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Cuba

Du silence à l’hommage

La visite du Pape en janvier 1998 ébaucha un rapprochement entre Cuba et le Vatican, et entraîna de nouveaux changements pour les catholiques cubains.(Photo : AFP)
La visite du Pape en janvier 1998 ébaucha un rapprochement entre Cuba et le Vatican, et entraîna de nouveaux changements pour les catholiques cubains.
(Photo : AFP)
À Cuba, les relations entre le régime castriste et l’Eglise n’ont jamais été simples. Les réactions gouvernementales au décès du Pape illustrent à leur manière cette complexité, passant du silence à l’hommage appuyé.

De notre correspondante à La Havane

Cela a commencé par un long silence. Alors que le monde entier suit avec attention depuis des jours chaque bulletin émis par le Vatican, à Cuba, rien. Jusqu’à la veille de sa mort, la majorité de la population cubaine ne sait pas que le Pape se trouve dans un état critique. Les médias nationaux, qui appartiennent tous à l’État, n’abordent le sujet que vendredi.

Ce jour-là, le quotidien du parti communiste, Granma, reprend dans ses pages intérieures un bref communiqué du Vatican, et le soir même, le journal télévisé ouvre son antenne pendant quelques minutes à l’archevêque de La Havane, le cardinal Jaime Ortega. C’est une mesure exceptionnelle : la dernière fois que l’homme d’Eglise est apparu à la télévision, c’était il y a sept ans, lors de la visite du Pape à Cuba justement. « Au moment où je vous parle, le pape est à l’agonie », annonce Mgr Ortega aux téléspectateurs. Il évoque la visite « historique » de Jean-Paul II dans l’île, en janvier 1998, et appelle les fidèles à la prière.

À ces informations, limitées et rares, succède le lendemain une large couverture. Ainsi, à l’annonce de la mort du pape, le régime s’exprime aussitôt devant la presse nationale et étrangère réunie pour l’occasion. Le ministre des Affaires étrangères, Felipe Perez Roque, transmet la tristesse du gouvernement cubain : « Nous avons toujours vu le pape Jean-Paul II comme un ami, dit-il, quelqu’un qui s’est préoccupé pour les pauvres, qui a combattu le néo-libéralisme et qui a lutté pour la paix ».

Une visite « transcendantale », selon Fidel

Quelques heures plus tard, un décret signé par Fidel Castro instaure un deuil national de trois jours, avec les drapeaux en berne. Une mesure inattendue de la part d’un pays qui fut officiellement athée pendant trois décennies, pratiquant la discrimination contre les Catholiques et les croyants en général.

Mais en 1992, la constitution a été modifiée : Cuba devient un état laïc, où les croyants sont désormais autorisés dans les rangs du parti communiste. Six ans plus tard, la visite du Pape en janvier 1998 ébauche un rapprochement entre Cuba et le Vatican, et entraîne de nouveaux changements pour les Catholiques cubains. Ainsi, la fête de Noël, interdite après la Révolution, est ré-autorisée quelques semaines avant l’arrivée de Jean-Paul II, tout comme certaines processions religieuses. 

« Cuba doit s’ouvrir au monde, le monde doit s’ouvrir à Cuba » : c’est l’une des phrases-clés prononcées par le Pape lors de cette visite de quatre jours, qualifiée dimanche de « transcendantale » par Fidel Castro.

Lors de cette visite, Jean-Paul II avait exhorté les Cubains à ne plus avoir peur, et à écrire eux-mêmes leur propre histoire. Des paroles d’émancipation fortes, venues du chef de la seule institution de masse non contrôlée par le gouvernement, à Cuba.

Pourtant, à l’heure des hommages médiatiques, la télévision cubaine préfère rappeler d’autres paroles du Pape, notamment sa condamnation, à plusieurs reprises, de l’embargo américain contre Cuba. Dans le même esprit, les commentaires évoquent plus son engagement contre la guerre ou le néo-libéralisme que son rôle dans la chute du communisme en Europe de l’Est. Un hommage forcément partiel —et partial— qui n’empêche pas les radios et les télévisions de multiplier les reportages sur Jean-Paul II.

Autant de touristes que de Cubains

Catholiques ou non, les Cubains sont donc invités à se joindre à ce deuil national. D’ailleurs, il est difficile de dénombrer les Catholiques à Cuba : une majorité de la population se déclare croyante, mais selon le porte-parole de l’archevêché, ils seraient 5% seulement à aller régulièrement à la messe. Car pour beaucoup, le catholicisme n’est qu’un aspect d’une pratique religieuse plus vaste, qui reprend aussi des rites afro-cubains comme la santeria.

Ils avaient été des centaines de milliers à suivre les grandes messes organisées par le Pape lors de sa visite, notamment sur la place de la Révolution, à La Havane. Mais ce dimanche, les églises n’étaient pas bondées lors de la première messe suivant le décès du Pape.

À la cathédrale de La Havane, où officiait le cardinal Jaime Ortega, l’assistance comptait presque autant de touristes que de Cubains. Les bancs remplis mais les nefs adjacentes vides, les fidèles étaient recueillis, quelques-uns les larmes aux yeux, pendant que les vieilles cloches de plus de deux siècles, habituellement muettes, ponctuaient chaque demi-heure, en signe de deuil.

À la nonciature, un livre de condoléances a été ouvert au public jusqu’à mercredi. Toute l’après-midi du dimanche, une foule de personnes s’y est succédé, parmi lesquelles le ministre des Affaires étrangères cubain, et plusieurs dissidents, afin d’écrire quelques mots en hommage au souverain pontife. La messe solennelle en honneur au Pape défunt est prévue pour lundi, avant que le cardinal Jaime Ortega (dont le nom a parfois été mentionné comme papabile) ne s’envole pour Rome, où il doit participer à la désignation du nouveau Pape .


par Sara  Roumette

Article publié le 04/04/2005 Dernière mise à jour le 04/04/2005 à 17:56 TU