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Fespaco 2005

Un aller simple pour Paris

Depuis la fin des années 1990, le retour au pays est devenu un thème majeur chez les cinéastes d’Afrique noire. Affaire de génération : pour leurs aînés, du Mauritanien Med Hondo à l’Ivoirien Désiré Ecaré, c’est la question de l’immigré, sa souffrance et ses tribulations, qui était centrale.

Grandeur et décadence d’un rêve de France

Afrique-sur-Seine, tourné en 1955 par les Sénégalais Paulin Soumanou Vieyra et Mamadou Sarr, s’inscrit d’emblée sous les auspices du rapport Nord-Sud. Certes la question, dans ce moyen métrage qui est, historiquement, le premier film africain (i.e. tourné par des Africains), est traitée sous le mode d’une utopie post-coloniale (versant Jules Ferry). D’autres, quelques années plus tard, la reprendont à leur compte dans une veine bien plus âpre, qu’il s’agisse de Concerto pour un exil, de l’Ivoirien Désiré Ecaré (1968), de Soleil O (1970) ou encore des Bicots Nègres, nos voisins (1973), du Mauritanien Med Hondo. Autant de films hantés par la même problématique, celle de la représentation d’un corps étranger (africain), obligé de s’intégrer dans un paysage dont il ne maîtrise ni les codes ni les données. Quelques décennies plus tard apparaîtront même, sur un thème identique, des comédies (Toubab Bi, du Sénégalais Moussa Touré, en 1991), tandis que le Burkinabè Idrissa Ouedraogo, prenant pour héros du Cri du cœur (1994) un gamin africain plongé à son corps défendant dans la grisaille lyonnaise, l’infléchit vers un fantastique discret.

Retour au pays natal

Le voyage inverse, celui du héros africain de la première ou de la deuxième génération et de son retour en Afrique, en revanche, n’est vraiment abordé par les cinéastes que depuis la fin des années 1990. Question d’époque. Pour toute une nouvelle génération de cinéastes, vivant – et parfois nés – en France, le lien avec l’ancienne puissance coloniale n’a plus à être idéalisé ni dénoncé : plus qu’un constat, il est devenu une donnée de base de leur cinéma. En 1999, le Tchadien Mahamat Saleh Haroun ouvre le ban. Bye Bye, Africa, récit d’inspiration très largement autobiographique, conte le retour au village d’un cinéaste africain vivant à Paris. Il y retrouve les siens, mais, porteur d’une culture qui leur est étrangère, peine à (re)trouver ses marques. Même si tout les oppose en termes formels, il est frappant de constater la similitude de sujet entre Bye Bye, Africa et La vie sur Terre, d’autant que, dans les deux cas, c’est le cinéaste lui même qui passe devant la caméra pour tenir le rôle principal de son film. En 2001, Immatriculation temporaire, du Guinéen Gahité Fofana, poursuit cette recherche en lui donnant une inflexion plus romanesque. Son héros, parti à Conakry sur les traces d’un père qu’il n’a jamais connu, se fait voler ses papiers, héberger par la sœur d’un chef de gang. Son surnom (IT) renvoie moins à sa condition « d’immatriculé temporaire » qu’à la créature de Spielberg : comme elle, « IT » est prisonnier d’un pays dont il ne connaît ni les mœurs ni la langue, et où il demeure en dépit de tout un Blanc (sa peau de métis). Là aussi, la figure invoquée est celle d’un territoire mental flou, où les contours du désir et de la volonté ne cessent de se redessiner. Mais c’est dans l’Afrance, premier long métrage du Français d’origine sénégalaise Alain Gomis, que la question identitaire est poussée à son paroxysme. El Hadj, un jeune étudiant sénégalais ayant par pure étourderie laissé expirer ses droits, est mis en prison. A sa sortie, il sombre peu à peu dans une folie que ni ses amis, ni sa fiancée sénégalaise, ne parviennent à détourner de son cours. Le retour au pays aura bien lieu, mais c’est prostré sur une chaise, dévasté, que le dernier plan nous livre El Hadj. Ici la superposition des cultures ne renvoie qu’au brouillage généralisé, la folie guette : certains voyages sont sans retour.


par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 24/02/2005 à 11:40 TU