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Burkina Faso

Bilan d’une réconciliation controversée

Blaise Compaoré (sur la photo, 3ème en partant de la gauche) entouré d'anciens présidents du Burkina lors de la journée nationale de pardon le 30 mars 2001 à Ouagadougou.(Photo : Alpha Barry)
Blaise Compaoré (sur la photo, 3ème en partant de la gauche) entouré d'anciens présidents du Burkina lors de la journée nationale de pardon le 30 mars 2001 à Ouagadougou.
(Photo : Alpha Barry)
Des parents qui retrouvent leur emploi, des enfants qui retournent en classe, des familles qui découvrent les tombes des leurs disparus… Le Burkina fait le bilan de son processus de réconciliation initié en mars 2001. Mais dans ce pays marqué par de longues et nombreuses périodes d’exception, le chemin du pardon reste encore long. A côté des nombreuses satisfactions enregistrées quatre ans après, certaines familles de victimes de la violence en politique continuent de réclamer la vérité et la justice avant toute réconciliation.
De notre correspondant au Burkina Faso

L’image était forte : le 30 mars 2001 dans le grand stade de Ouagadougou, le président Blaise Compaoré entouré des trois anciens chefs d’Etat encore en vie et de tous les dignitaires religieux et chefs coutumiers demande pardon à toute la nation pour les nombreux crimes politiques commis dans le pays depuis l’indépendance en 1960. Des crimes remis à l’ordre du jour par l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en décembre 1998. A côté d’eux, des victimes et parents de victimes de toutes sortes de violences commises au nom de l’Etat. Ces derniers acceptent le pardon du président burkinabè.  L’événement  se déroule devant près de 30 000 personnes. Mais au même moment, un peu plus loin dans le cimetière de Dagnoen (quartier est de Ouagadougou) où repose l’ancien président, le capitaine Thomas Sankara (assassiné en octobre 1987 dans un coup d’Etat qui a porté au pouvoir l’actuel chef de l’Etat), des personnes sont rassemblées pour une cérémonie d’hommage. Membres du collectif contre l’impunité, elles entendent ainsi se démarquer de la journée nationale du pardon. Pour eux comme pour l’épouse Sankara ou encore pour madame Zongo, veuve du journaliste Norbert Zongo, il faut d’abord «vérité et justice» avant de parler de réconciliation. Or, les dossiers Sankara et Zongo dont les plaintes ont été déposées respectivement en septembre 1997 et décembre 1998 traînent toujours. «Il faut laisser le temps à la justice faire son travail», ont toujours répondu les autorités burkinabè. Pendant ce temps, «la main [du pardon] reste tendue», comme l’a dit le ministre des Arts et de la Culture Mahamoudou Ouédraogo, qui préside un comité technique de mise en œuvre des mesures de réconciliation.

«Il faut à tout prix que notre pays évite de répéter les erreurs du passé»

Pour Blaise Compoaré et son gouvernement, rien ne doit arrêter le pardon et le processus de réconciliation. Depuis 2001, il a engagé des mesures d’indemnisation de toutes les familles qui ont déploré des morts ou des personnes victimes de tortures, coups et blessures, séquestration, spoliation, mesures administratives abusives ou encore de vandalisme. «Vous ne pouvez pas imaginer la douleur d’une famille qui a vécu ces épreuves», explique monseigneur Anselme Sanou, Archevêque de Bobo-Dioulasso. C’est lui qui avait officié lors de la journée nationale du pardon le 30 mars 2001. Les mesures d’indemnisation concernent tous les régimes depuis l’indépendance en 1960 à 2001. Ainsi, le Fonds d’indemnisation mis en place par le gouvernement a reçu 1263 dossiers. Sur les 720 examinés, on dénombre 84 cas de décès. A la date d’aujourd’hui, 412 personnes ont été indemnisées pour un montant total de 2,604 milliards de FCFA (près de 4 millions d’Euros).

Le comité technique a rendu visite à plus de 120 familles pour leur présenter «le pardon de l’Etat burkinabè». Il a ouvert 130 informations sur des cas de disparition notamment. Ainsi, il a pu identifier 40 tombes. Celles-ci ont été montrées aux parents des disparus. Mais des tombes restent toujours introuvables. «Un père prend le repas avec sa famille. On vient l’appeler. Il s’en va et pendant trois ans on n’a plus de ses nouvelles. Les enfants qui grandissent se demandent ce qui s’est passé, où est passé Papa». Monseigneur Sanou résume ainsi la situation de nombreuses familles dont les proches ont disparu. Si beaucoup d’entre elles ont accepté le pardon et les indemnisations, quelques familles se montrent toujours réticentes. D’autres ont adopté des positions médianes. C’est le cas des familles de deux jeunes élèves de Garango (localité du centre sud du pays) abattus par des gendarmes au cours d’une manifestation. «Elles ont accordé le pardon mais refusent l’indemnisation

Dans tous les cas, Blaise Compaoré n’entend pas baisser les bras. Même s’il a déjà réussi, grâce à la journée du pardon, à calmer le front politique et social qui avait secoué le pays de décembre 1998 à mars 2001, le président burkinabè veut cultiver l’esprit de réconciliation. «Il faut à tout prix que notre pays évite de répéter les erreurs du passé. La stabilité d’un pays ainsi que la réconciliation tant prônée ne se décrètent pas. Elles se construisent au quotidien», a-t-il martelé récemment au cours d’une réunion bilan. Et pour le symbole, le gouvernement a entrepris la construction d’un mémorial à la gloire des héros nationaux et d’un monument à la mémoire des martyrs. Quant au mausolée Thomas Sankara prévu dans les mesures de réconciliation, on attend toujours le lancement des travaux.

par Alpha  Barry

Article publié le 01/04/2005 Dernière mise à jour le 01/04/2005 à 15:52 TU