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Année du Brésil en France

Frans Krajcberg: l’interprète de la nature

A 84 ans, Frans Krajcberg, le magicien de la terre, continue à vivre entre France et Brésil.(Photo : Maria Emilia Alencar/RFI)
A 84 ans, Frans Krajcberg, le magicien de la terre, continue à vivre entre France et Brésil.
(Photo : Maria Emilia Alencar/RFI)
Ce sculpteur, d’origine juive polonaise a trouvé refuge au Brésil en 1948, fuyant ses souvenirs de la Seconde Guerre mondiale. Son histoire avec Paris a commencé à la fin des années 50, quand il y a installé son atelier. Un musée à son nom a été inauguré l’année dernière à Montparnasse.
[Ce portrait fait partie d'une série réalisée par la rédaction brésilienne de RFI]

A Nova Viçosa, la maison perchée dans un arbre...
(Photo : Maria Emilia Alencar/RFI)
On dirait un vieux loup de mer avec sa casquette, sa barbe blanche et son côté ronchon. Pourtant Frans Krajcberg n’est pas un homme de la mer, il est plutôt un magicien de la terre qui transforme les troncs d’arbres calcinés en œuvres d’art. A 84 ans, il continue à vivre entre le Brésil et la France, ce qu’il fait depuis cinq décennies. A Nova Viçosa, dans le sud de l’Etat de Bahia, il habite comme un «robinson» dans une maison perchée dans un arbre. A Paris, il occupe un atelier au fond d’une cour fleurie dans l’avenue du Maine, à côté de son petit musée appelé Espace Krajcberg.

Frans a besoin de ces deux vies: à Bahia, il ramasse tous les jours dans les cerrados et les mangroves les «cadavres» de végétaux qu’il métamorphose en sculptures monumentales; à Paris il fait une cure de nature urbaine et y trouve une tribune internationale pour son inlassable combat contre la destruction de l’environnement.

«Je suis un homme révolté»

Frans Krajcberg transforme les troncs d’arbres calcinés en œuvres d’art.
(Photo : Maria Emilia Alencar/RFI)
Frans Krajcberg aime dire qu’il a été sauvé par la nature. Il s’est senti à nouveau libre au contact de l’exubérance de la forêt brésilienne qu’il a découvert «en fuyant l’homme» en 1948. Juif polonais né à Kozienice, il est arrêté en 1939 par les Allemands mais il réussit à s’évader et à rejoindre l’Armée rouge. Toute sa famille  –ses parents et ses cinq frères et sœurs– est massacrée par les nazis. En 1941 il est incorporé dans l’armée polonaise, où il servira comme ingénieur jusqu'en 1945. Après la guerre, il part à Stuttgart pour étudier aux Beaux-Arts où il est élève de Willy Baumeister. Mais l’art ne suffit pas à sublimer sa révolte. Il doit quitter l’Europe, s’échapper.

Il débarque au Brésil, d’abord à São Paulo où il participe à la première biennale internationale d’art contemporain avec deux toiles. Peu après, il déménage au Paraná, dans le Sud, pour y travailler comme ingénieur dans une fabrique de papier. Mais déjà, pour lui l’art et la nature ne peuvent se concevoir qu'imbriqués comme deux lianes, inséparables. Il quitte son emploi, s’isole dans la forêt du Paraná pour peindre et assume définitivement son destin «d’interprète de la nature.» Il n’a jamais cessé d’être «un homme révolté» et il associe les horreurs du nazisme à la destruction de la nature. Pour ne pas oublier que l’être humain est capable du pire.

«L’homme du vert»

«Eco-art», par Frans Krajcberg.
(Photo : Maria Emilia Alencar/RFI)
C’est comme Brésilien, naturalisé en 1957, que Frans Krajcberg a vécu la destruction de la mata atlantique, la forêt tropicale qui couvre le sud-est du pays et d’une partie de la forêt amazonienne, ces 40 dernières années. C'est comme Brésilien qu’il remporte le grand prix de la biennale de São Paulo en 1957 et le prix de la biennale de Venise en 1964. Il se sent d’ailleurs si brésilien qu'il s’énerve quand la presse le décrit comme «le Polonais qui vit au Brésil». Frans est devenu l’icône de la conscience écologique brésilienne non seulement par ses sculptures, mais aussi par son vaste travail de photographe et de témoignage sur la déforestation sauvage pratiquée dans le pays.

Entre ses voyages d’exploration en Amazonie ou dans le Pantanal, région de marécages au centre-ouest brésilien, il retrouve souvent son atelier à Paris. C'est là qu'il a créé dans les années 60 ses premiers assemblages de lianes et racines de palétuviers et ses muraux monochromes à ombres découpées.
Dans les années 80, il fait de Paris sa base internationale pour son combat appelé «éco-art», reconnu en France par l’inauguration l’année dernière d’un musée à son nom à Montparnasse. A partir de juin, les Parisiens pourront voir ses sculptures monumentales dans le parc de Bagatelle, au bois de Boulogne. Ils comprendront alors pourquoi le critique d’art Pierre Restany disait: «Frans Krajcberg est l’homme du vert comme Yves Klein est l’homme du bleu.»


par Maria Emília   Alencar

Article publié le 14/03/2005 Dernière mise à jour le 21/03/2005 à 09:50 TU