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Somalie

Le tsunami renverse les poubelles radioactives du Nord sur les plages

Les populations côtières sont affectées par la radioactivité et par des contaminations chimiques.(Infographie: Marc Verney/RFI)
Les populations côtières sont affectées par la radioactivité et par des contaminations chimiques.
(Infographie: Marc Verney/RFI)

Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) vient de procéder à «une évaluation environnementale préliminaire, après le tsunami» de décembre 2004 qui a ravagé les côtes de l’Asie du Sud et a été ressenti en Afrique de l’Est, en particulier en Somalie. Outre les effets dévastateurs sur l’écosystème enregistrés sur les côtes de l’Afrique orientale comme dans tout l’océan Indien, le tsunami a violemment bousculé des dépôts sauvages de produits toxiques et même radioactifs déversés sur les plages somaliennes par des industriels du Nord. Mal conditionnés, les containers fuient, depuis le passage du raz-de-marée. Le PNUE observe l’apparition de maladies nouvelles dans les populations locales. Les spécialistes les imputent à des contaminations chimiques ou aux effets de la radioactivité.


«Des villageois font état d'un large éventail de problèmes médicaux comme des saignements de la bouche, des hémorragies abdominales, des problèmes dermatologiques inhabituels et des difficultés respiratoires», indique le porte-parole du PNUE, Nick Nuttall. Pour les spécialistes, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, ces symptômes sont liés à une exposition à des radiations ou à des produits chimiques très toxiques comme ceux que contiennent les barils «entreposés sur la côte somalienne et endommagés par le tsunami». Compte tenu des difficultés d’accès, dues en particulier à l’insécurité qui n’en finit pas sur le territoire des Somali depuis 1991 et le début de la guerre civile, «le PNUE discute actuellement avec le gouvernement [en exil à Nairobi, au Kenya] de l'envoi d'une mission d'évaluation qui puisse prendre la mesure de l'étendue du problème».

L’impact principal du tsunami a frappé une bande côtière de quelque 650 kilomètres de long, entre Hafun et Garacad, tuant au passage environ 300 personnes, rasant au moins 18 000 habitations, détruisant les bateaux, emportant les filets et provoquant plus largement des dégâts dans tout l’écosystème côtier. Celui-ci abrite et nourrit près de 55 % de la population somalienne poussée par la guerre vers les 3 898 kilomètres de rivages. Or le raz-de-marée s’est produit en pleine saison de pêche. L’eau de mer a salé les eaux douces et même les terres arables. Le tsunami a aussi dévasté la forêt de mangrove, déjà très sévèrement affectée par les besoins en bois de chauffe et de construction, en particulier dans la zone qui va de Kisimayo jusqu’à la frontière kényane. La mangrove aura du mal à se régénérer. Avec elle risquent de disparaître le gibier aquatique et les crustacés qu’elle abrite, une ressource alimentaire cruciale dans ce pays où quatre années de sécheresse ont décimé les troupeaux. Mais le pire est sans doute à venir de la chimie radioactive qui a commencé à gangrener les plages.

Pollution tous azimuts

Depuis que l’anarchie s’est installée dans le pays, des bateaux de pêche étrangers équipés d’armes de guerre arrivent en rangs serrés pour disputer aux Somaliens les bancs de poissons qui prolifèrent au large des côtes. Dans les ports qui servent de points d’ancrage à tous les trafics imaginables, les dégazages sauvages se sont conjugués avec les déchets municipaux désormais abandonnés pour polluer à grande vitesse les cités côtières. En outre, depuis la fin des années 1980, les rivages nord de la Somalie sont devenus la poubelle privilégiée pour nombre d’entreprises occidentales encombrées de déchets toxiques impossibles à recycler et très coûteux à détruire. En Somalie, ces problèmes ne se posent pas, puisqu’il suffit de larguer les fûts sur un coin de plage en payant quelque droit de passage au seigneur de guerre du cru.

