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Année du Brésil en France

Splendeurs de l’Amazonie humaine

Coiffe couvre-nuque Rikbaktsa(Photo : RMN)
Coiffe couvre-nuque Rikbaktsa
(Photo : RMN)
Coup d’envoi à la célébration de l’année du Brésil en France, le Grand Palais, à Paris, présente «Brésil indien», une invitation au voyage pour aller à la rencontre des peuples indiens d’Amazonie. Indéniablement attrayante par la mise en scène de plus de 400 pièces exposées, belles et colorées, l’exposition dépasse la facilité exotique, et sensibilise le visiteur à l’homogénéité d’un peuple aux ethnies très diversifiées, en proposant un panorama thématique de la préhistoire à nos jours. L’exposition a été montée par un trio brésilien, avec un ethnologue, Luis Donisete Grupioni, une anthropologue, Regina Polo Müller, et une archéologue, Cristiana Barreto.

Vase à goulot Santarém
(Photo : RMN)
Le décor est planté dès l’entrée. Le visiteur est invité à entrer  dans la forêt d’émeraude stylisée par un sas de photos à dominance verte, des photos de troncs d’arbres, de lianes, de plans d’eau. Cette luxuriante forêt tropicale est la terre d’origine des Amérindiens du Brésil, celle où, il y a 500 ans, vivait une population d’environ 5 millions d’autochtones répartis en quelque mille groupes ethniques différents, celle où, de nos jours, seuls quelque 600 000 individus répartis en 220 ethnies tentent de survivre, traquées par la modernité. En commençant par rappeler quelle est leur terre d’origine, les commissaires de l’exposition tenaient à souligner bien davantage: les Amérindiens et la forêt ne font qu’un.

«les ancêtres font toujours partie de la vie de la tribu»

Diadème occipital
(Photo : RMN)
Puis, sur deux étages et en six vastes salles, le promeneur parisien en terre amérindienne découvre des objets archéologiques en parfait état de conservation, remontant à douze mille ans au moins pour les plus anciens. Dans la première salle, sont exposés ici des cache-sexe en céramiques polychromes, et là de curieuses urnes funéraires anthropomorphes des Maraca, Marajoara ou Arua dans lesquelles les peuples traditionnels avaient coutume d’enterrer leurs morts tandis que d’autres ethnies (ethnie de Santarem par exemple) y conservaient les os avant de les réduire en poudre et les mêler à un breuvage, pour ensuite «boire leurs morts».Toutes les ethnies, aujourd’hui encore, ont ceci en commun que «les ancêtres font toujours partie de la vie de la tribu», explique Cristiana Barreto, archéologue et commissaire de l’exposition dans le très complet hors-série Télérama, richement illustré.

Chez les Amérindiens du Brésil, d’hier et d’aujourd’hui, le monde des esprits côtoie toujours le monde des vivants. «Les masques, dans tous les peuples d’Amazonie, ne représentent pas les esprits, ils sont esprits, ils vivent et ils meurent; ainsi, le porteur du masque de piranha devient piranha. Ceci explique que, souvent, après telle ou telle fête rituelle le masque est détruit», explique la commissaire. Un halo d’ambiances sonores entoure la présentation d’étonnants masques Juripixuna, en écorces d’arbres séchées sur des formes en paille. Plus ou moins effrayants, ils représentent des oiseaux fantastiques, des poissons à dents féroces, ou bien encore des têtes humaines Munduruku, crânes humains momifiés des bouches desquelles sortent des touffes de cheveux.

L’esthétique comme langage universel

Danse cérémonielle
(Photo : RMN)
L’exposition rend compte de ce qui constitue l’homogénéité même de la culture amérindienne. Des films documentaires projetés sur grand écran animent les salles en fin de parcours, et prolongent celle, éblouissante, consacrée aux diadèmes amplement déployés en éventail dans les vitrines. Parures en plumes multicolores d’aigrette, d’ara, de perroquet, de hocco ou d’aigle royal font merveille, mais révèlent que l’objet d’art sert de marqueur politique chez les Indiens au même titre que les couronnes des rois chez les occidentaux. Ces signes distinctifs rappellent que, si certaines peuplades sont égalitaires, d’autres sont structurées en castes extrêmement hiérarchisées; ainsi, toute parure, si belle et flamboyante soit-elle, a d’abord une valeur symbolique, et indique un rang, un âge, un positionnement au sein de la société.

Amérindiens menacés sur leurs propre terre

Collier-sifflet Urubu-kaapor
(Photo : RMN)
En règle générale, qu’il s’agisse des objets d’usage pour la vie quotidienne, des instruments d’apparat ou de rites cérémoniels, «l’esthétique appliquée à la conception et à la décoration des choses exprime un contenu symbolique et culturel c’est-à-dire fonctionne tel un langage universel», rappelle Critiana Baretto. La vieille querelle qui opposerait les tenants de l’esthétique, et les partisans de la fonctionnalité devient caduque, «utile» peut rimer avec «beau», en témoigne l’art du tressage de fibres de palmier, ou de bambou très artistiquement maîtrisé par les ethnies Baniwa. De la même manière, les peintures corporelles ont avant tout valeur de signe. Tout est langage: une arabesque  peinte avec du rocou ou du jenipapo (fruit), une tiare en feuille de palmier décorée, une boucle d’oreille en plumes ou en coquillages, une griffe de tatoo en pendentif, une scarification sur le visage ou une autre sur le nombril, un collier en dents de panthère ou de singe.

L’exposition se termine sur un hommage à Claude Lévi-Strauss qui, entre 1934 et 1939, rencontra lors de ses expéditions ethnographiques différentes peuplades: les Kadiweu, les Bororo, les Nabikwara, les Pareci, les Kabixiana et les Tupi-Kawahib. C’est à lui qu’on doit le regard neuf posé sur les expressions artistiques des peuples indigènes actuels et de ceux qui les ont précédés. Le père de l’anthropologie brésilienne lançait un cri d’appel en publiant dans les années 70 Tristes tropiques: «L’humanité s’installe dans la monoculture, elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave». Plus de trente ans après avoir sonné l’alarme, les Amérindiens restent menacés sur leur propre terre. La forêt avec laquelle ils sont  structurellement en symbiose, dans un rapport à la nature et aux ancêtres, ne cesse de faire l’objet d’une déforestation sauvage, catastrophique pour la survie de ces sociétés. La réflexion est prolongée dans le hors-série Télérama produit en partenariat avec RFI: il propose un retour sur un demi-siècle de lutte des Indiens, victimes de la colonisation, des enjeux financiers et de l’inertie des gouvernements successifs qui bafouent leurs droits.


par Dominique  Raizon

Article publié le 29/03/2005 Dernière mise à jour le 29/03/2005 à 14:27 TU