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Environnement

L’affaire de l’Erika vogue vers le procès

Un procès est en vue plus de cinq ans après la marée noire de l'<EM>Erika </EM>qui avait souillé 400 kilomètres de littoral français.(Photo: AFP)
Un procès est en vue plus de cinq ans après la marée noire de l'Erika qui avait souillé 400 kilomètres de littoral français.
(Photo: AFP)
Les victimes de la marée noire qui a souillé en décembre 1999 les côtes de Bretagne après le naufrage du pétrolier Erika ont retrouvé l’espoir de voir bientôt jugés les responsables de cette catastrophe. En refusant lundi de solliciter une nouvelle expertise dans ce dossier, la Cour d’appel de Paris a ouvert la voie à la tenue d’un procès qui pourrait avoir lieu au début de l’année prochaine. Sur le banc des accusés se trouverait alors notamment l’affréteur de ce navire, le groupe Total, mis en examen dans ce dossier pour «complicité de mise en danger de la vie d’autrui» et «pollution maritime».

Le suspense juridique va durer jusqu’à la fin de la semaine, le parquet ayant encore la possibilité de se pourvoir en cassation après la décision rendue lundi 21 février par la cour d’appel de Paris. Celle-ci devait décider de demander ou non une nouvelle expertise dans le dossier de l’Erika, une requête formulée par le parquet après la clôture de l’instruction de ce dossier par la juge Dominique de Talancé. Elle avait choisi l’année dernière, à l’issue de son enquête, de renvoyer l’affaire devant un tribunal correctionnel sans demander la réalisation d’une nouvelle expertise destinée à analyser les causes du naufrage de l’Erika. Car le dossier contenait déjà les conclusions d’un premier rapport qui avait révélé en 2001 de nombreuses irrégularités commises par le groupe Total, de l’Etat et de la société italienne de classification Rina. Or, en 2004 avait été versé au dossier un nouveau rapport d’experts commis par le tribunal de Dunkerque qui mettait hors de cause le groupe pétrolier. Et c’est pourquoi le parquet avait sollicité la réalisation d’une contre-expertise.

Le refus par la Cour d’appel de la réalisation d’un nouveau rapport provoque un véritable sentiment de soulagement chez les victimes qui redoutaient de voir l’échéance d’un procès repoussée de plusieurs mois, voire plusieurs années, supplémentaires. Plus de cinq ans après la catastrophe, elles désirent que les responsables comparaissent enfin devant la justice. Et leur souhait pourrait se réaliser vers le début de l’année prochaine si la procédure judiciaire suit son cours normal. Au terme de son instruction, la juge Dominique de Talancé avait prononcé voilà un an les mises en examen de 19 personnes, dont celle du capitaine du navire, l’Indien Karun Mathur, de son propriétaire, l’Italien Giuseppe Savarese ou de la société italienne Panship, chargée de la gestion technique. Le groupe Total avait été mis en examen dès novembre 2001 dans ce dossier pour «complicité de mise en danger de la vie d’autrui» et «pollution maritime».

Affrété par Total, le navire Erika, qui battait pavillon maltais, s’est brisé en deux à soixante-dix kilomètres des côtes bretonnes avec 37 000 tonnes de fioul lourd à bord. Le lendemain, les deux parties de l’épave coulaient, laissant s’échapper deux nappes de fioul qui ont souillé près de 400 kilomètres de littoral entre le Finistère et la Vendée. Selon les conclusions de l’expertise ordonnée par la juge Talancé, des fissures situées sur le pont du navire sont à l’origine du naufrage de l’Erika. Et le groupe Total est accusé d’avoir malgré tout affrété ce navire-poubelle. Une version réfutée par les avocats du groupe pétrolier qui affirment que l’état de délabrement du bateau ne pouvait pas être décelé.

Une indemnisation dérisoire

Il ne fait pas de doute que le procès de l’Erika donnera lieu à un long et ardu débat technique entre les différentes parties. Son objectif sera de déterminer à la fois l’état exact dans lequel se trouvait le bateau avant de quitter le port de Dunkerque, et les responsabilités des entreprises et autorités chargées de l’inspecter. «Ce procès servira à mettre à plat la mécanique maritime et permettra de comprendre comment de telles catastrophes peuvent se produire», explique Jo Le Guen, secrétaire général du Syndicat mixte pour l’assainissement du monde maritime, l’une des nombreuses parties civiles du dossier. Pour ce défenseur des mers, qui s’était lancé dans une périlleuse traversée du Pacifique Sud à la rame en 2000 pour dénoncer la pollution des océans, il est essentiel que soient exposées et analysées au cours d’un procès les causes de ce naufrage, de manière à favoriser l’adoption de mesures efficaces de prévention.

Selon Jo Le Guen, une telle action judiciaire ne doit, par contre, susciter aucun espoir d’indemnisation chez les victimes. «Quand une marée noire se produit, on ne peut attaquer personne. Ce sont les règles du Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (Fipol) qui s’appliquent. Et les coupables ne pourraient être condamnés à verser une indemnisation seulement s’il était démontré qu’ils avaient commis une faute intentionnelle», précise-t-il. Alimenté par les sociétés pétrolières des pays signataires en une contribution calculée sur une base des tonnages transportés, le Fipol dispose d’une somme globale d’environ 185 millions d’euros pour indemniser les victimes de l’Erika. Un montant qu’excèdent largement les demandes, le coût réel de la catastrophe étant évalué à plus de 900 millions d’euros.

«Il faut que la société Total fasse un geste en créant un fonds complémentaire du Fipol», a estimé lundi Philippe De Villiers, président du conseil général de Vendée, une région fortement touchée par cette marée noire. Une requête qui, selon lui, se justifie par les bénéfices records de cette entreprise en 2004, Total affichant un bénéfice net courant en hausse de 21 % qui avoisine les neuf milliards d’euros. «Nous demandons à l’Etat au travers du ministère de l’Ecologie la saisie conservatoire de ces neuf milliards d’euros aux fins d’indemnisation», a demandé de son côté Franck Laval, président du Comité anti-marées noires. Serein, le groupe Total s’est contenté de «prendre acte» de la décision de la Cour d’appel de Paris refusant une nouvelle expertise. Et il ne manquera pas de continuer à s’appuyer pour sa défense sur les conclusions contradictoires des deux rapports aux mains de la justice.


par Olivier  Bras

Article publié le 22/02/2005 Dernière mise à jour le 22/02/2005 à 18:06 TU