Irak
La faim gagne du terrain
(Photo : AFP)
Les chiffres rendus public par le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation devant la Commission des droits de l’Homme sont accablants pour les Etats-Unis. Le Suisse Jean Ziegler a expliqué que plus d’un quart des enfants irakiens souffrait de la faim, en précisant que le taux de malnutrition les plus graves chez les enfants âgés de moins de 5 ans avait pratiquement doublé à la fin de l’année dernière, atteignant 7,7% contre 4% en 2003. Ce dernier chiffre avait été calculé dans les mois suivant l’invasion par les forces militaires de la Coalition et la chute du régime de Saddam Hussein. Et pour le sociologue suisse, cette situation «résulte de la guerre menée par les forces de la Coalition».
S’ils n’ont pas réagi immédiatement par l’intermédiaire de leurs représentants qui assistent à la 61e session de la Commission des droits de l’Homme, les Etats-Unis ne devraient pas manquer de contester la véracité de ce rapport annuel et de remettre en cause son auteur, Jean Ziegler. Cet homme a déjà souvent été critiqué par le passé pour différents travaux, notamment un rapport publié en 2003 sur la situation alimentaire dans les territoires palestiniens, et ses prises de position très critiques à l’égard de la politique internationale menée par le président américain George Bush. «L’administration Bush ne voit dans les institutions internationales que le prolongement de sa démocratie. A savoir la liberté totale via le libre-échange. Un terme pourtant antinomique avec la justice sociale», confiait-il ainsi récemment à Libération au sujet de la nomination de Paul Wolfowitz à la tête de la Banque mondiale.
Selon Jean Ziegler, la détérioration de la situation alimentaire en Irak s’explique par deux types de facteurs principaux. En raison de la grande instabilité politique et économique que connaît le pays, la production agricole a énormément chuté et les réseaux de distribution ne fonctionnent plus. Une pénurie aggravée dans certains endroits du pays, notamment Falloujah, par les forces d’occupation qui empêchent ou freinent l’acheminement de l’eau et de la nourriture. Et Jean Ziegler accuse les «forces d’occupation» d’appliquer une punition collective aux habitants de cette ville sous prétexte de vouloir priver de vivres les résistants.
Une situation déjà dénoncéeNe pouvant se rendre en Irak en raison de l’interdiction faite au personnel onusien d’effectuer des missions dans ce pays, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation s’est appuyé sur les travaux réalisés par différents instituts ou centres de recherche. L’institut norvégien Fafo a ainsi révélé au mois de novembre que 7,7% des enfants irakiens âgés entre six mois et cinq ans souffraient de malnutrition. Et une étude menée par des chercheurs américains de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public School et des médecins irakiens appartenant au College of medicine Al-Mustasiriya de l’université de Bagdad avait indiqué en octobre dernier que le taux de mortalité en Irak était bien plus important depuis le début de l’occupation du pays par des troupes de la coalition, en estimant qu’environ 100 000 personnes ne seraient pas mortes si l’intervention militaire n’avait pas eu lieu.
Ce lourd bilan prend bien sûr en compte les nombreuses victimes des combats qui se déroulent dans ce pays depuis près de deux ans. Mais il reflète également l’incapacité des forces d’occupation à améliorer les conditions de vie d’une population déjà durement frappée par l’embargo appliqué pendant les années 90 sur l’Irak. Différents experts ont estimé que plusieurs centaines de milliers d’enfants avaient été victimes de cette sanction internationale. Et le renversement du régime de Saddam Hussein devait justement permettre, selon les partisans de l’intervention des forces de la coalition, l’amélioration rapide de la situation alimentaire en Irak.
Jean Ziegler avait formulé ses premières mises en garde dès les premiers jours de l’offensive militaire menée en Irak. «La catastrophe est en cours (…). Des gens meurent déjà à cause de l’eau polluée, des faim et d’extrême malnutrition», déclarait en avril 2003, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation dénonçant notamment la destruction des installations permettant l’accès à l’eau potable et l’interruption des distributions de vivres. Deux ans plus tard, la situation est encore plus dramatique et la grande insécurité qui règne sur place continue d’empêcher une action efficace des organisations humanitaires.
par Olivier Bras
Article publié le 31/03/2005 Dernière mise à jour le 31/03/2005 à 17:53 TU