposer à la RPDC, de l’isoler et de l’étouffer à tout prix était très claire».
Se glorifiant de n’avoir jamais cédé aux pressions internationales, la Corée du Nord a rappelé qu’elle s’était retirée du Traité de non-prolifération nucléaire en réaction à la politique américaine. Elle a également précisé –et c’est une première– avoir «fabriqué des armes atomique d’autodéfense qui resteront en toute circonstance une force de dissuasion nucléaire».
Un défi à l’administration BushLe ton particulièrement belliqueux adopté par le régime de Pyongyang sonne comme un défi à l’administration Bush pour qui le dossier nord-coréen demeure un échec retentissant. La secrétaire d'Etat Condoleezza Rice a cependant tenu à minimiser l'annonce concernant les armes atomiques que le pouvoir nord-coréen se targue de posséder insistant notamment sur le fait que les Etats-Unis considéraient depuis le milieu des années 90 que ce pays avait la capacité d’en produire. La chef de la diplomatie américaine a également insisté sur le fait que le régime de Kim Jong-il ne ferait qu'«accroître son isolement» sur la scène internationale et se priverait des garanties internationales en matière de sécurité en se retirant des négociations multipartites. «Il doit être très clair pour les Nord-Coréens qu'aucune assurance en matière de sécurité ne pourra leur être donnée s'ils ne sont pas prêts à prendre la décision de démanteler leurs armes atomiques et leurs programmes de manière à la fois vérifiable et irréversible», a-t-elle déclaré.
Refusant la surenchère, Condoleezza Rice a au contraire tenté de détendre la situation en soutenant que les Etats-Unis n'avaient aucune intention d'attaquer ou d'envahir la Corée du Nord. Elle a également ajouté qu’elle espérait qu’un nouveau cycle de négociations avec les six pays du groupe de Pékin –Corée du Sud, Chine, Japon, Etats-Unis, Russie et bien sûr Corée du Nord– pourraient reprendre rapidement. La communauté internationale a, elle aussi, dans son ensemble regretté la décision de Pyongyang et les déclarations se sont multipliées pour ramener le régime de Kim Jong-il à de meilleures dispositions. «Nous considérons avec respect et attention l'inquiétude de la Corée du Nord concernant sa sécurité, mais nous estimons que ce problème doit être réglé dans le cadre des négociations et non par la voie de la course aux armements, en particuliers des armements nucléaires», a notamment estimé très diplomatiquement Moscou tandis que l’Union européenne déclarait «regretter profondément» la réaction nord-coréenne.
La décision de Pyongyang de fermer la porte aux négociations inquiètent en tout cas les spécialistes du dossier nucléaire nord-coréen. «C'est tout à fait alarmant. Nous avons entendu une rhétorique plutôt aiguë de la RPDC récemment, mais nous avions remis cela dans le contexte de la propagande nord-coréenne», a notamment expliqué Peter Beck, chercheur basé à Séoul pour l'International Crisis Group. «Mais la déclaration d'aujourd'hui nous situe à un tout autre niveau», a-t-il ajouté. Selon lui, cette attitude ne peut être que nuisible pour le régime nord-coréen dans la mesure où elle va renforcer les opinions déjà mauvaises qu’en a l’administration Bush. D'autres analystes pensent que Pyongyang fait monter volontairement les enchères pour obtenir davantage de concessions lors d'une prochaine session de pourparlers. Mais, s’empressent-il d’ajouter, il est douteux que Washington cède à un chantage de la sorte puisque sa principale exigence réside justement dans la fin des ambitions nucléaires de la Corée du Nord avant toute forme de concession.par Mounia Daoudi
Article publié le 10/02/2005 Dernière mise à jour le 10/02/2005 à 18:04 TU