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Fespaco 2005

Le cinéma et les cinéastes du Burkina

Le Burkina Faso, pays enclavé au cœur de l’Afrique sahélienne, joue le rôle de vitrine du cinéma africain. Ce qui, à première vue, s’accommode mal avec sa situation économique. De plus, la courbe de sa production cinématographique est très irrégulière. D’où vient alors la force du Burkina dont la capitale Ouagadougou arbore fièrement le label de « capitale du cinéma africain » ?

L’histoire des cinémas d’Afrique noire nous enseigne que le cinéma fut très tôt introduit au Burkina (anciennement Haute-Volta) par le biais de missionnaires catholiques et de marchands d’images, notamment des Syro-Libanais. C’est l’époque du cinéma encensant la colonisation comme « l’œuvre hautement civilisatrice » d’une Afrique « sauvage et anthropophage ». Des titres de films comme Chez les cannibales de Martin et Osa Johnson (1928), Chez les buveurs de sang, le vrai visage de l’Afrique du Baron Gourgaud (1932) ou Au pays des sorciers et de la mort de Maquis Waurin (1933) sont là pour rappeler le triste souvenir des fantasme coloniaux : hormis quelques films ethnographiques, la plupart des productions de l’époque s’ingéniaient à mettre en exergue « la supériorité de la civilisation occidentale sur les civilisations exotiques ».

Pour sonner le glas de cette domination coloniale par l’image, la Haute-Volta, après la proclamation de son indépendance en 1960, va inscrire la promotion du cinéma au rang de ses préoccupations principales. Des actes accompagnent cette volonté politique affichée : réalisation (en août 1960) d’un film-reportage sur les cérémonies d’avant la proclamation de l’indépendance du pays et intitulé A minuit l’indépendance ; création en 1961 de la cellule cinéma au sein du ministère de l’Information. Placée sous la direction de Serge Ricci, un coopérant français, cette cellule va servir de base à la naissance et à l’émergence du cinéma en Haute-Volta. Elle bénéficie de l’appui de la France. A l’actif de cette cellule, la production de films (de vulgarisation agricole, d’éducation sanitaire etc.) visant les populations rurales. Avec trois caméras, un enregistreur à bande et une équipe réduite composée entre autres de Issaka Thiombiano, Sékou Ouedraogo et Jean-Pierre Ouedraogo.

Des résultats financiers très satisfaisants

Jusqu’en 1969, deux sociétés françaises, la Société d’exploitation cinématographique africaine (Secma) et la Compagnie africaine cinématographique et commerciale (Comacico) se partageaient le marché du cinéma en Haute-Volta. Les six salles de cinéma que comptait le pays leur appartenaient. En janvier 1970, le gouvernement, pour faire face à une augmentation de 25 % des tarifs d’entrée imposés par ces deux structures privées, décide de nationaliser les salles de cinéma. Les termes de l’ordonnance du président Sangoulé Lamizana stipulent que «sont nationalisées, à compter du 1er janvier 1970, la distribution et l’exploitation des films ainsi que des salles de cinéma sur l’ensemble du territoire». Par la même ordonnance est créé un établissement public à caractère commercial et industriel : la Société nationale voltaïque du cinéma (Sonavoci). Les résultats financiers de la société sont si satisfaisants que l’Etat met en place un fonds de promotion et d’extension de l’activité cinématographique. Il est alimenté à 15% par les recettes de la Sonavoci. A la suite de sérieuses difficultés rencontrées par la société – devenue Sonacib, Société nationale d’exploitation et de distribution cinématographiques du Burkina –, celle-ci est aujourd’hui liquidée au profit de la Société ARPA du réalisateur Idrissa Ouedraogo.

En 1979, avec l’aide de l’Etat, Martial Ouedraogo, un homme d’affaires, crée un complexe cinématographique équipé de studios de production et de tournage : la Société africaine de cinéma (Cinafric). Parmi les productions à son actif, deux longs métrages : Pawéogo, l’émigrant de Kollo Sanou et le Courage des autres de Christian Richard. Trois ans plus tôt, en 1976, il avait créé avec le concours de l’Unesco l’Institut africain d’éducation cinématographique (INAFEC), qui a formé plus de 200 professionnels aux métiers de cinéma avant de fermer ses portes en 1986. De nos jours, la formation des professionnels se fait essentiellement à l’étranger et sur le tas lors des tournages de films.

Films exotiques

Si les premières années d’existence du cinéma burkinabè ont été marquées par la réalisation de films documentaires, de fictions exotiques (destinées à la métropole) et de sensibilisation socio-éducative, un autre type de cinéma fait son chemin : le cinéma commercial envisagé dans une perspective de rentabilité financière. Ont ainsi fait œuvre de pionniers les doyens Mamadou Djim Kola (avec Le sang des Parias) et René-Bernard Yonly (avec le Chemin de la réconciliation). Depuis, d’autres thèmes ont fait leur apparition : lutte contre la corruption, critique des coutumes rétrogrades, rejet de l’aliénation à l’Occident et son imitation servile, dénonciation de la condition féminine... Leurs auteurs sont Gaston Kaboré, Idrissa Ouedraogo, Paul Zoumbara, Dany Kouyaté, Guy D. Yameogo, Fanta Régina Nacro, Saint-Pierre Yameogo, Pierre Rouamba, Claude Bado, Issa Traoré de Brahima…

De 1969 à 1998, la production se présente ainsi : 102 courts métrages et 49 longs métrages. Beaucoup de ces films ont obtenu des prix au Fespaco ou dans d’autres festivals. Mais cette notoriété n’éclipse pas les difficultés auxquelles est confronté le cinéma burkinabè : problèmes de financement, mauvaise gestion du fonds de soutien au cinéma, réticence des entrepreneurs nationaux à investir dans le cinéma, rareté des établissements bancaires qui acceptent d’octroyer des crédits aux cinéastes, inadaptation du cadre juridique, promotion insuffisante… Produire un film au Burkina relève encore du parcours du combattant, même si, depuis quelques mois, la piste vidéo semble offrir de nouvelles opportunités, comme l’ont prouvé les films d’Apolline Traoré (Sous la clarté de la lune) et de Boubacar Diallo (Traque à Ouaga, Sofia), gros succès populaires de l’année 2004.


par Sita  Tarbagdo

Article publié le 23/02/2005 Dernière mise à jour le 24/02/2005 à 11:37 TU