Fespaco 2005
Portrait du cinéaste africain en coureur de fond(s)
Toujours délicate, la production d’un long métrage africain passe depuis plus de vingt ans par les mêmes guichets. Tous, ou presque, sont occidentaux : Fonds européen de développement (FED), ministère français des Affaires étrangères, Fonds Sud (un fonds bipartite dépendant du Quai d’Orsay et du CNC), CNC (pour les films d’expression originale française), Agence de la francophonie, institutions privées telles que le Fonds Hubert Bals (du nom du fondateur du festival de Rotterdam), le COE (Milan), la Fondation Montecinemaverità (Locarno)… A ces aides publiques s’ajoutaient jusqu’au début des années 1990 les préachats et coproductions de certaines chaînes de télévision : ZDF allemande, télévision suisse romande, Channel Four en Grande-Bretagne, Arte et, en France, l’incontournable Canal + et, dans une moindre mesure, France 2 et France 3. Liées aux quelques succès en salles de films africains (Yeelen de Souleymane Cissé, Yaaba et Tilaï d’Idrissa Ouedraogo, Bal Poussière d’Henri Duparc…), ces interventions permirent dans les années 1980 que se mènent à bien nombre de projets. La désaffection du public occidental leur donna un coup d’arrêt.
Le cinéaste et l’homme-orchestre
Fragile, le cinéma africain l’est à tous égards. Parce qu’il s’inscrit dans un désert d’images. Parce que les télévisions nationales qui pourraient jouer un rôle majeur dans l’initiation des projets souffrent des mêmes maux que lui (à commencer par l’impécuniosité). Parce que le manque de professionnels a banalisé la figure du cinéaste-chef d’orchestre : scénariste, producteur, distributeur, et le cas échéant, exploitant de salles. Certains vont même jusqu’à organiser eux-mêmes la circulation de leur film, comme ce fut le cas, voici deux ans, de Sembène Ousmane, parti en tournée sénégalaise pour projeter Faat Kiné.
A elle seule, cette lourdeur explique pourquoi les cinéastes africains tournent si peu : neuf longs métrages seulement pour l’octogénaire Sembène Ousmane, cinq pour Souleymane Cissé (qui mit quatre ans à produire Yeelen, et sept à terminer Waati). Cinq pour Cheick Oumar Sissoko, quatre pour Gaston Kaboré. Après Touki Bouki, qui lui valut le surnom flatteur de « Godard africain », Djibril Diop Mambéty mit vingt ans à monter Hyènes, son deuxième et dernier long métrage (il est décédé le 23 juillet 1998).
Célébré par la critique, connu du public africain et européen, récompensé à Cannes, Idrissa Ouedraogo ouvrit l’espoir d’une voie médiane. Enfin, le cinéma africain allait sortir du ghetto du petit-film-mal-ficelé-mais-si-sympathique et passer à la vitesse supérieure, celle qui lui vaudrait, libéré de tout paternalisme, les éloges critiques et le succès public. De fait, au mitan des années 1990, après le magnifique Samba Traoré, toutes les portes semblent s’ouvrir devant le wonder boy burkinabè. Son long métrage suivant, Kini et Adams est produit et distribué par une major française. Après l’échec du film, en panne de financement sur son grand projet d’épopée (Boukary Koutou), ce cinéaste dont le talent n’est plus à prouver s’est replié sur son pays, où il produit et co-réalise pour la télévision locale une sitcom, Kadi Jolie. Après La colère des Dieux, « une réflexion sur le pouvoir et la pénétration coloniale », présenté au Fespaco 2003, il s’est attelé à l’écriture du Triomphe de l’amour, « une histoire populaire, tournée en vidéo ».