Côte d'Ivoire
Entre Bruxelles et Pretoria
(Photo : AFP)
Le Commissaire européen à la Coopération et au Développement, l’ancien ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, est satisfait de sa visite éclair des deux côtés de la frontière qui sépare les Ivoiriens depuis 2002. En 48 heures, les 20 et 21 mars, il a rencontré la quasi-totalité des protagonistes de la crise ivoirienne invités à Pretoria par le médiateur de l’Union africaine (UA), le président sud-africain Thabo Mbéki, pour une réunion «urgente» qui pourrait se tenir la première semaine d’avril. Louis Michel a «promis de transmettre au président sud-africain un rapport d'impression» sur sa visite en Côte d’Ivoire.
L’Union européenne (UE) soutient la médiation de président sud-africain Thabo Mbeki mandaté par l'UA en novembre dernier pour ranimer le processus de paix en panne de désarmement. Pour sa part, le commissaire européen Louis Michel voit des «avancées substantielles…notamment par rapport à une série de lois» tout en retenant les griefs de l’opposition concernant notamment «des amendements parlementaires». Au total, il se félicite de sa visite «qui a été très fructueuse, dit-il, et m'a permis d'avoir une idée très précise des problèmes qui restent à résoudre», toujours les mêmes, le désarmement et le référendum pour la réforme de la Constitution concernant les candidatures à la présidentielle. Louis Michel se veut confiant mais prudent. Il reste surtout très diplomate, l’UE conditionnant le déblocage de son aide à la finalisation du processus de paix sous-traitée à l’UA.
Pretoria début avril
«Les Forces nouvelles m'ont assuré qu'elles respecteraient le cessez-le-feu et sont désireuses de conclure positivement et pacifiquement pour que la réconciliation puisse se faire», rapporte Louis Michel sans s’attarder sur les conditions maintenues par l’ancienne rébellion. Il affirme avoir «ressenti chez tous [ses] interlocuteurs la volonté de ne pas fermer la porte et de garder bien en tête des ouvertures». Reste à savoir dans quel but. D’autant que le commissaire européen note que «la situation reste évidement fragile parce qu'on est toujours dans la phase qui précède le début de la confiance». Louis Michel espère que Thabo Mbéki parviendra à rétablir le courant entre les Ivoiriens. Après trois visites plus ou moins mouvementées en Côte d’Ivoire, le président sud-africain a en effet décidé d’amener «toutes les parties» sur son propre terrain, à Pretoria, pour «faire progresser le processus de paix».
En l’absence à Bouaké de Guillaume Soro, le chef politique des Forces nouvelles, son directeur de cabinet, Amadou Koné estime que ce dernier «ira, c'est sûr», à Prétoria. «Je n'ai pas la date exacte, dit-il, mais on nous a suggéré le 3 avril. On ne nous a pas dit quand cela prendra fin». Les autres parties prenantes n’ont pas encore publiquement répondu à Thabo Mbéki. Mais les Ivoiriens connaissent déjà le chemin de l’Afrique du Sud où des délégations de tous bords se sont succédé, avec des résultats mitigés et des impressions successives plutôt contradictoires. Mais cette fois, le temps des travaux d’approche est passé. Comme le rappelle Thabo Mbéki dans son invitation, l’échéance électorale est à six mois. Au-delà d’octobre 2005, à défaut de règlement politico-militaire et de scrutin, c’est le trou noir. Un vide que nul ne veut évoquer tant d’arrières pensées et de calculs divers lui sont attachés. Il va pourtant bien falloir en parler à Pretoria, si la réunion «d’urgence» a effectivement lieu.
En attendant - et tandis que les partisans de Laurent Gbagbo et ceux des Forces nouvelles se déployaient dans leurs fiefs respectifs pour huer ou au contraire saluer la présence militaire française, pendant la visite de Louis Michel -, les Casques bleus et les soldats de l’opération Licorne effectuaient «des contrôles inopinés et concomitants sur l'aéroport civil d'Abidjan et sur la base aérienne de Bouaké», dans les positions des camps adverses. Et cela pour vérifier que personne ne se réarme ou ne se place en contravention avec «la résolution 1584, votée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies le 1er février 2005». L’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci) est donc allée visiter les «hangars des sociétés civiles installées» dans l’enceinte de l'aéroport international Houphouët-Boigny d’Abidjan, «en présence des autorités de l'aviation civile et de la douane ivoiriennes». «Aucun matériel illicite n'a été trouvé», indique son communiqué.
Visites surprises des ports et des aéroports
De leur côté, des casques bleus et des soldats français sont allés à Bouaké où «l'évaluation et l'expertise des matériels et notamment des avions stockés sur place ont été réalisées en toute transparence en présence des responsables des forces armées des Forces nouvelles». Ils ont pu ainsi eux-mêmes «établir la liste exhaustive de l'armement présent» que les anciens belligérants n’avaient pas fournie à l’échéance prévue par l’Onu, le 18 mars, précise le communiqué. D’autres visites éclairs de ce genre sont prévues dans «les ports et aéroports, points d'entrée en République de Côte d'Ivoire» et plaques tournantes de bien des trafics. Mais seules les éventuelles cargaisons militaires sont placées sous surveillance onusienne. Le coton du Nord part en contrebande et le cacao de l’Ouest est actuellement l’objet d’une guerre sanglante, à huis-clos. Depuis fin février les acheteurs libanais ont «tous cessé d'aller en brousse pour acheter le cacao parce que la sécurité n'est pas garantie», en particulier dans la région de Duekoué où «les civils se battent entre eux, il y a des morts, les gens disparaissent» et le cacao reste en plan avant de rejoindre une quelconque filière d’exportation.
La frontière avec le Mali est aussi en proie au racket, comme le rapportait dimanche un transporteur contacté par l’Agence France presse. «Plusieurs dizaines de camions venant de Côte d'Ivoire sont bloqués à Pogo par le chef rebelle du poste de Pogo du nom de Palé», affirme-t-il, expliquant que les camionneurs, dont on ignore du reste le chargement, tentaient de refuser de payer «une taxe fantaisiste de 12 500 francs CFA (19 euros) par camion», une belle rente de situation perçue au bout du fusil. Pour sa part, le Burkina Faso a annoncé la semaine dernière à l’Onu qu’il renforçait ses contrôles aux frontières et multipliait les fouilles des véhicules, dans les deux sens. Accusé d’avoir soutenu voire organisé la rébellion, Ouagadougou renvoie aujourd’hui la balle, affirmant que «la surveillance des frontières est cruciale parce que les frontières poreuses exacerbent le trafic d'armes et le crime organisé au Burkina Faso».
par Monique Mas
Article publié le 22/03/2005 Dernière mise à jour le 22/03/2005 à 17:53 TU