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Fespaco 2005

Le plus jeune cinéma du monde

Le cinéma africain fait son cinéma à Ouaga (ici lors de l'édition 2003)(Photo: RFI)
Le cinéma africain fait son cinéma à Ouaga (ici lors de l'édition 2003)
(Photo: RFI)
Depuis cinquante ans, les films d’Afrique nous donnent à voir des histoires d’hier et d’aujourd’hui, des histoires sans âge, filmées par des artistes, des guetteurs. Images chaleureuses, visages rayonnants malgré la misère. Espoir, solidarité malgré la douleur, humour et dérision de soi, « en attendant le bonheur », comme le dit explicitement le titre du dernier film du Mauritanien Abderrahmane Sissako, Grand Prix du Fespaco 2003…

Un homme passe, empêtré dans un vieux sac militaire, claudiquant maladroitement, une béquille sous l’épaule pour remplacer sa jambe emportée par une mine. Un homme meurtri qui veut vivre, travailler, exister dans une société qui ne le reconnaît pas, lui, qui a donné des années de sa vie pour sa patrie, lui, le héros de guerre… Nous sommes en Angola, et c’est l’acteur sénégalais Makéna Diop qui joue le rôle principal du dernier film de Zézé Gamboa. Ailleurs, dans un village une femme seule se bat contre la tradition pour protéger quatre petites filles de l’excision… Moolade, du Sénégalais Sembène Ousmane, l’aîné des anciens. Juste des images et des images justes, celles d’un continent en mouvement, celles aussi d’un cinéma qui s’empare des talents et des histoires, quelle que soit leur "nationalité" et sans se préoccuper des "frontières".

Les cinématographies d’Afrique ont aujourd’hui cinquante ans. Elles comptent parmi les plus jeunes du monde, au moins techniquement. Tant il est vrai comme on le dit souvent du côté de Dakar, qu’en Afrique, bien avant l’invention de la caméra, les griots avaient inventé les images. De l’Afrique du Sud à l’Angola, de la Mauritanie au Tchad, du Sénégal au Gabon, du Cameroun au Zimbabwe, malgré les difficultés financières, les problèmes sociaux et politiques, les convulsions nées de l’accouchement difficile du modernisme, les cinéastes tournent.

Certes, on ne compte pas plus d’un film par an et par pays en moyenne. Certes, de très nombreuses salles du continent sont à l’abandon ou transformées en magasins de riz. Certes, le cinéma n’est pas une priorité dans des pays en difficulté. Certes, le continent ne dispose que de rares écoles de cinéma et l’aide des bailleurs de fonds occidentaux garde le cinéma sous perfusion… Mais ils tournent.

Les cinéastes utilisent toutes les formes, tous les genres, toutes les ressources, tous les formats. Ils font films de tout bois, aidés en cela par des acteurs souvent excellents, rompus à l’art du théâtre, du conte, de la danse, et qui ont fait leurs classes dans le monde entier. Des acteurs qui ont pour nom Sotigui Kouyaté, Maka Kotto, Habib Dembélé, Makéna Diop, Fatou N’Diaye ou Aïssa Maïga pour n’en citer que quelques uns…

Mythes et réalités

Si leur cinéma se nourrit souvent du réel et des questions liées à l’émigration (Paris selon Moussa, du Guinéen Cheikh Doukouré) ou du contexte particulier de leur pays (le Héros, de l’Angolais Zeze Gamboa), ils abordent aussi avec bonheur le genre policier (Le Fleuve de Mama Keita, avec Stormy Bugsy, en cavale au Sénégal), la comédie musicale (Na Fahla de Flora Gomes), voire la comédie tout court. Le spécialiste du genre est sans conteste le Béninois Jean Odoutan dont l’humour franc et la tendresse ont fait le succès de ses dernières « banlieuseries Hélémiques » comme il le dit si bien. Dans leurs films, la douleur côtoie l’espoir et la dérision, la poésie flirte avec l’humour et l’émotion, l’amour n’est jamais loin.

Il faudrait parler aussi des films pour enfants, des contes, des dessins animés : Mustafa Alassane, au Niger, après avoir réinventé la lanterne magique dans les années 1950, fait aujourd’hui des dessins animés sur ordinateur dans son atelier perdu dans le désert ; un grand studio d’animation a été créé à Dakar, où oeuvrent 60 dessinateurs (Pictoon). Il y a aussi une véritable école de documentaristes, riche de cinéastes qui ont arpenté tous les chemins de traverse cinématographique à l’instar de leurs grands aînés (Djibril Diop Mambety, Mahama Traoré, Inoussa Ousseini) comme le Sénégalais Félix Samba N’Diaye, le Camerounais Jean-Marie Téno (Le malentendu colonial), le Zaïrois Mwese NGangura (Les habits du gouverneur).

Aujourd’hui, les cinéastes se réapproprient leur histoire, celle de l’Afrique contemporaine et des grands héros modernes (Lumumba, Cabral) mais aussi celle des mythes fondateurs. Rien de tel que leur parole et leurs images pour nous faire partager et mieux comprendre leur monde. Cela donne des films où le monde invisible affleure en surface, battant en brèche les pouvoirs temporels dictatoriaux, les compromissions et trahisons de tous ordres. Cela donne des films magnifiques et envoûtants comme Yeelen de Souleymane Cissé, ou la Genèse de Cheikh Oumar Sissoko du Mali. Suivant en cela la piste défrichée par Ousmane Sembène, Oumarou Ganda, Ababacar Samb, ou Mustafa Alassane, les pionniers des années 1960, ces cinéastes nous ouvrent les portes d’un autre monde, un monde riche de spiritualité et d’imaginaire, où la dignité n’est pas un vain mot.


par Catherine  Ruelle

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 24/02/2005 à 15:10 TU