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France

Et la laïcité dans tout ça ?

Le drapeau français du palais de l'Elysée a été mis en berne, en l'honneur du décès de Jean-Paul II.(Photo : AFP)
Le drapeau français du palais de l'Elysée a été mis en berne, en l'honneur du décès de Jean-Paul II.
(Photo : AFP)
Après la mort de Jean-Paul II, les hommes politiques français ont unanimement salué son long pontificat. Pourtant certains s’inquiètent de la manière dont la République laïque a marqué l’événement.

Les drapeaux ont été mis en berne pendant vingt-quatre heures en France pour rendre hommage à Jean-Paul II. Sur tous les édifices publics, la taille du drapeau a été réduite et les couleurs de la nation n’ont plus été montées tout en haut de la hampe. C’était la manière du gouvernement français de marquer la disparition d’une grande personnalité, assimilée à un chef d’Etat.

La décision de mettre les drapeaux en berne est prise par le Premier ministre, qui sollicite les services du bureau du pavoisement du ministère de l’Intérieur. Mais l’hommage de la République française – et laïque – au leader des chrétiens n’a pas été du goût de tous les hommes politiques. Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste de l’Essonne, a jugé lundi sur une radio française que la décision de mettre les drapeaux en berne n’était « pas opportune », car «dans un pays comme la France, la laïcité ne peut être découpée en petits morceaux». Se défendant de vouloir « choquer la douleur des croyants », le responsable socialiste a ajouté que la laïcité ne peut être «jugée au cas par cas». «Les autorités de l’Etat doivent faire preuve d’une laïcité absolument sans ombre, ans demi-teinte», a expliqué Jean-Luc Mélenchon. «Que l’on veuille ou non, la mise en berne de l’emblème national est une sorte de faveur faite à une religion»,  a encore déclaré le sénateur PS.

«Un abus de pouvoir»

Yves Contassot, adjoint Vert du maire de Paris chargé des questions d’environnement a pour sa part indiqué, sur une autre radio, que la mise en berne des drapeaux pour la mort du pape était «complètement déplacée». Selon ce membre du parti des Verts, il s’agit d’un «abus de pouvoir» du président de la République. «Que les chrétiens rendent hommage au chef de leur Eglise, c’est du domaine de la vie privée. Que le chef de l’Etat engage l’ensemble de la communauté française, tous les Français, quelle que soit leur religion, il y a manifestement un abus de pouvoir de sa part», a argumenté Yves Contassot. «Aujourd’hui nous avons un gouvernement et un chef de l’Etat, qui manifestement avec des arrière-pensées politiciennes, essaient de récupérer une affaire d’ordre privée».

«Trop, c’est trop» : la Ligue Communiste Révolutionnaire s’est insurgée contre «le culte de la personnalité» autour de Jean-Paul II. «On ne peut que protester devant le culte de la personnalité que nous infligent les médias depuis plusieurs jours dans un pays qui se réclame de la laïcité», écrit la LCR dans un communiqué. «On peut comprendre la tristesse des chrétiens après la mort du pape, mais on ne peut oublier que le pape fut aussi un homme politique ayant notamment défendu des positions réactionnaires sur les grands problèmes de société (Sida, contraception, avortement)», indique l’organisation trotskiste.

Le porte-parole du gouvernement a déploré cette polémique. «C’est un hommage simple de la République et je crois qu’en la matière, l’émotion est grande. Je trouve qu’il ne faut laisser la place qu’à l’émotion», a expliqué Jean-François Copé, porte-parole du gouvernement et ministre du Budget.

«Hommage normal aux chefs d’Etat»

A la critique de ces élus de gauche, les services du Premier ministre ont répondu qu’il s’agissait de l’hommage normal «aux chefs d’Etat en fonction avec lesquels la France entretient des relations privilégiées». Pour Christophe Girard, cette explication est insuffisante : «les drapeaux n’ont pas été mis en berne pour le roi du Maroc Hassan II alors que c’était un partenaire privilégié de la France». En revanche la France a mis en berne ses drapeaux à la mort de l’ancien président américain Ronald Reagan, alors qu’il n’était plus en fonction, souligne le responsable des Verts.

L’UMP s’est dite «choquée par une polémique qui traduit une intolérance d’un autre âge : la laïcité, ce n’est pas la négation de la religion, à fortiori quand cette religion est la première de notre pays».

De son côté François Bayrou, président de l’UDF, a indiqué qu’il n’aurait «certainement pas» décidé de mettre les drapeaux en berne, une mesure qui «ne correspond pas à la distinction qu’il faut faire entre convictions spirituelles et choix politiques et nationaux».

Comme l’avaient fait Charles de Gaulle pour Jean XXIII et Valéry Giscard d’Estaing pour Paul VI, le chef de l’Etat a assisté dimanche à une messe solennelle en l’honneur du pape. Jean-Pierre Raffarin, le Premier ministre, y assistait également.

Le pape et la laïcité à la française

Pendant le pontificat de Jean-Paul II, la France, «fille aînée de l’Eglise», a entretenu des relations conflictuelles avec le Vatican. C’est en France qu’est né un schisme, avec l’intégrisme de Monseigneur Marcel Lefebvre. Il fut excommunié le 30 juin 1988 après avoir consacré quatre évêques, de sa propre autorité. C’est également en France que naquit une forte contestation au sein de l’Eglise catholique, symbolisée par les prises de position virulentes de Monseigneur Gaillot, évêque de gauche. En janvier 1995, il finit par perdre son diocèse d’Evreux, en Normandie, en raison de prises de position peu conformes à la doctrine en cours au Vatican. Plus récemment, la France a réaffirmé aux autorités chrétiennes nationales et au Vatican que ce pays est de tradition laïque. La France a fait partie du groupe de pays qui a milité contre l’inscription de l’héritage religieux de l’Europe dans sa future Constitution, texte actuellement en discussion avant le référendum.

La France a également connu l’année dernière un long débat sur la laïcité et le port des signes religieux ostensibles. Il y a un an, une loi était adoptée qui les interdisait dans les établissements scolaires. Le débat s’est apaisé, la laïcité a été réaffirmée en France. Jean-Paul II s’était exprimé sur cette question. Dans son discours annuel à l’attention du corps diplomatique, le 12 janvier 2004, le souverain pontife dénonçait «une attitude qui pourrait mettre en péril le respect effectif de la liberté de religion». Et il soulignait que les autorités invoquent souvent la laïcité pour justifier le maintien de la religion dans la sphère privée, estimant qu’il s’agissait là d’une mauvaise interprétation du concept de laïcité. La France était clairement visée, même si jamais nommée, d’autant que les paroles étaient prononcées en français, comme le veut la tradition dans la diplomatie du Saint-Siège.

Pour le président Chirac, «ce deuil marque profondément la France ainsi que les Français qui se reconnaissent dans le message de l’Eglise catholique. L’Histoire gardera l’empreinte et la mémoire de ce souverain pontife exceptionnel, dont le charisme, la conviction et la compassion auront fait résonner le message évangélique d’un écho sans précédent sur la scène internationale».   


par Colette  Thomas

Article publié le 04/04/2005 Dernière mise à jour le 04/04/2005 à 17:37 TU

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