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Fespaco 2005

Etat des salles, sale état

Frédéric Massin, exploitant de salles au Cameroun et au Mali.(Photo : Denis Chastel/RFI)
Frédéric Massin, exploitant de salles au Cameroun et au Mali.
(Photo : Denis Chastel/RFI)
Avec plus de 170 films projetés, le Fespaco est la grande fête du cinéma. Question : ces films seront-ils être vus ailleurs qu’au Burkina Faso ? En Afrique, la plupart des salles de cinéma sont en déshérence, parfois transformées en restaurant ou en magasins de riz. Le Burkina est l’un des rares pays à avoir conservé un parc en relativement bon état. Ailleurs, c’est le désert ou presque. Frédéric Massin, qui possède cinq cinémas répartis entre le Mali et le Cameroun raconte ses plus gros succès, tout en faisant part de ses inquiétudes.
De notre envoyée spéciale à Ouagadougou

RFI : Combien de salles avez-vous ?

Frédéric Massin : Deux à Bamako et trois au Cameroun, à Douala, Yaoundé et Bafoussam. Les salles maliennes marchent bien, mais les camerounaises ont du mal à payer leurs charges.

RFI : Votre première programmation ?

FM : Quand je suis arrivé en Afrique, voici quinze ans, Mandela venait d’être libéré de prison. Moi, j’étais encore jeune et innocent, je me suis dit « Faisons un spécial Mandela », en m’attendant à une influence record. Echec total. [rires]

RFI : Le goût du public a-t-il évolué en quinze ans ?

FM : La demande a changé. Cela fait des décennies que les gens bouffent du cinéma américain, et ils en ont marre. On sent que le public a envie d’autre chose, de films locaux. Je pense que La nuit de la vérité, de Regina Fanta Nacro, film de politique fiction qui transpose la tragédie rwandaise dans deux pays qui pourraient bien être le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire, a un réel potentiel populaire, en tout cas au Cameroun.

Mais pour qu’un film les intéresse, il faut qu’il ait une problématique panafricaine. Moolaadé (Sembène Ousmane) va faire un tabac au Mali, mais pas au Cameroun, où l’excision est inexistante. Idem pour un film comme 5x5 : c’est un documentaire sur la polygamie, qui est rare au Cameroun. En revanche, je me souviens que quand nous avons passé Liaison fatale, le film a été un succès énorme. Des femmes emmenaient leur mari en lui disant : « Si tu me trompes, voilà ce qui risque de t’arriver ! » Il y a eu aussi Proposition indécente, l’histoire d’un milliardaire qui veut acheter une nuit avec une fille (Demi Moore) pour un million de dollars : pour le coup, ce sont les maris qui emmenaient leur femme : « Si un homme te propose un million pour coucher avec lui et que tu refuses, je t’étrangle ! » [rires] Il y a aussi les histoires de couples, les grandes romances avec connotation sexuelle marchent toujours très fort : Infidèle, d’Adrian Lyne a été un très gros succès. Et bientôt je vais sortir Closer, qui a un bon potentiel. La force du cinéma américain, c’est d’être au niveau lambda de l’imaginaire mondial.

RFI : Quels sont vos trois plus gros succès ?

FM : Titanic, Pretty Woman et Mobutu roi du Zaïre. Les films qui marchent le mieux sont ceux qui expriment une contestation du pouvoir ou de l’ordre. JFK, une biopic [biographie filmée, ndlr] de Kennedy a été un gros succès. C’est vrai que nous l’avons sortie avec un argument publicitaire un peu spécial : « Voyez ce qui peut arriver au président… » Des hommes d’honneur aussi a très bien marché, parce que c’est un film qui conteste l’ordre militaire.

RFI : Et Lumumba ?

FM : Lumumba a eu un succès moindre. Sans doute parce qu’une fiction a toujours moins de force qu’un documentaire. Il faudra suivre le succès d’Hôtel Rwanda

RFI : En quinze ans, comment votre métier a-t-il évolué ?

FM : La crise a commencé il y a cinq ans, mais elle couve depuis dix ans. Ces dernières années, la façon de consommer les images a beaucoup changé. A la télévision nationale unique ont succédé les bouquets de chaînes, les DVD, les VCR, majoritairement piratés. Aujourd’hui, les gens ne vont pas seulement voir un film, ils vont au cinéma : un acte qui les pose socialement. Les salles n’auront accès à ce public que si elles neuves ou rénovées, offrant une pluralité de programmes.

Mes salles maliennes sont toutes neuves, le prix du billets varie entre 1 500 et 2 000 F CFA, elle proposent les mêmes films que mes salles camerounaises, et pourtant elles marchent très bien.

RFI : Apparemment, le parc de salles, en Afrique, est en très mauvais état…

FM : Le Sénégal n’a plus de salles. La Côte d’Ivoire, à  cause des événements que l’on connaît, n’a plus que deux petites salles ; le Cameroun est en situation très précaire. Le Fespaco est un merveilleux festival qui ne pourrait exister ailleurs qu’au Burkina Faso. Aucun pays d’Afrique ne pourrait organiser un tel festival. D’ici la fin de l’année, il n’y aura plus que quatre pays, en Afrique francophone, qui auront des salles d’exclusivités. Il y a deux salles à Libreville, qui peuvent survivre car elles appartiennent à la famille Bongo, qui les subventionne. Aujourd’hui, les deux seuls complexes récents en Afrique sont le fait de mécénats : Libreville, et un mécène privé, le groupe Fotso (grand groupe industriel et bancaire).

RFI : Qu’est-ce qui permettrait de sortir de la crise ?

FM : Aujourd’hui, la rénovation des salles est une urgence absolue. En France, si nous n’avions pas de soutien, les salles d’art et essai auraient disparu depuis longtemps. Même une salle qui marche bien ne peut amortir ses investissements. Si les Etats veulent soutenir le cinéma, il faut qu’ils baissent la fiscalité, pour aider à la rénovation des salles. Aujourd’hui le plan Africa cinéma [Affaires étrangères, Agence de la Francophonie, Commission européenne, ndlr] arrive presque trop tard pour ce qui est des salles. Sa philosophie, qui consiste à soutenir l’œuvre et sa diffusion (tirage de copies, affriches, publicités diverses), est tout à fait louable, mais il ne permet pas de structurer le secteur, à assurer la pérennité des salles.

par Propos recueillis par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 03/03/2005 Dernière mise à jour le 03/03/2005 à 11:06 TU