Église catholique
Balkans: le bilan controversé d’un pontificat
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Belgrade
Au Kosovo, la presse était à l’unisson du Président Rugova, déplorant la disparition d’un «ami» du peuple albanais. Le Kosovo ne compte que 3 à 4% d’Albanais catholiques, perdus dans une majorité musulmane, mais la diplomatie du Saint-Siège a joué un rôle actif dans la région, et la communauté catholique albanaise jouit d’une influence politique beaucoup plus grande que son poids démographique. Les Albanais associent spontanément Jean-Paul II à Mère Teresa, originaire d’une famille albanaise de Skopje, en Macédoine, et qui est considérée comme une des plus grandes figures nationales. Ibrahim Rugova, qui s’est présenté comme un admirateur du pape, a proclamé un deuil national de deux jours, et se rendra aux obsèques du Souverain Pontife.
L’émotion a également été particulièrement forte en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Le pape a visité à trois reprises chacun de ces deux pays. Le Vatican a joué un rôle essentiel en étant le premier État à reconnaître l’indépendance de la Croatie, quelques jours avant que les pays de l’Union européenne ne le fassent, le 15 janvier 1992. En 1994, lors de son premier voyage en Croatie, Jean-Paul II avait célébré une messe à Zagreb devant près d’un million de personnes, en appelant au pardon et à la réconciliation entre les pays et les peuples de la région, dans des termes qui avaient profondément touché et même choqué une opinion encore traumatisée par les blessures de la guerre. À l’époque, une bonne partie du territoire croate était toujours occupée par les sécessionnistes serbes.
De même, le dernier voyage de Jean-Paul II en Bosnie-Herzégovine, en juin 2003, avait fait événement. Le pape s’était rendu à Banja Luka, la capitale de la Republika Srpska, «l’entité» serbe de Bosnie. Dans son homélie, il avait évoqué les «crimes» commis par certains catholiques. Ce discours d’ouverture et de réconciliation tranchait parfois avec les positions très nationalistes de l’Église croate, mais le pape a sûrement beaucoup contribué à la consolidation de la démocratie en Croatie et en Bosnie. En 2003, il avait rencontré Ivica Racan, alors Premier ministre social-démocrate de Croatie, une manière de souligner que le Vatican reconnaissait tous les gouvernements légitimes, et ne souhaitait pas avoir de relations privilégiées avec la droite nationaliste du HDZ, revenue depuis au pouvoir, avec le soutien ouvert de l’Église catholique croate.
«Jean-Paul II a accompagné le peuple croate, depuis la résistance à l’agression jusqu’à la création des institutions démocratiques, il a même soutenu l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne», a déclaré le Premier ministre croate Ivo Sanader. Celui-ci a été le dernier chef d’État reçu en audience par un pape déjà visiblement malade, le 22 février dernier. Il avait demandé le soutien du pape en faveur de l’ouverture des négociations d’adhésion européenne de la Croatie.
Complot anti-serbe
En Serbie, les plus hautes autorités de l’État ont adressé des télégrammes de condoléances, et le patriarche orthodoxe de Serbie, Mgr Pavle, a mentionné le pape dans ses prières. Depuis un an, l’Église orthodoxe serbe avait repris des relations timides avec le Saint-Siège. Une délégation de haut niveau s’était rendue au Vatican à l’automne, mais l’hypothèse d’un voyage du pape à Belgrade, régulièrement évoquée, n’aura pas pu se concrétiser. Dans le passé, l’Église orthodoxe serbe avait en effet fortement dénoncé l’immixtion du Vatican dans les affaires politiques des Balkans, y dénonçant volontiers un «complot anti-serbe.» L’Église serbe campe toujours sur des positions très nationalistes et ne montre guère d’intérêt pour le dialogue oecuménique. Dans le monde de l’orthodoxie, l’Église serbe est beaucoup plus proche de sa consoeur russe que du patriarcat oecuménique de Constantinople, favorable de longue date au dialogue avec Rome.
Pour l’Église serbe, le Vatican avait lui-même fermé la porte à tout dialogue en prenant fait et cause pour l’indépendance de la Croatie, puis celle du Kosovo. Les relations sont aujourd’hui nulles entre l’évêque catholique albanais du Kosovo, Mgr Mark Sopi, et son homologue serbe orthodoxe, Mgr Artemije. L’aile «dure» de l’Église serbe est emmenée par le métropolite du Monténégro, Mgr Amfilohije, qui avait pourtant justement conduit la délégation orthodoxe serbe au Vatican. Mgr Amfilohije, très lié au président serbe Vojislav Kostunica, est souvent pressenti comme le futur patriarche serbe, car l’actuel titulaire du titre, Mgr Pavle, est très âgé.
La seule note ouvertement discordante est cependant venue des rangs du Parti radical (extrême droite nationaliste), dont le porte-parole, Aleksandar Vukcic, a convoqué une conférence de presse dès dimanche 3 avril pour souligner que le Vatican «portait une lourde responsabilité» dans les guerres des années 1990. Il a rappelé que le pape avait notamment canonisé en 1998 l’ancien archevêque de Zagreb, Mgr Alojzije Stepinac, qualifié par les Radicaux de «plus grand criminel nazi de l’État indépendant croate», l’État collaborationniste des oustachis de la Seconde Guerre mondiale.
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 07/04/2005 Dernière mise à jour le 07/04/2005 à 11:00 TU