Togo
Les grandes manœuvres présidentielles commencent
(Photo : AFP)
La Constitution prévoit que «le gouvernement convoque le corps électoral dans les 60 jours de l'ouverture de la vacance» de la magistrature suprême et Gnassingbé Eyadéma est officiellement mort le 5 février dernier. Sans les péripéties politico-militaires de ces dernières semaines, la présidentielle aurait dû être organisée début avril. Mais dans un communiqué publié le 2 mars, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) demande que le compte à rebours démarre «le 26 février, date de la prise de fonction de M.Abbas Bonfo, comme président intérimaire» ce qui renvoie la présidentielle au 24 avril, «au plus tôt», si le reste du calendrier est respecté. Dès hier soir, l’opposant Gilchrist Olympio s’est déclaré candidat, malgré l’interdit constitutionnel qui le frappe, et cela, au risque de ruiner l’unité de l’opposition.
Selon la Cedeao, «l'administration électorale et la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) devront prendre toutes les dispositions nécessaires pour l'organisation des élections au plus tôt le dimanche 24 avril 2005». Sa porte-parole, Adrienne Diop, justifie la remise à zéro du compteur constitutionnel par des questions de calendrier, «notamment la révision des listes électorales et l'étude des dossiers de candidature». La Cedeao avait aussi demandé aux trois principaux partis de l'opposition, l'Union des forces de changement (UFC, de Gilchrist Olympio en exil en France), le Comité d'action pour le renouveau (CAR, de Me Yawovi Agboyibo) et la Convention démocratique des peuples africains (CDPA, de Léopold Gnininvi) de désigner, «au plus tard le 2 mars», leurs trois délégués (sur treize membres) à la Ceni. Ils l’ont fait hier. Mais depuis, l’unité de l’opposition s’est lézardée.
L’opposition en ordre dispersé
Jusqu’à mercredi soir, la Coalition qui rassemble les six partis de l’opposition croyait pouvoir s’entendre sur une candidature unique à la présidentielle, comme le leur demande l’opinion togolaise qui aspire au changement. Mais son élan s’est brisé sur l’annonce de la candidature de Gilchrist Olympio, le grand absent du terrain politique togolais, en exil en France. L’article 62 de la Constitution exige un an de résidence sur le territoire national au jour du scrutin, ce qui exclut Gilchrist Olympio de la joute présidentielle. En 2003, déjà, le fils du premier président élu du Togo (Sylvanus Olympio, assassiné le 13 janvier 1963) n'avait pas pu se présenter face au défunt président Gnassingbé Eyadéma. Son remplaçant, Bob Akitani avait officiellement recueilli moins de 40% des suffrages dans un scrutin très contestable qui avait tourné une fois de plus la page des espoirs de l’opposition.
Aujourd’hui encore, l’UFC entend mener la bataille pour que son président en exil en France puisse concourir. Or, la Constitution interdit toute réforme pendant la période d’intérim qui vient de commencer. Et le temps presse. Il joue en faveur de Faure Gnassingbé. En outre, de fait, en réaffirmant que Gilchrist Olympio «reste le candidat du parti», le secrétaire général de l’UFC, Jean-Pierre Fabre, rompt la concertation engagée par la coalition de l’opposition pour désigner un candidat unique.
«Nous intégrons le cadre du processus électoral avec prudence, si les conditions ne sont pas bonnes nous avons toute la latitude de le quitter», indique Jean-Pierre Fabre, non sans réveiller l’amertume du précédent boycott de 1993. Celui-ci avait en effet refermé la parenthèse de la Conférence nationale et de la démocratisation en donnant une nouvelle victoire, par défaut, à Gnassingbé Eyadéma. Nul doute que son fils, Faure Gnassingbé, saurait lui aussi occuper le vide laissé par ses adversaires. D’autant que, dans l’héritage, il a trouvé de quoi garder la main sur les institutions comme sur les terrains militaire et économique. Pour leur part, les autres partis de l’opposition n’ont pas oublié les leçons du passé. Ils sont en outre plus motivés que jamais par une opinion togolaise suffisamment mobilisée pour avoir déjà payé d’une dizaine de morts et de plusieurs dizaines de blessés les trois manifestations hostiles à Faure Gnassingbé.
La question de l’armée
Pour faire bonne figure, le Mouvement togolais de défense des libertés et des droits de l'Homme (MTDLDH), proche du pouvoir, a demandé mardi, l'ouverture d'une «enquête» sur les corps de cinq personnes retrouvés à Lomé dans le fief de l’opposition, le quartier lagunaire de Bè, où de nombreux témoins accusent les forces de l'ordre de les avoir tuées dans des affrontements qui ont suivi dimanche la manifestation des femmes. Pour le pouvoir, l’affaire est d’importance car le 24 février dernier, en sommant Faure Gnassingbé de démissionner, les députés européens avaient exigé que soient «jugés et punis les auteurs des assassinats et autres violations des droits de l'Homme, perpétrés contre les manifestants».
Les eurodéputés avaient également demandé à la Commission européenne «de proposer des sanctions ciblées contre les auteurs du coup d'Etat», un «quarteron de généraux» et de politiciens attachés par des liens d’affaires, de parenté et de clientélisme à la famille du défunt Gnassingbé Eyadéma, selon l’opposition. Or, depuis le retrait de Faure Gnassingbé, l’UE ne s’est guère exprimée. Elle attend visiblement la suite avant de décider. Pour sa part, face à la tension populaire qui monte, l’opposition redoute une lecture globalisante de l’équilibre de la terreur militaire qui a prévalu ces dernières décennies au Togo. Il est vrai que différents épisodes dramatiques, et notamment des purges, ont montré des lignes de faille dans cette armée. En effet, derrière le recrutement privilégié au nord du pays, fief du pouvoir Eyadéma, l’armée togolaise est surtout très étroitement filtrée, promotions et même accès aux armureries étant strictement réservés aux fidèles du régime.
Soumis à un régime étouffoir depuis des décennies et tétanisé par des années de répressions brutales, le Togo est aussi un chaudron d’où menacent de surgir des sorcières ethniques opposant gens du Nord et du Sud. Dans les deux camps, l’angoisse de perdre le pouvoir ou de continuer à le subir a d’ailleurs commencé à se cristalliser en un funeste amalgame entre régime, terroir et armée. Inquiétude et rancœur ne sont pas bonnes conseillères. En allant en ordre dispersé à cette cruciale élection présidentielle, l’opposition prend le risque de disparaître pour longtemps, noyée dans une nouvelle déception populaire qui pourrait tout aussi bien la déborder.
par Monique Mas
Article publié le 03/03/2005 Dernière mise à jour le 03/03/2005 à 18:02 TU