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Etats-Unis

Arthur Miller : la mort d’un géant

Marilyn Monroe et son mari, l'écrivain Arthur Miller, au Théâtre de la Comédie de Londres pour la première représentation de la pièce de Miller, <EM>Une vue du pont</EM>, 11 octobre 1956.(Photo: AFP)
Marilyn Monroe et son mari, l'écrivain Arthur Miller, au Théâtre de la Comédie de Londres pour la première représentation de la pièce de Miller, Une vue du pont, 11 octobre 1956.
(Photo: AFP)
Le grand dramaturge américain Arthur Miller s’est éteint le 10 février dans sa ferme de Connecticut. Il laisse derrière lui une oeuvre littéraire exceptionnelle dont l’influence dépasse de loin les frontières de son pays.

Auteur dramatique, scénariste, intellectuel de gauche, l’Américain Arthur Miller est mort jeudi soir à l’âge de 89 ans, des suites d’un cancer compliqué par des dysfonctionnements cardiaques. Il était l’un des grands dramaturges de notre temps, auteur de plus d’une trentaine de pièces qui ont profondément marqué la conscience de ses compatriotes par le regard radicalement critique qu’elles portent sur les valeurs dominantes de la société américaine (capitalisme, «American way of life», toute-puissance de l’argent). Son oeuvre engagée comme ses prises de position en faveur des minorités, pour la démocratie, contre la censure et la guerre, avaient fait de lui la conscience morale de l’Amérique.

Né en 1915 dans une famille d’immigrants juifs polonais qui avaient fait fortune dans la confection, Miller connut une enfance dorée dont le charme fut rompu par la faillite de son père suite à la crise de 1929. Sa famille fut contrainte de déménager de Manhattan à Brooklyn et le jeune Miller réduit à exercer de petits métiers pour payer ses études. Il fut tour à tour chauffeur de poids lourds, vendeur de pièces détachées, éleveur de souris de laboratoire. Lorsqu’il deviendra écrivain, il puisera dans cette expérience à la fois poignante et humainement riche la matière de son oeuvre.

Exprimer les dilemmes politiques et moraux de son époque

La carrière littéraire d’Arthur Miller commence au début des années 40. Poussé par une mère éprise de culture, le jeune Arthur nourrissait depuis l’adolescence l’ambition secrète de devenir écrivain. Il se tournera vers le théâtre car, comme il l’a écrit dans son autobiographie Timebends: A life (traduite en français sous le titre de Au fil du temps), «c’était le plus excitant de tous les arts, un lieu de révolte et de remise en cause du système, du moins dans la période radicale qui suivit la grande dépression». Influencé à la fois par le théâtre social européen de Büchner, de Strindberg ou d’Ibsen et les expériences avant-gardistes du «Group Theatre», précurseur d’Actors Studio, qui dynamisaient les scènes américaines, le jeune Miller s’intéresse à un théâtre d’idées afin de pouvoir exprimer les dilemmes politiques et moraux de son époque.

Après avoir produit quelques scénarios pour la radio, il écrit ses premières pièces pendant la guerre. Il parvient même à monter, grâce à une bourse universitaire, The man who had all the luck (L’homme qui avait toutes les chances, 1944), mais la pièce dut être retirée de l’affiche au bout de quatre représentations. C’est à la fin de la guerre que Miller fait sa véritable entrée sur la scène new-yorkaise avec All my Sons (Ils étaient tous mes fils, 1947) et Death of a Salesman (Mort d’un commis voyageur, 1949), pièces produites et mises en scène par Elia Kazan et primées toutes les deux par le prestigieux prix Pulitzer. C’est la gloire. Ces pièces qui ont pour toile de fond l’histoire américaine du 20e siècle, notamment la grande dépression économique, se signalent à l’attention par leur critique sans concession du rêve américain, par leur peinture poignante de l’envers du décor. La poursuite effrénée du profit conduit dans All my sons le protagoniste à fournir sciemment des pièces d’avion défectueuses et à causer la mort de ses propres fils et d’autres pilotes pendant la guerre. Plus autobiographique, Death of a Salesman s’inspire de la faillite fracassante du père de l’auteur et de sa douloureuse déchéance. L’écrivain n’a jamais oublié les leçons de la crise des années 30. «C’était très édifiant car je me suis rendu compte que tout ne tenait que par un fil. On peut dire que toute ma génération était marquée par cette expérience. Chaque matin, des puissants tombaient, parfois littéralement lorsque certains d’entre eux se jetaient du haut des immeubles. La grande peur américaine est la peur de dégringoler et de se retrouver en l’espace d’une heure et demie tout au fond de l’échelle sociale.» 

Courageux face au McCarthysm

L’hystérie anticommuniste qui régnait aux Etats-Unis au début de la guerre froide sera le thème d’une autre grande pièce qu’écrit Miller à la même époque. Il s’agit de The Crucible (Sorcières de Salem, 1953). Miller utilise la grille allégorique des procès pour sorcellerie du 17e siècle pour dénoncer la chasse aux sorcières dont il sera lui-même victime quelques années plus tard. En 1956, la tristement célèbre Commission sénatoriale des activités anti-américaines mise en place à l’initiative du sénateur McCarthy convoqua Miller et lui demanda de dénoncer ses camarades communistes. Moins par sympathie pour la cause communiste que par principe, Miller refusera d’obtempérer, risquant ainsi une lourde condamnation. Il n’y aura pas de condamnation en fin de compte, mais le courage de Miller fera de lui un héros hors du commun dont l’oeuvre et la vie désormais se confondent.

Parmi les autres pièces célèbres d’Arthur Miller, il faut citer Après la chute (1964), une adaptation de La Chute de Camus, Incident à Vichy (1965), consacrée à la collaboration en France. Miller a également signé des scénarios dont celui des Misfits (Les désaxés, 1960) écrit spécialement pour Marilyn Monroe, des nouvelles, deux romans (Focus, 1945 et Homely girl, 1992) et une autobiographie (Au fil du temps, 1987). Il n’a jamais vraiment cessé d’écrire, produisant à intervalles réguliers de nouvelles pièces ou des scénarios de films tirés de ses propres pièces. Il y a quatre mois encore, Miller assistait à la représentation à Chicago de sa nouvelle pièce Finishing the Picture (Compléter le tableau, 2004) dans laquelle il revient sur la carrière de Marilyn Monroe.

Le mari de Marilyn Monroe

Pour le grand public, le nom de Miller reste de manière indélébile associé à son mariage et son divorce avec Marilyn Monroe, l’icône sexuelle de l’Amérique des années 50. Ses cinq années de vie commune avec la mégastar, hypermédiatisées par une presse d’outre-Atlantique avide de sensationnel, ont associé Arthur Miller au mythe Monroe, brouillant par là même la perception de son parcours d’écrivain moral et idéaliste. C’est sans doute parce qu’il était conscient de cette ambiguïté que l’auteur de la Mort d’un commis-voyageur n’a eu de cesse de marteler ces dernières années le souci d’authenticité qui a été le sien tout au long d’un demi-siècle de combats et de créations. «J’aimerais que l’on se souvienne de moi comme un homme qui écrivait ce qu’il ressentait», a-t-il dit à la journaliste de New York Times qui l’interrogeait en octobre dernier, à la veille de la première de sa toute dernière pièce.


par Tirthankar  Chanda

Article publié le 13/02/2005 Dernière mise à jour le 13/02/2005 à 11:04 TU