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Défense

Le Canada reste à l’écart du bouclier anti-missile

Manifestation anti-Bush à Ottawa. Selon un sondage, près de 54% des Canadiens sont opposés au bouclier défensif américain.(Photo: AFP)
Manifestation anti-Bush à Ottawa. Selon un sondage, près de 54% des Canadiens sont opposés au bouclier défensif américain.
(Photo: AFP)
Après une longue valse d’hésitations et de tergiversations, le gouvernement canadien a annoncé qu’il ne participerait pas au programme militaire des Etats-Unis destiné à lutter contre les attaques de missiles. Il juge que ce programme est trop onéreux et qu’il ne répond pas à ses intérêts stratégiques. Une décision qui risque d’entraîner une nouvelle période de refroidissement dans les relations canado-américaines.

L’annonce de la décision canadienne s’est faite en deux temps. Le premier ministre Paul Martin avait profité du sommet de l’Otan à Bruxelles cette semaine pour informer directement les représentants américains du refus de son pays de participer au bouclier antimissile élaboré par les Etats-Unis. Et il a rendu publique cette décision jeudi lors d’une déclaration lue devant les médias. «Nous respectons le droit des Etats-Unis de défendre leur territoire et leur population. Nous continuerons d’ailleurs de travailler en partenariat avec notre voisin du sud pour assurer la défense commune de l’Amérique du Nord et la sécurité continentale. (…) Cependant, nos efforts ne porteront pas sur le bouclier antimissile», a expliqué le Premier ministre canadien. C’est devant la chambre des communes que son ministre de la Défense, Pierre Pettigrew, a, lui, expliqué les raisons de ce choix. «Le Canada doit agir en fonction de ses propres intérêts. (…) Le Canada doit opter pour des investissements qui lui rapporteront les plus grands résultats tangibles», a précisé M. Pettigrew.

Cette annonce met fin à de longs mois de tergiversations et d’hésitations autour de l’un des projets-phare américains de défense. Le programme destiné à lutter contre une attaque massive de missiles a été lancé voilà une vingtaine d’année par le défunt président Ronald Reagan et était alors connu comme «l’Initiative de défense stratégique». Son nom et son contenu ont changé au gré des présidences américaines et des relations internationales, avec une période de dix ans pendant laquelle il a été complètement abandonné. Et c’est en décembre 2002 que le président George Bush a relancé à son tour le projet de bouclier en annonçant le déploiement de missiles intercepteurs sur le territoire des Etats-Unis. A cette époque, Paul Martin, qui n’occupait pas encore les fonctions de Premier ministre, militait en faveur de la participation du Canada à ce programme militaire.

Son changement de position est notamment dû à l’impopularité grandissante que rencontre ce projet au Canada. Un récent sondage publié par le quotidien Toronto Star indiquait ainsi que 54 % de la population était contre le bouclier, et 34 % pour. Et dans la perspective des élections des prochaines élections parlementaires, il est fort probable que le Parti libéral, malmené lors des élections générales anticipées de juin 2004, ait jugé plus raisonnable de se ranger dans le rang de ceux qui dénoncent depuis de longues années la réalisation de ce projet, en l’accusant de fomenter une folle course à l’armement. Pour poursuivre leur projet de bouclier, les Etats-Unis avaient d’ailleurs été contraints de se retirer en décembre 2001 du traité sur la limitation des systèmes anti-missiles balistiques (ABM) entré en vigueur en 1972, une convention internationale dont l’objectif est de limiter le déploiement de missiles dans le monde.

Un camouflet pour George Bush

La réaction des autorités américaines traduit l’agacement de la Maison-Blanche après le revirement d’Ottawa. «Nous ne comprenons pas», a déclaré l’ambassadeur des Etats-Unis au Canada, Paul Celluci. «Si un missile surgit et qu’il se dirige vers le Canada, vous allez laisser les Etats-Unis décider quoi faire de ce missile. Ce n’est pas dans l’intérêt de la souveraineté du Canada». La déception américaine est d’autant plus grande que les Américains avaient interprété comme un geste de soutien à ce programme militaire différentes modifications apportées voilà quelques mois à l’accord de Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (Norad) dont l’un des objectifs est la surveillance des missiles dans l’espace américano-canadien. Et pour le président George Bush, qui n’avait pas ménagé ses efforts pour obtenir l’accord des autorités canadiennes, cette décision est un camouflet. Le coût très élevé de ce projet est l’une des raisons de l’insistance dont il avait fait preuve ses derniers temps. Selon un officiel américain cité par différents médias, le président américain n’avait par exemple pas ménagé Paul Martin lors d’une visite effectuée au Canada en novembre dernier. «Je ne partage pas ce point de vue, mais un futur président américain pourrait se demander : "pourquoi payons-nous pour défendre le Canada ?"», lui avait-il alors fait remarquer au cours d’un dîner.

Après la crise née du refus canadien de participer à l’intervention américaine en Irak, les relations entre les deux pays risquent donc de connaître une nouvelle période de refroidissement. Paul Martin a, du coup, pris soin d’amortir les conséquences de ce choix. Il a ainsi rappelé dans sa déclaration que le Canada venait de voter l’augmentation des dépenses militaires canadiennes destinées à la défense du continent nord-américain. Douze milliards de dollars d’investissements sont prévus au cours des cinq prochaines années, une somme notamment destinée au renforcement de la sécurité frontalière du pays. «Le Canada et les Etats-Unis demeurent l’un pour l’autre l’allié le plus fidèle et l’ami le plus dévoué. (…) Notre engagement mutuel à un monde sûr est inébranlable», a rappelé Paul Martin. «C’est pourquoi nous continuerons de veiller à ce que notre relation s’affermisse et à ce que nos deux peuples jouissent d’une sécurité et d’une prospérité plus grandes dans les années à venir».


par Olivier  Bras

Article publié le 25/02/2005 Dernière mise à jour le 25/02/2005 à 18:02 TU