Darfour
Khartoum cherche à prendre de vitesse la justice internationale
(Photo: AFP)
Parmi les inculpés du comité gouvernemental, 150 seraient impliqués dans des crimes commis dans l'Etat du Darfour du Nord et 14 dans celui du Sud. En annonçant que le comité confié par la présidence fonctionnerait pendant une «durée illimitée», le juge a bien évidemment promis «des procès équitables». Pour Khartoum, il sera en tout cas tout particulièrement opportun de leur donner le maximum de relief et de publicité dans la course de vitesse qui l’oppose aux partisans d’une saisine de la justice internationale. Le Conseil de sécurité de l'Onu est en effet censé trancher la question de l’instance la mieux appropriée au jugement des atrocités recensées au Darfour. Le 23 mars, la France a déposé une proposition de résolution onusienne confiant cette mission à la CPI. Les Etats-Unis, qui rejettent l’idée même de CPI, prêchent de leur côté la création d’un tribunal spécial, sur le modèle de ceux qui sont consacrés à l’ex-Yougoslavie, et surtout au Rwanda puisqu’ils suggèrent de l’installer également à Arusha, en Tanzanie.
Khartoum fait les yeux doux à Washington
Comme à son habitude, Khartoum tente de profiter du temps et de la marge de manœuvre que lui ménage le désaccord franco-américain. Lui-même impliqué dans les crimes commis au Darfour, en particulier par milices arabes interposées (les fameux janjawid, le gouvernement soudanais refuse en bloc la justice internationale et en particulier la CPI, arguant de ses propres capacités judiciaires. Selon ses adversaires, celles-ci n’ont d’égales que la duplicité de Khartoum qui fait les yeux doux à Washington autour d’un incident qui a vu la semaine dernière une employée de l'Agence américaine pour le développement international (USAID) blessée par balles, au Darfour justement, sur la route Kass-Nyala.
Les autorités soudanaises se vantent d’avoir ouvert une enquête, non sans assurer avant tout résultat que «le gouvernement est sûr que ce sont les rebelles qui ont attaqué le convoi de l'USAID». Le Mouvement de libération du Soudan (SLM), dément bien sûr toute implication allant même jusqu’à suggérer que «des éléments étrangers, actifs dans cette région, pourraient avoir des liens avec Al-Qaïda et feraient partie d'un groupe favorable à l'application de la charia». Malgré la description tragique faite en février par le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, «l’enfer» du Darfour menace en tout cas de rester un huis-clos, quelle que soit la décision du Conseil de sécurité concernant ses justiciables. Il n’y a pour le moment personne d’autre que les belligérants eux-mêmes pour appréhender les auteurs de violations graves des droits de l’homme. Celles-ci font d’ailleurs partie d’une stratégie délibérée de l’un et l’autre camp.
Pour leur part, les soldats de l’Union africaine n’ont pas les moyens des ambitions qui leur ont été assignées. Et c’est au Sud Soudan que les 10 000 casques bleus de la Mission des Nations unies au Soudan (Minus) seront diligentés par la résolution du 24 mars pour surveiller l’accord de paix signé en janvier entre Khartoum et l’ex-rébellion sudiste de John Garang. A la mi-février, concluant que les belligérants du Darfour se sont tous livré à des exactions, la Commission internationale d'enquête sur le Darfour «avait émis une claire recommandation tendant à ce que le Conseil de sécurité réfère immédiatement la situation à la Cour pénale internationale». La France et les autres signataires du statut de Rome de la CPI avaient abondé dans son sens, Washington faisant de son côté une contre-proposition. En même temps, il avait quand même été décidé que Kofi Annan fasse un rapport «dans les 30 jours, sur les moyens par lesquels la Minus pourrait renforcer l'action menée pour favoriser la paix au Darfour en offrant à la Mission de l'Union africaine une assistance comprenant un soutien logistique et une assistance technique».
On voit mal la diplomatie internationale sanctionner trop vivement l’un des signataires de l’accord de paix Nord-Sud, en l’occurrence le gouvernement soudanais, au risque de le voir ruer dans des brancards acceptés après vingt et un ans de guerre civile. Il n’est plus question du tout d’envoyer des troupes occidentales – anglo-saxonnes par exemple, comme cela fut un temps donné à croire. Pragmatisme obligeant, le temps de la justice sera sans doute celui d’un nouveau délai pour Khartoum. De leur côté, ses adversaires au Darfour exigent «la justice avant la paix» dans un communiqué commun produit le 10 mars par le SLM et le Mouvement de justice et égalité (MJE). Ils renvoient à plus tard les négociations politiques qui reviennent, selon eux, à un partage des richesses sur le modèle Nord-Sud. Les Sudistes voient d’un mauvais œil la participation de pays musulmans ou de partenaires de Khartoum, comme la Chine qui a fait des offres de service militaire. Rien n’est vraiment gagné donc et à l’Est, une nouvelle rébellion s’est levée, avec un front qui regroupe des «Lions libres» et un Congrès Beja.
«Je soutiens l'idée d'une attaque contre Khartoum sur plusieurs fronts», déclare le président du MJE, Khalil Ibrahim, au nom de ses partisans du Darfour. La paix conclue entre le Nord et le Sud reste de fait tenaillée par l’Est et l’Ouest. Certains tablent sur un effet d’entraînement positif, d’autres sur la relégation de conflits périphériques qui n’entament pas l’enjeu principal.
par Monique Mas
Article publié le 28/03/2005 Dernière mise à jour le 28/03/2005 à 17:29 TU