Nations unies
Le monde arabe condamné à se réformer
DR
Le troisième rapport sur le développement humain dans le monde arabe a failli ne jamais voir le jour. Sa publication, prévue initialement en octobre dernier, a en effet été retardée de près de six mois, ses conclusions n’étant visiblement pas du goût de plusieurs régimes de la région mais surtout de celui des Etats-Unis qui n’ont eu aucun scrupule à rappeler au PNUD, commanditaire de cette étude, qu’ils finançaient un quart de son budget. Washington a en effet été très irrité par une partie du rapport (à peine un dixième de l’ensemble) qui dénonce sans complaisance l’invasion puis l’occupation de l’Irak, de même que le soutien de l’administration Bush à la politique israélienne. Quant à certains pays arabes, au premier rang desquels l’Egypte, ils n’ont tout simplement pas supporté les critiques portées contre les dérives de leur régime. Le Caire a en effet ouvertement adressé «des remarques aux Nations unies réclamant des modifications sur les questions de l’hérédité du pouvoir et de la liberté d’action des associations de la société civile», a en effet récemment fait savoir l’un des rédacteurs de cette étude, l’Egyptien Nader Fergani.
Quoiqu’il en soit, le rapport parrainé par le PNUD a fini, même avec six mois de retard, par voir le jour. Et si ses rédacteurs concèdent qu’ils ont été contraints de revoir certaines formulations, ils insistent en revanche sur le fait que rien n’a été changé sur le fond. «Les régimes mécontents resteront mécontents», a en effet souligné l’un d’entre eux. Le rapport n’a ainsi rien cédé à Washington sur les questions irakienne et palestinienne. Et on peut notamment y lire que «le peuple irakien est passé du joug d’un régime tyrannique qui a bafoué les droits de l’Homme et les libertés à un régime d’occupation étrangère qui n’a fait qu’accroître ses souffrances».
Mais les auteurs dressent avant tout un état des lieux aussi exhaustif qu’accablant de la situation des libertés et des systèmes de gouvernance dans le monde arabe. Ils décrivent notamment comment la concentration du pouvoir entre les mains des exécutifs de la région, qu’ils soient monarchiques, militaires, dictatoriaux ou issus d’élections présidentielles, a transformé l’Etat en une sorte de «trou noir qui réduit le champ social qui gravite autour de lui en un espace au sein duquel rien ne bouge et duquel rien ne peut s’échapper». Ils dénoncent également l’institutionnalisation de la corruption et le renforcement du clanisme qui sont autant de facteurs de «passivité et d’obédience à l’autorité et d’intolérance face à la dissidence». Justice servile, presse muselée, liberté d’association bafouée, multipartisme de façade, les exemples ne manquent pas pour décrire une situation dont le principal corollaire est le peu de légitimité des régimes arabes pour qui le seul moyen de se maintenir en place est la répression, le sectarisme religieux ou encore le clientélisme clanique.
Une situation explosiveDéplorant le peu d’empressement des régimes arabes à se réformer de l’intérieur, les auteurs du rapport mettent en garde contre les conséquences que cette attitude risque d’avoir sur le plan interne dans de nombreux pays de la région. «Le maintien de la situation actuelle, à savoir les déficiences en matière de développement, la répression intérieure et le laisser-faire de la part des puissances étrangères, pourrait conduire à l’aggravation du conflit social dans les Etats arabes», soulignent-ils en effet. De manière très explicite, les chercheurs arabes n’hésitent pas à pointer ouvertement les risques de «soulèvements chaotiques» et de «violences armées» qui ne manqueront pas d’accompagner un transfert non maîtrisé du pouvoir. Et cela avec d'autant plus de vigueur qu’ils estiment qu’«un transfert du pouvoir par la violence ne garantit pas non plus que les régimes de gouvernance qui y succèdent soient acceptables».
Le rapport constate néanmoins que les aspirations de plus en plus fortes des populations arabes à plus de liberté et à un changement politique n’ont pas été sans conséquence. Les pressions exercées par les sociétés civiles, combinées à celles venant de l’extérieure, ont en effet permis certaines avancées. L’étude, qui a été réalisée en 2004, rappelle notamment que pour la première fois des femmes ont participé à des législatives à Oman, qu’en Algérie une élection présidentielle libre et multipartite a été organisée et que le Maroc s’est doté d’un code de la famille qui protège le droits des femmes. Elle ne prend en effet pas en compte les récents changements intervenus sur la scène arabe comme les élections dans les Territoires palestiniens et en Irak, le soulèvement de la rue libanaise ou encore le semblant d’ouverture annoncé en Egypte.
Pour pallier le déficit démocratique dans le monde arabe, les auteurs du rapport recommandent quatre mesures «immédiates», selon eux indispensables à l’accélération des réformes. Ils demandent ainsi le respect total des libertés d'opinion, d'expression et d'association, la fin de la discrimination contre les minorités, la garantie de l'indépendance du pouvoir judiciaire et l'abolition des lois martiales qui sont devenues permanentes dans des pays comme l’Egypte, la Syrie ou le Soudan. Ils appellent également à «une transition graduelle et négociée du pouvoir vers des formes de gouvernements plus représentatifs» et encouragent les intellectuels arabes et la société civile à «sortir de leur inertie».
par Mounia Daoudi
Article publié le 05/04/2005 Dernière mise à jour le 05/04/2005 à 18:02 TU