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Fespaco

L’Afrique documentaire

La polygamie est le sujet du documentaire 5x5 du Sénégalais Moussa Touré, dont l'intrigue se déroule dans une modeste cour.(Photo: Moussa Touré)
La polygamie est le sujet du documentaire 5x5 du Sénégalais Moussa Touré, dont l'intrigue se déroule dans une modeste cour.
(Photo: Moussa Touré)
C’est à la sélection documentaire que l’on doit les plus beaux moments de ce 19e Fespaco. Ce genre, qui fut longtemps le parent pauvre du cinéma africain, a désormais le vent en poupe. Preuve que la vidéo, et plus précisément les petites caméras DV, a ouvert à nombre de cinéastes les portes de la liberté, financière et technique.

De notre envoyée spéciale à Ouagadougou

Quoi de neuf dans le cinéma africain ? A l’heure où la fiction semble marquer le pas, le documentaire, lui, se porte mieux que jamais. Au Fespaco, le succès de la section Côté Docs en témoigne. Parmi les œuvres les plus remarquées, 5x5, du Sénégalais Moussa Touré. Tourné en vidéo numérique (DV) pour un budget minuscule, ce documentaire de 60 minutes se déroule intégralement entre les quatre murs d’une modeste cour, celle de Salif Jean Diallo, de ses cinq femmes et de leurs vingt cinq enfants. Comme l’expliquait le réalisateur en présentant son film devant une salle comble, « Nous sommes tous issus, ou presque de pères polygames. Et pourtant, nous n’en parlons jamais entre nous… » Film contre la polygamie, 5x5 est pourtant tout sauf un documentaire engagé : Touré n’y prend jamais la parole. La force dénonciatrice de son film ne tient pas dans un discours mais dans les détails : lorsque la caméra pianote sur la chambre misérable d’une co-épouse, ou le petit sourire triste de la «première dame», lorsqu’elle explique le refus de son futur d’opter pour la monogamie, à la veille de leur mariage. Les enfants aussi, leurs moues, leurs silences, leur désir à tous, filles et garçons réunis, de souscrire pour la monogamie, en disent long sur la question. C’est dans ce respect, ce refus du forçage, que 5x5 puise sa force.

Un gain de temps

Paradoxalement, ce film est aussi un document  d’une générosité inouïe pour Jean, personnage truculent, théâtral, alternativement despotique et tolérant, d’une spontanéité confinant souvent à la naïveté. Touré avait déjà utilisé la vidéo numérique (DV) dans son précédent opus, Nous sommes nombreuses, poignant documentaire sur les femmes congolaises violées pendant la guerre. Pour lui, elle est l’instrument d’une liberté retrouvée :  « Si j’ai envie de te filmer aujourd’hui, c’est moi qui ai envie de te filmer et je te filme. Avec un équipement classique, il faut que j’aille voir mon chef opérateur et ses assistants, qui vont demander ce que je veux filmer exactement, il faudra leur donner des explications, discuter avec eux… Avec la vidéo numérique (DV), tout ce temps qu’on perd d’ordinaire en palabres, on le gagne en réflexion… ».

Le cinéaste sénégalais Moussa Touré.

La vidéo numérique n’est pas seulement un gain de temps : en réduisant drastiquement le budget des tournages, elle offre aussi ce qui, aux yeux d’un cinéaste, est le luxe le plus rare: du temps. C’est grâce à elle que le Burkinabè Dany Kouyaté a pu interroger pendant des heures Joseph Ki-Zerbo, ses proches et disciples, afin de tracer un portrait admirable du plus grand historien africain, défenseur acharné du panafricanisme et du «développement endogène».

C’est aussi la vidéo numérique qui a permis à Toboho Edkins de suivre des semaines durant ses personnages, de filmer leurs discussions, dans l’intimité d’une voiture ou d’une pièce minuscule. Son film, Ask me I’m positive, conte le périple de trois jeunes séropositifs qui sillonnent l’Afrique du Sud des villages et des montagnes pour présenter un film pédagogique sur le sida dont ils sont les héros. De quoi parlent-ils ? De leur rapport à la mort, de leurs préoccupations quotidiennes. L’un caresse les cheveux de sa petite fille et s’inquiète de son avenir, l’autre parle de la drague,  de cette groupie qu’il a presque dû forcer à employer un préservatif. Leurs voix croisées, leurs points de vue (souvent divergents) contribuent à faire de Ask me I’m positive un documentaire impressionnant sur la condition de séropositif en Afrique du Sud.

De même,  Allèèssi… une actrice africaine de Rahmatou Keita, portrait poignant de la grande actrice nigérienne Zalika Souley, se transforme peu à peu en questionnement sur la condition et le statut d’artiste en Afrique. Film riche d’enseignements, lorsqu’il se précise que celle qui fut nommée en son temps la «Brigitte Bardot africaine» se faisait régulièrement insulter et battre dans la rue par ses concitoyens. En Afrique, une actrice est toujours suspecte, surtout si, comme Zalika, elle joue régulièrement des rôles de cow girl, de prostituée, de meurtrière : si Allèèssi est un document si poignant, c’est parce qu’il montre avec une dignité extrême la misère d’une femme que son métier réduisit à la condition de paria.


par Elisabeth  Lequeret

Article publié le 05/03/2005 Dernière mise à jour le 05/03/2005 à 22:33 TU