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Fespaco 2005

Distribution en Afrique noire : pourquoi il faut se battre

Superproductions américaines, kung fu, mélos hollywoodiens occupent le haut de l’affiche, partout en Afrique. Ou presque…

Dans le monde, il est peu de festivals aussi populaires que le Fespaco. Cette manifestation entièrement dévolue aux cinématographies africaines a sans doute beaucoup contribué au rapport étroit, fidèle et curieux, que les Burkinabè entretiennent avec le cinéma. Voici deux ans, Moi et mon Blanc, de Pierre Yameogo, a déclenché une quasi-émeute. La même année, on put voir le président du jury, en l’occurrence Idrissa Ouedraogo, frayer à grand peine son chemin  vers un hypothétique siège lors de la projection de Nha Fala, du Bissau-Guinéen Flora Gomes. Au Burkina Faso, le cinéma africain fait recette. Il attire le public, remplit les caisses, nourrit débats et imaginaires.

Ce petit Etat de l’Ouest africain qui ne dispose d’aucune ressource naturelle fait preuve depuis quarante ans d’un intérêt sans faille pour le cinéma : création du Fespaco en 1970, de la Sonacib (1), d’une véritable billetterie nationale dont les recettes sont en partie redistribuées vers la production des films nationaux. L’exception sur un continent où le désintérêt des pouvoirs publics est une constante. Depuis la dissolution, en 1984, du Consortium africain de distribution des films (CIDC), une poignée de compagnies occidentales détiennent de facto le pouvoir sur la distribution en Afrique francophone (2). Au Nigeria, où le cinéma « celluloïd » a disparu, c’est le réseau des commerçants ibos qui se charge de distribuer sur le pays et vers la diaspora les produits de la très prolifique industrie vidéo du pays.

Les Africains aiment-ils le cinéma africain ? Longtemps, la discussion, en matière de distribution, s’est cantonnée à cette unique question. A sa manière, le Camerounais Jean-Pierre Bekolo y apportait sa réponse, ironique et sourdement désespérée, dans Quartier Mozart. On pouvait y voir trois lascars (respectivement nommés Bruce Lee, Schwarzenegger et Nikita !) dégoiser devant une salle bien décatie : « Avec ces films, tu vas pisser, bouffer et quand tu reviens, ils en sont toujours au même point ! » Certes, mais c’est se tromper sur les termes du débat.

Le paradoxe veut qu’un film africain, si misérable que soit son budget, coûte cher à distribuer. Parce que chaque marché national est minuscule, et qu’aucun distributeur africain indépendant ne dispose d’un réseau panafricain qui lui permettrait, si peu que ce soit, de rentabiliser sa sortie. Situation aggravée par l’état de dégradation des salles (et souvent l’insécurité des quartiers où elles se trouvent) d’une part, le développement exponentiel du piratage d’autre part : depuis dix ans, on assiste à un effondrement lent mais sûr de la fréquentation (3).

A rebours, les blockbusters américains, déjà amortis sur le marché international (ce qui permet aux majors de fournir gratuitement les copies aux distributeurs, moyennant un partage des bénéfices), disposant d’une énorme publicité gratuite à la télévision (grâce aux chaînes occidentales retransmises en Afrique via CFI et TV5), coûtent beaucoup moins cher à distribuer que n’importe quel film africain. La création (en mai 2003 par le ministère français des Affaires étrangères) du Fonds « Africa cinéma », destiné à aider les salles qui entendent programmer les productions locales, devrait infléchir la donne sans fondamentalement la changer.

Pourtant, en Afrique, certains films ont connu de vrais succès populaires : 50 000 Burkinabè ont vu Sia, le rêve du python de Dani Kouyaté, 300 000 ont adoré  Buud Yam de Gaston Kaboré. En Côte d’Ivoire, Bronx Barbès, d’Eliane de la Tour, a attiré 50 000 spectateurs, et le Lumumba de Raoul Peck, qui a bénéficié d’une sortie sur dix pays africains, en a cumulé 60 000. Depuis quelques mois, le Burkina tente timidement d’explorer la piste numérique : tournés en vidéo avec des moyens dérisoires, Traque à Ouaga et Sofia, de Boubacar Diallo, ont été d’immenses succès populaires. Il faut s’en réjouir, sans voir pour autant ces réussites pour autre chose que ce qu’elles sont : un simple rattrapage mettant en perspective l’immensité de la tâche encore à accomplir.


par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 24/02/2005 à 11:35 TU

Source principale : Rapport d’orientation d’une politique sectorielle commune de l’image au sein des Etats membres de l’UEMOA, Dominique Wallon et Toussaint Tiendrebeogo.

(1) Société nationale de distribution et d’exploitation cinématographique du Burkina.

(2) En Afrique, les sociétés de distribution ne jouent pas un rôle dynamique, car dans la plupart des cas, elles ne sont que des intermédiaires, alimentant le marché de films fournis en gros par des sociétés européennes, elles-mêmes relais des majors américaines. Le groupe CFAO, filiale du groupe Pinault-La Redoute, s’impose aujourd’hui comme l’opérateur décisif, voire monopolistique dans l’immense majorité des pays d’Afrique occidentale. La reprise en France de Films 26 et de son rôle d’intermédiaire avec les majors, son accord avec Metropolitan, courroie de transmission avec les indépendants US et certains Français, vont faire dépendre de cette entreprise l’alimentation en films internationaux de la sous-région.

(3) Même au Burkina, on note une chute de 52 % entre 1995 et 2000, chiffres Sonacib.