Tourisme
Le Mali exemplaire ?
(Photo: AFP)
«Chaque pas nous rapproche», le slogan de l’opérateur La Balaguère prend tout son sens au Mali. Loin du tourisme balnéaire, ses clients se laissent rythmer par la poussière, de bivouacs en rencontres avec la population qui est associée à la construction des séjours. Depuis l’automne 2004, l’heure est plus que jamais aux «Chemins solidaires», thème d’une brochure spéciale du tour-opérateur qui engage un vrai tournant. «Jusqu’au printemps dernier, ceux qui le souhaitaient donnaient 15 euros en plus du prix de leur séjour et La Balaguère en mettait autant», explique Vincent Fontvieille, le directeur. «Nous arrivions bout à bout à mettre au point des projets, mais cela n’était pas très équilibré, pas très explicite. Beaucoup de clients ne participaient pas et dans certaines zones, notamment le pays Dogon, les sommes recueillies étaient trop faibles. Nous avons donc décidé de systématiser l’apport financier, comme cela les clients savent mieux à quoi s’en tenir», ajoute-t-il.
Désormais le tour-opérateur La Balaguère prélève directement 5% sur le prix du voyage, pour financer directement des programmes de développement. Une pratique que Croq’Nature connaît bien, pour l’avoir initiée il y a vingt ans. «En 1994, quand nous avons organisé les premiers voyages au Maroc sur le thème du développement local financé par des recettes touristiques, on nous a qualifiés de doux utopistes», reconnaît le directeur de Croq’Nature, Jean-Luc Ganteille. Mais se félicite-t-il, «aujourd’hui, le mouvement pour une mondialisation plus humaine s’organise. Et c’est tant mieux !». Ici c’est 6% du prix du voyage qui sont prélevés et réinvestis directement dans l’économie locale. Des «campements», des classes, des salaires d’instituteur sont directement financés par les communautés grâce aux bénéfices réalisés en accueillant des touristes.
L'impression d'être utile
Les villageois, en majorité des éleveurs, tirent une ressource nouvelle de ces activités nouvelles. Ils gèrent eux mêmes ces recettes tirées du tourisme. La saison dernière, 1 200 personnes ont ainsi visité le pays touareg, loin du pittoresque convenu. Ils ont généré 35 millions de francs CFA (50 000 euros) de revenus. Ecoles de brousse et cantines sont nées de cette manne privée. Les communautés de villageois sont fières d’avoir mené elles-mêmes leurs projets et les touristes y trouvent leur compte. A Yendouma, par exemple, dans la cour d’une famille de tisserands maliens, Marie a enfin l’impression d’être utile. «C’est vrai qu’en voyageant au plus près des populations dans les villages, j’éprouve parfois le pénible sentiment d’être dans la position du voyeur», avoue t-elle. En revanche, «là, j’ai l’impression de partager quelque chose avec les gens que je croise». L’agence La Burle, avec laquelle elle passe deux semaines en pays dogon, aide à construire des campements le long de la falaise de Bandiagara, dans de nouveaux villages qui se visitent en deux semaines.
De concert avec les habitants de Yendouma, La Burle a organisé un soutien à l'école du village et au petit dispensaire transformé en hôpital de campagne qui soigne principalement les nomades. L'été dernier, elle a contribué à financer quelques tonnes de grains de mil pour remplir les greniers. Déjà bien au-delà de ces démarches volontaristes, professionnelles, mais souvent limitées, Point-Afrique impressionne. Fondée en octobre 1996, l’entreprise solidaire est une coopérative de voyageurs. Le transport aérien a été l’un de ses premiers métiers et la personnalité de son fondateur, Maurice Freund, a beaucoup compté. Chargé d’une mission de conseil par l’ancienne compagnie continentale Air Afrique, il avait lancé et présidé auparavant Point-Mulhouse, devenu le numéro un français des charters aériens dans les années 70.
Point-Afrique est l’une des premières agences à avoir offert la possibilité aux Européens de découvrir le Mali en affrétant des vols charters vers Gao dès 1996. Depuis, elle a conservé son objectif de désenclavement par la création de liaisons aériennes économiques, générant des flux nouveaux de touristes. La coopérative elle-même a pris des participations (souvent majoritaires) dans d’autres structures touristiques (Secrets d’Afrique, Chemins de Sable) ainsi que dans la compagnie Air Méditerranée, dont Maurice Freund, le président du Point-Afrique, est aussi l’un des administrateurs. Loin de s’arrêter là, la coopérative projette de participer à d’autres futures compagnies aériennes en Afrique de l’Ouest pour maîtriser ses coûts. Parallèlement, elle poursuit le développement d’activités économiques génératrices d’emplois.
Achats de 4X4, formations, équipement des guides, chauffeurs ou pinassiers, les projets sont multiples à Point-Afrique. C’est grâce à un crédit gratuit de la coopérative que Camille, qui remonte le fleuve Niger entre Gao et Tombouctou, a pu acheter son bateau: «La pinasse sans le moteur coûte 2 millions de francs CFA, et le moteur coûte aussi 2 millions à Bamako. Le Point-Afrique m’a donné 4 millions (un peu plus de 6 000 euros), explique-t-il, et je rembourse. Comme il n’y a pas du travail toutes les semaines, je ne rembourse que les semaines où je travaille». L’association prélève une partie des revenus de la semaine de travail jusqu’à l’extinction de la dette. Camille s’investit dans son travail sans être acculé en cas de chômage. Quand le crédit sera soldé, il sera employé par la coopérative comme n’importe quel autre pinassier, en tant que prestataire indépendant. L’économie touristique demeure ainsi entre les mains de Maliens. Pas question de capter les richesses locales, il s’agit au contraire de les développer. Le tourisme équitable devient outil de développement durable.
par Annie Fave
Article publié le 06/03/2005 Dernière mise à jour le 06/03/2005 à 18:30 TU