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États-Unis

Abolition de la peine de mort pour les mineurs

Fait inhabituel, la pression de l’opinion mondiale été prise en compte dans la décision des juges de la Cour suprême des États-Unis.(Photo : AFP)
Fait inhabituel, la pression de l’opinion mondiale été prise en compte dans la décision des juges de la Cour suprême des États-Unis.
(Photo : AFP)
Dans un arrêt historique, la Cour suprême des États-Unis a banni la peine de mort pour les prévenus qui étaient mineurs au moment des faits pour lesquels ils ont été condamnés. Les États-Unis étaient l’un des derniers pays au monde à autoriser cette pratique. Leur décision s’appuie en partie sur le poids de l’opinion mondiale.

De notre correspondant à New York

L’arrêt de la Cour suprême américaine épargne instantanément les vies de 72 Américains condamnés pour des actes qu’ils avaient commis alors qu’ils étaient âgés de 16 ou 17 ans. Ces jeunes personnes, dont beaucoup se trouvent au Texas, en Alabama et en Virginie, vont donc quitter les couloirs de la mort et voir leurs sentences commuées en des peines de prison à vie. Cet arrêt met fin à une pratique en vigueur dans 19 États américains, décriée par les défenseurs des droits de l’homme du monde entier, et qui reléguait les États-Unis au rang de pays comme l’Iran, la Chine, le Pakistan ou l’Arabie Saoudite. Par 5 voix contre 4, les juges de la Cour suprême ont décidé que l’exécution de criminels mineurs était un acte cruel et inconstitutionnel.

Avant 18 ans, estiment les juges, une personne n’a pas la maturité intellectuelle ni émotionnelle d’un adulte. «L’âge de 18 ans est le point à partir duquel la société trace la ligne, dans divers buts, entre l’enfance et l’âge adulte. C’est, concluons-nous, l’âge à partir duquel l’admissibilité de la peine de mort doit être retenue» a écrit au nom de la majorité le juge Anthony Kennedy. Cette décision s’appuie selon les juges sur l’émergence d’un «consensus national», conforté par des preuves médicales et des travaux de sciences sociales prouvant qu’un mineur ne peut pas endosser le même degré de responsabilité qu’un adulte. L’arrêt repose également sur une décision de 1958 définissant «des standards de décence évolutifs qui marquent le progrès d’une société en maturation». Depuis 1989, 5 États ont interdit la peine de mort pour les mineurs au moment des faits, portant à un total de 30 (sur 50) le nombre d’État où cette pratique est bannie.

Fait inhabituel, la pression de l’opinion mondiale, «une réalité crue » selon le juge Kennedy, a été prise en compte dans la décision des juges. «Il est approprié pour nous de prendre acte du poids accablant de l’hostilité de l’opinion mondiale envers la peine de mort des mineurs, reposant en grande partie sur la reconnaissance du fait que l’instabilité et le déséquilibre émotionnel des jeunes gens peut souvent être un facteur dans le crime» écrit le juge, qui par le passé avait soutenu la peine de mort pour les mineurs de plus de 15 ans. L’un des quatre juges ayant voté contre l’abolition de la peine de mort pour les mineurs, Antonin Scalia, a pour sa part estimé qu’il n’existait aucun «consensus national» sur cette question. Selon lui, il revient aux États de décider d’exécuter ou non des mineurs, sans être influencés par «les vues subjectives  de cinq membres de la Cour et d’étrangers partageant les mêmes dispositions». Visiblement excédé par la décision de la majorité, le juge Scalia a relevé que beaucoup de pays avaient des lois plus restrictives que les États-Unis concernant l’avortement, mais que la «Cour invoque la loi étrangère quand ils sont en accord avec elle, mais l’ignore dans le cas contraire».

Une décision saluée dans le monde entier

Cette décision s’inscrit dans une série de mesures qui tendent à restreindre l’application de la peine de mort depuis qu’elle a été remise en vigueur en 1976. Il y a trois ans, les juges ont interdit la peine de mort pour les personnes «retardées mentales» incapable de pleinement comprendre l’ampleur des crimes dont elles ont été reconnues coupables. En 1988, une Cour suprême à la composition différente avait banni la peine de mort pour les personnes âgées de 15 ans et moins au moment des faits, tout en réaffirmant le droit d’exécuter des mineurs de plus de 15 ans.

L’affaire qui a abouti à cette décision est celle de Christopher Simmons, condamné à mort en 1993. Âgé de 17 ans au moment des faits, il avait kidnappé une voisine qui l’avait reconnu lors d’un cambriolage, l’avait ligotée et l’avait précipitée dans le vide du haut d’un pont, provoquant sa mort par noyade. Selon l’accusation, il avait froidement planifié son crime et s’était vanté de pouvoir éviter les conséquences de ses actes grâce à son jeune âge. L’arrêt aura des conséquences pour beaucoup d’autres jeunes prévenus. Les procureurs ont immédiatement annoncé qu’ils renonceraient à réclamer la peine de mort pour Lee Boyd Malvo, le «sniper» qui avait 17 ans lorsqu’il avait terrorisé  avec un complice/mentor la banlieue de Washington, faisant 10 morts, dont deux sous ses balles. La décision arrive aussi beaucoup trop tard pour d’autres. Depuis1976, 22 mineurs au moment de leur crime ont été exécutés aux États-Unis, dont 13 au Texas. Selon la Coalition nationale contre la peine de mort (NCADP), neuf de ces exécutions ont eu lieu depuis 2000.

La décision de la Cour suprême a été saluée dans le monde entier. L’Union européenne, le Conseil de l’Europe, d’anciens diplomates onusiens, des défenseurs des droits de l’homme britanniques et un groupe de prix Nobel s’étaient parmi d’autres joints à la procédure visant à mettre un terme à la peine de mort pour les mineurs. «Avec cette décision, les États-Unis reconnaissent la tendance nationale contre la peine capitale pour les mineurs et rejoignent la communauté des Nations, qui uniformément renoncé à cette pratique» a déclaré l’ancien président américain Jimmy Carter. Depuis 2002, le nombre d’exécutions et de prisonniers condamnés à mort est en légère baisse aux États-Unis : 71 exécutions et 3557 détenus dans les couloirs de la mort en 2002, 59 exécutions en 2004 et 3503 prisonniers dans les couloirs de la mort.

par Philippe  Bolopion

Article publié le 02/03/2005 Dernière mise à jour le 02/03/2005 à 16:40 TU

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Anne Toulouse

Envoyée spéciale permanente de RFI aux Etats-Unis

«La Cour suprême ne légifère que rarement sur la peine de mort. »