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Fespaco 2005

Afrique du Sud : entretien avec le producteur Jacques Bidou

Jacques Bidou est le producteur de Fools, de Ramadan Suleman, premier long métrage tourné par un Sud-Africain noir. Huit ans plus tard, il vient de terminer le tournage de Zulu Love Letter, le deuxième opus de ce cinéaste de cinquante ans qui porte à lui seul -ou presque- tous les espoirs du jeune cinéma sud-africain.

De la colonisation à l’apartheid

Il ne faut pas sous-estimer l’Afrique du Sud, ses moyens, son poids économique, son influence politique et historique. Nous qui entretenons des relations privilégiées avec l’Afrique de l’Ouest avons tendance à oublier les spécificités de la colonisation anglo-saxonne : en Afrique du Sud, au Zimbabwe, la coopération culturelle s’est arrêtée du jour au lendemain. Ce qui a perduré en Afrique de l’Ouest du fait d’une culture coloniale différente a complètement disparu dans ces pays. Le cinéma de résistance qui se pratiquait durant l’apartheid a eu peu de visibilité : des films entre militantisme et journalisme, souvent réalisés avec l’aide de Channel 4 et de la BBC, mais qui n’ont jamais véritablement émergé, d’autant que ce cinéma reposait entre les mains de la communauté progressive blanche. Du point de vue de la résistance culturelle, les Noirs sud-africains ont beaucoup plus investi le théâtre et la littérature que le cinéma.

A la fin du régime d’apartheid, l’Afrique du Sud ne faisait pas partie des pays développés, mais pas, non plus, de la zone ACP : son cinéma ne pouvait donc bénéficier du FED (Union européenne). Elle s’est retrouvée dans un no man’s land, confrontée à des priorités qui n’avaient rien de culturelles : éducation, logement, lutte contre la misère. Il a fallu attendre 2002 pour voir la National Film & Video Foundation (NFVF) commencer à soutenir l’industrie cinématographique sud-africaine.

Tournages off shore

Après l’apartheid, on a assisté au développement rapide et massif d’une industrie cinématographique à Capetown. Une région fantastique, côté décors et climat, et, comparativement au reste du pays, très développée : cafés, restaurants, etc. A Capetown, un publicitaire new-yorkais peut presque se croire sur la côté californienne, mais pour des prix dix fois inférieurs à ceux pratiqués aux Etats-Unis ! Evidemment, cette industrie s’est développée selon des règles très particulières : les chefs de poste ne sont jamais sud-africains, et il est hors de question d’avoir recours à un laboratoire local. Ce qui crée une industrie, certes, mais complètement décapitée. Pendant le tournage de Fools, nous avons ainsi perdu un tiers de l’équipe, embarqué sur un Tarzan ! [rires]

De l’émergence (ou non) d’un cinéma sud-africain

Ramadan Suleman vient de Soweto, du théâtre. Il a touché au cinéma grâce aux ateliers Varan, qui ont démarré en Afrique du Sud en 1983, pendant l’apartheid. Ensuite, il est parti à Londres, puis s’est installé à Paris, où il a vécu sept ans. Il a travaillé avec Souleymane Cissé, Med Hondo… En Afrique du Sud, c’est le cinéma américain qui domine sur les écrans. Il n’y a pas de cinéphilie issue des écoles ou des cinémathèques. C’est un vrai problème : comment sortir de cette influence massive, faire émerger un cinéma qui intègre la réflexion critique et la culture du pays. Voyez Rithy Panh (S21, Les gens de la rizière) : il cite René Char mais, sur ses tournages, il fait ses prières chaque matin ! Pour cela, il faut un contexte économique favorable. Car les films sont otages de leurs conditions de financement à un point qu’on n’imagine pas. Pour favoriser l’émergence d’un cinéma sud-africain, il faudrait mettre l’accent sur la formation, imposer des quotas de films sud-africains à la télévision et dans les salles, développer les réseaux de distribution dans les grandes villes noires, etc.

Equipes : 50, 40, 25…

Aujourd’hui, quand on veut tourner en Afrique du Sud, on se heurte à une industrie super-structurée et inaccessible. Il y a des machinistes merveilleux, mais inabordables. Et il n’est pas possible de constituer une équipe de moins de 50 personnes. Quand nous avons commencé à travailler sur Zulu Love Letter, nous voulions une équipe légère, 25 personnes au plus, pour que tout l’argent aille sur le film. J’ai expliqué au directeur de production sud-africain, un ami qui avait déjà travaillé sur Fools, que sur Pau et son frère, un film français de Marc Recha que j’ai produit, nous avions travaillé avec une équipe de 17 personnes : le film est tout de même allé à Cannes ! Mais il n’a pu monter une équipe avec moins de 40 personnes. Il a préféré démissionner.

L’autre problème, c’était de financer le film avec de l’argent sud-africain. Le cinquième seulement du budget de Fools était de l’argent sud-africain, contre 60% pour Zulu Love Letter : fonds de la NFVF, des télévisions et d’une banque d’Etat qui a pour règle d’investir sur les films pourvu que ceux-ci disposent de capitaux européens.

Salles

Toute la distribution repose entre les mains de compagnies inféodées au cinéma américain, dont le réseau est limité au cœur blanc des grandes villes : pas de salles dans les townships. Zulu Love Letter va sortir au mois d’août sur dix salles, avec un distributeur sud-africain, Ster-Kinekor. Pour Fools, en 1997, Ster-Kinekor nous avait fait comprendre que pour eux, sortir un film sud-africain en Afrique du Sud relevait de l’aberration ! Avec deux copies, le film a eu un petit succès en salles, mais c’est surtout dans les townships, avec des projections itinérantes, dans les écoles, que nous avons fait un carton.


Propos recueillis par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 24/02/2005 à 11:33 TU