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Fespaco 2005

Boubacar Diallo, portrait d’un pionnier

Dans le sillage du géant nigérian, le Burkina Faso ouvre ses portes à la vidéo. Financées par des sponsors locaux, écrites-filmées-montées en quelques semaines, ces fictions d’un nouveau genre se caractérisent par un ancrage fortement local, qui assure leur succès auprès du public. Premiers du genre, Traque à Ouaga et Sofia, tournés par Boubacar Diallo, ancien journaliste passé derrière la caméra, ont tenu le haut de l’affiche en 2004.

Ouagadougou, un soir de novembre. En plein centre-ville, non loin du grand marché, une foule compacte attend sagement devant le guichet du Ciné Burkina, le plus beau cinéma de la capitale. Deux immenses posters annoncent Open water, un thriller américain, et Podium, mais ce n’est ni pour Benoît Poelvoorde ni pour Claude François que les Ouagalais sont venus en masse. L’évènement du jour se nomme Sofia, du nom de l’héroïne éponyme du deuxième film de Boubacar Diallo.

A 42 ans, Diallo arbore un CV impressionnant. Après le baccalauréat, ce fils de vétérinaire a abandonné ses études pour devenir journaliste, après une brève incursion dans la vente de vêtement de sports. Dans les années 1990, les effluves du printemps démocratique africain le convainquent de lancer le Journal du Jeudi, un hebdomadaire satirique, cousin burkinabè du Canard enchaîné. Hyperactif et graphomane, à l’instar de son héros Georges Simenon, il trouve entre deux bouclages le temps de ficeler deux romans policiers, un recueil de contes, plusieurs scénarios. Diallo parle vite et précis, arborant un panthéon personnel disparate où cohabitent Prévert et Fluide Glacial, « le seul journal français auquel j’ai jamais été abonné ». Pragmatique, il est passé à la réalisation parce que les films que ses amis cinéastes tiraient de ses scripts ne le satisfaisaient plus. « Un scénario classique, c’est une page pour une minute de film. Le script de Sofia fait 60 pages pour un film d’une heure 45. Je ne vais pas me fatiguer à écrire combien de morceaux de sucre il faut verser dans la tasse ! » Rapide, il a tourné Traque à Ouaga en deux mois. Succès aidant, Sofia s’est bouclé en moins de temps encore.

Chronique des amours contrariées d’une jeune vendeuse de Ouagadougou et d’un chanteur talentueux-mais-fauché, Sofia creuse le sillon toujours porteur de la comédie romantique. Ses tribulations ne dépareraient pas un Barbara Cartland, mais la clef de son immense succès est ailleurs : dans le miroir saisissant de vérité que cette jeune et jolie célibataire tend à toute une génération de jeunes Ouagalais. Rires scandalisés lorsque l’héroïne glisse un billet sous la table pour que son artiste fauché ne perde pas la face au moment de l’addition. Applaudissements quand son autre prétendant, le richissime Balla, lui offre une pleine boîte de bijoux dignes de la Bégum. Plus loin, ce sont des figures emblématiques de la ville qui font vibrer la salle : rond-point des cinéastes, café le Show Bizz, centre culturel français, maquis et petits restaurants à la mode. Décors, costumes, dialogues… jusqu’au bissap que dégustent les personnages : dans Sofia, tout est local.

Diallo pense en auteur, mais parle comme un entrepreneur, martelant des phrases comme « Toute activité doit avoir une logique économique. Le jour où le robinet des subventions est coupé, il n’y a plus de cinéma africain. Or, pour moi, de Dakar à Libreville, il y a un seul et même public. C’est dommage de ne pas s’appuyer dessus. » Après avoir terminé le scénario de Traque à Ouaga, il a hésité. « J’aurais pu lever des fonds par les réseaux classiques, institutions et fondations européennes. J’ai réfléchi. Je me suis dit que si j’en passais par là, je mettrais au moins deux ans à monter mon projet, et encore, en ayant de la chance ! » Diallo n’a envoyé aucun script, aucune demande de subvention en Europe. Il ne sait pas à quoi ressemble un formulaire d’Avance sur Recettes. Traque à Ouaga à été intégralement financé par des sponsors locaux. Son budget microscopique (20 millions de F CFA) a été amorti en quelques jours grâce au colossal succès populaire du film.

Pour Diallo, la vidéo est beaucoup plus qu’un choix esthétique : la condition de son indépendance, d’artiste et de producteur. En Afrique, où il n’est pas rare que, faute de financements, un réalisateur reste au chômage technique plusieurs années durant, il a pu enchaîner deux films en un an. Désormais, c’est dans cette aventure numérique Sud-Sud que le cinéaste voit la source d’un renouveau pour le cinéma africain. Et l’ouverture d’un espace neuf, fécond de perspectives pour les salles et le public.


par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 24/02/2005 à 11:34 TU