Depuis longtemps, les poissons aveugles, ou suffisamment inertes pour être ramassés à la main, n’étonnent plus les habitants des rivages somaliens qu’ils empoisonnent sans doute à petit feu. Mais cette fois, ce sont les chargements de produits toxiques illégalement déposés en Somalie et bousculés par le tsunami qui menacent de mort, de stérilité ou de dégénérescence les populations locales, leurs descendants et leur écosystème. Selon le PNUE, les containers qui sont en train de se vider sur les plages contiennent en effet des déchets industriels ou hospitaliers comprenant de l’uranium, du cadmium, du mercure et toutes sortes de produits pharmaceutiques et de substances chimiques destinées par exemple au traitement des peaux en maroquinerie. Les enquêteurs du PNUE ont observé des kyrielles de barils ou de containers plus ou moins défoncés sur les plages des régions de Hobyo et de Warsheik.

Le PNUE rappelle pudiquement que les pays industrialisés génèrent 90% des déchets toxiques produits sur la planète. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), estime pour sa part que dans les années 80, la production annuelle de déchets toxiques des pays industrialisés était d'environ 300 millions de tonnes. Parmi les principaux exportateurs de ces encombrantes substances, elle cite l'Allemagne, les Pays-Bas, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie. Or, d’hier à aujourd’hui, à l’autre extrémité de la filière, le continent africain reste le meilleur marché. Selon le PNUE, il en coûterait 2,50 dollars la tonne seulement pour se débarrasser d’un quelconque déchet toxique en Afrique contre 250 dollars en Europe. Le calcul est vite fait. D’autant que sur le continent, aucun mouvement d’opinion ne risque de venir troubler le cloaque.

Le chaos somalie garantit l'impunité

Le chaos somalien garantit l’impunité de ces violations des conventions internationales et en particulier de celle de Bamako qui interdit depuis le 31 janvier 1991 toute importation de déchets toxiques en Afrique. La Convention de Bamako avait été adoptée après que le PNUE eût tiré la sonnette d’alarme en faisant savoir que, dans les années 80, douze pays africains avaient signé des contrats ou avaient reçu des propositions pour accepter d’enfouir dans leur sol des déchets en provenance de pays industriels. Depuis, les intéressés ont mis une sourdine à ces lucratives activités, sans pour autant les interrompre. En septembre 1996, par exemple, le Parlement européen avait produit une résolution pour dénoncer la livraison de «centaines de tonnes de déchets de mercure toxique exportées en Afrique du Sud par la multinationale Thor Chemicals Ltd», demandant «notamment aux gouvernements du Royaume-Uni, de l'Italie et de l'Espagne, de prendre l'initiative de rapatrier les déchets toxiques exportés de leur territoire vers l'Afrique du Sud par cette société».

La Somalie continuera, sans nul doute, longtemps encore, de faire plages ouvertes pour les déchets du Nord. Mais le rideau n’est pas encore levé sur le commerce opaque qui voit des déchets circuler du Nord au Sud sous le label d’une quelconque marchandise. Les pays du Nord ne manifestent pas vraiment de curiosité sur la question. Pour sa part, la Commission des droits de l'homme de l’ONU a quand même jugé utile l’année dernière de demander à sa Rapporteuse spéciale sur les déchets toxiques de lui apporter des «renseignements complets sur les personnes tuées, mutilées ou blessées dans les pays en développement du fait des mouvements et déversements illicites de produits et déchets toxiques et nocifs; sur la question de l'impunité des auteurs de ces crimes odieux; sur la question des programmes frauduleux de recyclage des déchets, le transfert d'industries, d'activités industrielles et de techniques polluantes et les tendances nouvelles dans ce domaine; ainsi que sur les ambiguïtés des instruments internationaux qui permettent des mouvements et déversements illégaux». Affaire à suivre.


par Monique  Mas

Article publié le 07/03/2005 Dernière mise à jour le 07/03/2005 à 18:39 TU