Brésil
Lula : toujours populaire malgré ses promesses non tenues
(Photo: AFP)
De notre envoyé spécial au Brésil
« Lula ! Lula ! Ouh là là Lula ! ». C’était en janvier dernier. Vêtus d‘un tee-shirt rouge « 100% Lula », une dizaine de milliers de jeunes du Parti des travailleurs (PT) faisait la claque dans le stade de Porto Alegre en attendant le président brésilien. Luiz Inacio Lula da Silva, l’ancien métallo élu à la présidence de la République en octobre 2002, était venu au Forum social mondial, devant ce mouvement social qui l’a porté au pouvoir, avant de s’envoler pour Davos. A l’extérieur, c’est une toute autre chanson. Une centaine de militants conspue le président. «Lula est passé de l’autre côté. Il n’est plus avec les travailleurs. Il gouverne pour la Banque mondiale et pour le FMI», s’égosille Joachim de Sao Paulo. « Lula donne la priorité au paiement de la dette externe, renchérit Louisa. La plupart de l’argent est utilisé pour ça, alors que l’éducation et la santé sont toujours dans un état terrible. Une grande partie de la population est déçue ».
Dans un Brésil où les 10% les plus riches se partagent 42% des richesses, l’élection de Lula, le « président des pauvres », a suscité un immense espoir parmi les déshérités. Deux ans après, la gauche brésilienne s’impatiente. Le gouvernement de Lula applique une politique économique de rigueur qui lui vaut les félicitations du Fonds monétaire international et des marchés financiers. Un comble pour celui qui, il n’y a si longtemps, proposait un moratoire sur la dette du Brésil. Le principe de réalité a été plus fort. Pour ne pas effrayer les marchés, Lula a voulu créer un « choc de crédibilité ». « Quand nous sommes arrivés au pouvoir, il y avait des contraintes très fortes : menace d’inflation, menace de suspension de crédit au commerce extérieur et un déficit de l’ordre de 32 milliards de dollars, justifie Marc Aurélio Garcia, conseiller du président Lula pour les affaires étrangères. Nous avons dû prendre des mesures conservatrices qui ne sont pas les nôtres, mais qui étaient absolument nécessaires ». De fait, le Brésil affiche une santé économique insolente. La croissance 2004 atteint 5,2% contre 3,7% l'année précédente. L'inflation recule, l'excédent commercial dépasse désormais les 33 milliards de dollars et les investissements étrangers ont presque doublé en un an.
« Les choses n’avancent pas, nous attendions plus »
Malgré cela, beaucoup de Brésiliens n’ont pas encore senti la reprise économique, tandis que les attentes sociales restent largement déçues. C’est le cas, par exemple, dans la favela de Sao Vicente Martyr, sur les hauteurs de Porto Alegre. Yvonne survit dans une maison de tôles, insalubre, avec ses trois enfants. Elle fait de temps en temps des ménages pour 25 reals (environ 8 euros). « Pendant 18 mois j’ai touché l’aide sociale, c’était bien, dit-elle. Je commençais à m’en sortir. Mais l’aide s’est arrêtée, car il faut laisser la place à d’autres ». Yvonne devrait pourtant bénéficier de « Faim zéro », l’ambitieux programme d’éradication de la faim lancé par Lula à son arrivée au pouvoir en janvier 2003. A ce jour, 6,5 millions de familles bénéficient de ce programme qui doit garantir un revenu minimum de 25 euros en moyenne à 11 millions de familles misérables. Mais à Sao Vicente personne ne le touche. « Il y a un problème de bureaucratie, regrette Joasinho Nunes, président de l’association de quartier. Les familles qui doivent bénéficier de Faim zéro sont recensées par le dispensaire du coin, qui transmet les demandes au secrétariat de santé qui informe un comité central, puis ensuite un comité régional. Tout cela finit par rendre l’accès au programme difficile. Au final, dans notre communauté par exemple, une cinquantaine de familles pourraient recevoir Faim zéro, mais personne ne le reçoit ».
D’autres promesses, comme le doublement du salaire minimum et surtout la réforme agraire tardent à se mettre en place. « Lula rechigne à exproprier les grands propriétaires comme on le voudrait, témoigne Véra, du Mouvement des sans-terre (MST). Très peu de familles ont été installées. Nous comprenons que c’est difficile. Mais les choses n’avancent pas. En vérité, nous attendions plus ». Les « sans-terre » ont donc décidé d’intensifier la mobilisation et les occupations de terrains. Miguel Stedile, coordinateur du MST, est convaincu que Lula n’agira que sous la pression. « Avant d’être président Lula a prononcé une phrase dont nous avons fait une affiche et qui disait : Si un jour j’arrive à être président et si je peux faire une seule chose, ce sera la réforme agraire. Alors, le problème de Lula est avec sa conscience. Nous, le MST, on va continuer les occupations de terre jusqu’à ce que la dernière « latifundia » (grande propriété, ndlr) ait disparu du Brésil. Peu importe le temps que cela prendra ».
Malgré l’épreuve du pouvoir et les déconvenues, le président Lula continue de caracoler en tête des sondages. L’ancien syndicaliste, septième enfant d’une famille de treize, dont quatre sont morts de malnutrition, reste extraordinairement populaire. « L’histoire de la vie de Lula touche tous les Brésiliens, confie Angela Rodriques, professeur à la retraite dans un français impeccable. Nous avons placé en lui un espoir énorme en se disant que si lui qui a connu la faim ne fait rien pour le Brésil, alors personne d’autre ne va le faire. Je ne suis pas tout à fait contente, mais je crois qu’il n’y a personne de meilleur que lui. ». La magie Lula continue de fonctionner.
par Karim Lebhour
Article publié le 21/03/2005 Dernière mise à jour le 21/03/2005 à 13:15 TU